TRAGÉDIE
représentée pour la première fois par les Comédiens Français, ordinaires du Roi, le 12 novembre 1752.
Le prix est de 30 sols.
M. DCC. LVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi.
Chez PRAULT Fils, Libraire, Quai de Conti, vis-à-vis la descente du Pont-Neuf, à la Charité.
Représentée pour la première fois par les Comédiens Français, ordinaires du Roi, le 12 novembre 1752.
texte établi par Ernest FIEVRE, décembre 2018.
publié par Paul FIEVRE, janvier 2018.
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:35.
PRÉFACE.
Cette pièce fut assez mal reçue à la première représentation, sans être néanmoins proscrite : il y eut même dans tous les actes des morceaux fort applaudis. Je consultai mes amis sur le parti que je prendrais de la retirer ou de la laisser ; les avis furent partagés : je choisis le plus rigoureux , quoique contraire au mien. Depuis, les Comédiens, ont paru désirer que je la redonnasse ; plusieurs d'entre eux m'ont rait à ce sujet des instances : cela m'a engagé à retoucher l'Ouvrage ; j'y ait fait des changements considérables, et qui je crois l'ont amélioré. C'est ainsi, du moins, qu'en à pensé l'actrice éminente qui supérieurement douée de sentiment et d'intelligence, ne juge pas moins bien d'après son esprit, que d'après son coeur. J'aurais donc pu redonner AMÉMOPHIS ; mais il a paru depuis plusieurs pièces qui ont des ressemblances avec elle, et ce qui était nouveau lorsque je donnai la mienne ne l'aurait plus été, et aurait pu par-là manquer son effet. Tel est en particulier mon dénouement, qui aurait paru une imitation de celui d'ADÈLE, quoiqu'AMÉNOPHis lui soit antérieure de plusieurs années. J'en avais même donné un extrait dans le Mercure de Janvier 1753, ce que je dis uniquement pour constater mes droits, rendant d'ailleurs justice, aux talents de Monsieur de la Place, et convenant de bonne-foi, qu'il a pu aisément imaginer ce que j'avais imaginé moi-même. Voilà ce qui m'a empêché de risquer de nouveau ma pièce au Théâtre. N'est-ce pas hasarder beaucoup, encore que de la faire imprimer ? Je l'avoue, mais l'amour-propre est un grand séducteur, et quelque modeste opinion qu'on ait de soi-même, un Auteur finit toujours par l'en croire.
On achevait d'imprimer cette pièce, lorsque les Comédiens ont donné Hypermmestre. Le cinquième acte en est si visiblement imité du mien, que je crois devoir un remerciement à l'Auteur de l'honneur qu'il a bien voulu me faire.
ACTEURS DE LA TRAGÉDIE.
AMÉNOPHIS, Héritier du Trône de Memphis.
ARTHÉSIS, Fils de Menes, Roi d'Hécatompyle.
SOSIS, Frère de l'Usurpateur du Trône de Memphis.
NEPHTÉ, Femme de la Cour, d'une naissance illustre.
LE GRAND-PRÊTRE D'ISIS, et deux de ses Collègues.
RAMESSES, attaché à Sosis, mais dévoué en secret à Aménophis.
IPHISE, Suivante d'Arthésis.
PALMIS, Suivante de Nephté.
UN OFFICIER.
GARDES.
La scène est à Memphis dans le Palais des Rois.
ACTE PREMIER
SCENE PREMIERE.
Arthésis, Iphise.
IPHISE.
Eh quoi ! Lorsque la Paix à Memphis de retour
Pour votre auguste Hymen a marqué ce grand jour,
Par nos mains, malgré vous, pompeusement parée
En victime à l'autel vous marchez éplorée
5 | Madame, ah ! Que je plains l'état où je vous vois ! |
On lit dans vos regards et l'horreur et l'effroi ;
Une pâleur mortelle obscurcit tous vos charmes,
Le voile de l'Hymen est trempé de vos larmes[.]
ARTHÉSIS.
Plût au Ciel que ce fût le voile de la Mort ?
10 | Qu'a donc fait Arthésis pour mériter son sort |
Pieux justes, dont la main s'appesantit sur elle ?
IPHISE.
Eh quels sont vos malheurs ? Pardonnez à mon zèle,
Votre père Ménès par un heureux traité
Recouvre ses États avec sa liberté.
15 | Captive d'Amasis par le pouvoir des armes |
Celui de la Beauté le soumet à vos charmes,
Nephté que sur son trône il devait faire asseoir;
Se voit ravir par vous un si flatteur espoir,
Nephté, quoique sujette est d'une illustre race,
20 | Par des, discours remplis, d'une insolente audace |
Elle, a fait éclater son désespoir jaloux,
Amasis veut qu'ici tombant à vos genoux
Le front couvert de honte et le coeur plein de rage
Elle vienne humblement expier cet outrage,
25 | Enfin il vous épouse, il est Roi, |
ARTHÉSIS.
Lui, grands Dieux, |
Lui Roi ! Je ne connais qu'un Tyran dans ces lieux,
Un Monstre, qui du trône usurpateur perfide,
A porté sur son Maître une main parricide,
Meurtrier d'Apriès, ses droits sont ses fureurs
30 | Il m'épouse et tu peux demander mes malheurs ! |
Tu n'en vois cependant qu'une faible partie ;
Connais donc tout mon sort, vois-en la barbarie,
C'est la main du Tyran qui t'a donnée à moi,
Mais...
IPHISE.
N'en comptez pas moins, Madame, sur ma foi.
ARTHÉSIS.
35 | Ah ! De mes sentiments je ne fais point mystère, |
Et tu n'apprendras rien que je t'oblige à taire :
Tout ce que j'adorais, Iphise, est au tombeau ,
Aménophis n'est plus, j'épouse son bourreau.
IPHISE.
Ah ! Je ne blâme plus l'ennui qui vous dévore,
40 | Tout MeMphis en secret pleure sa perte encore |
Et puisqu'il vous fût cher, ce Prince infortuné.
ARTHÉSIS.
Hélas ! Presque avec nous cet amour était né ;
Tu fais qu'Aménophis commençait sa carrière,
Quand des droits les plus saints franchissant la barrière,
45 | Amasis, qui de loin préparait l'attentat, |
Du feu de la révolte embrasa cet État,
Qu'Apriès envoya cet enfant chez mon père,
Qu'ayant sauvé, du moins une tête si chère,
Ce Roi dans un combat pris par ses ennemis,
50 | Ensanglanta le Trône où les Dieux l'avaient mis. |
IPHISE.
Je sais que poursuivant le Prince en son asile,
Le Frère d'Amasis vînt dans Hécatompyle,
Que teint du sang du père, il réclama le fils,
Qu'à la Cour de Ménès l'audacieux Sosis
55 | Osa même employer jusques à la menace, |
Et qu'un juste mépris confondit son audace.
ARTHÉSIS.
Quel indigne Monarque eut pu trahir les droits
D'un Prince dont la cause était celle des Rois,
Et qui de tout coeur noble, exigeant l'assistance
60 | Faisait parler pour lui le malheur et l'enfance ? |
Sitôt qu'Aménophis pût connaître son sort,
Son coeur se proposa la vengeance ou la mort ;
Ce sentiment en lui crût encor avec l'âge,
C'est par là qu'il me plût ; j'admirai son courage ;
65 | Je lui plus à mon tour, non par de vains attraits, |
L'Amour contre tous deux s'arma des mêmes traits.
Iphise et dans nos coeurs s'il alluma ses flammes,
C'est au feu dont la gloire embrasait nos deux âmes.
IPHISE.
Mais le Roi, votre père...
ARTHÉSIS.
Il approuva nos feux.
IPHISE.
70 | Quoi ! D'un Prince sans trône autorisant les voeux... |
ARTHÉSIS.
Iphise, il n'appartient qu'à des âmes communes
De peser les mortels au poids de leurs fortunes.
Mes sentiments pour lui n'étaient pas combattus,
Il n'avait point de trône, il avait des vertus :
75 | C'est au sort irrité qu'il les devait peut-être, |
Il connut le malheur avant de se connaître :
Rarement on est grand au faîte des grandeurs,
À la Cour de son père, entouré de flatteurs,
Et trop sûr de monter au rang de ses ancêtres,
80 | L'orgueil et la mollesse auraient été ses maîtres ; |
Mais le sort pour tout bien lui laissant le danger
D'un Trône à conquérir, et d'un père à venger,
A toutes les vertus on exerça son âme ;
De l'amour de la gloire on y porta la flamme,
85 | On endurcit son corps aux plus rudes travaux |
Du Prince on fit un homme et de l'homme un Héros,
IPHISE.
Je sais que de sa vie à jamais illustrée,
Mille exploits ont rempli la trop courte durée.
ARTHÉSIS.
Hélas ! Il n'a que trop écouté son grand coeur :
90 | Jour affreux où le nombre accablant la valeur |
Sous les drapeaux du crime entraîna la victoire !
Aménophis vaincu perdit tout, hors la gloire :
Mais qui peut des Destins changer l'ordre éternel ?
Tandis que de mes voeux je fatiguais le Ciel,
95 | Au pied de nos autels jour et nuit prosternée, |
Malheureuse ! J'appris qu'en la même journée
Mon père et mon amant avaient été vaincus,
Que l'un était captif et l'autre n'était plus.
À ce récit affreux, à ce coup si terrible
100 | À force de sentir je devins insensible ; |
Mais de mon désespoir sans te peindre l'horreur,
Toute l'Égypte a vu ce qu'osa ma fureur,
Et le triste succès de ma vaine entreprise.
IPHISE.
L'Univers l'admira : le Nil avec surprise,
105 | Vous vit faisant mouvoir cent bataillons nouveaux |
Sur fa rive sanglante arborer vos drapeaux,
Du sexe dépouillant la timide faiblesse,
Il vous vit en Héros transformer la Princesse,
Vous revêtir de fer, en armer votre bras,
110 | Du feu de votre ardeur animer les soldats ; |
Et les guidant vous-même au chemin de la. gloire,
Attaquer Amasis au sein de la victoire.
ARTHÉSIS.
Vains efforts ! Mais à quoi n'ont pas dû m'engager,
Un père dans les fers, un amant à venger ?
115 | Mon coeur s'applaudissait que suivant notre usage |
Aux travaux de Diane exerçant mon jeune âge,
On m'eût instruite à suivre et percer de mes traits
Les monstres redoutés qu'enferment nos forêts.
Ciel ! Eh que ne pouvais-je à toute mon armée
120 | Inspirer la fureur dont j'étais animée ! |
Mais du soldat nouveau les pas mal affermis
S'arrêtent à l'aspect des drapeaux ennemis,
Les bataillons flottants s'ébranlent et s'étonnent
Je m'avance à leur front,les lâches m'abandonnent ;
125 | Amasis, cependant, a frappé mes regards ; |
Je fonds sur ce perfide à travers mille dards,
Le cruel me désarme et brave ma colère.
Ciel ! tu me réservais au malheur de lui plaire...
Et je puis me résoudre à lui donner ma foi !...
130 | Un horrible devoir m'en impose la loi, |
Ô mon Père pardonne à cette infortunée,
Si contrainte à subir cet affreux hyménée,
Mon coeur gémit du prix que lui coûtent tes jours ;
Toi qui des tiens, cher Prince, as terminé le cours,
135 | Toi qui n'es plus qu'une ombre et dont la voix plaintive |
Accuse ton amante à te suivre tardive,
Pardonne, Aménophis, si je trahis ma foi,
Mon père allait périr, son salut est ma loi,
Et l'intérêt sacré des droits de la nature,
140 | De tout autre intérêt étouffant le murmuré, |
Je dois, malgré mon coeur, vainement combattu,
Épouser un tyran par effort de vertu.
IPHISE.
Ah ! Votre désespoir n'est que trop légitime,
Madame, eh que ne peut le zèle qui m'anime !...
145 | Mais Ramesses paraît et s'avance en ces lieux. |
SCÈNE II.
Arthesis, Ramesses, Iphlse.
RAMESSES.
Madame, pardonnez si je m'offre à vos yeux,
Et si dans la douleur dont mon âme est atteinte
Mon respect ose faire éclater quelque plainte :
Au frère d'Amasis on me voit attaché,
150 | Mais vous n'ignorez pas quel intérêt caché |
M'a fait à ses regards étaler un faux zèle,
Qu'Aménophis n'eût point de sujet plus fidèle,
Qu'à mes Rois dévoué je parus les trahir...
ARTHÉSIS.
Un service important dont tu sus l'éblouir,
155 | T'a gagné, de Sosis toute la confiance, |
Je le fais, et sur toi fondant son espérance,
Le Prince attendait tout de ta fidélité.
RAMESSES.
Que pour la signaler mon sang m'eût peu coûté !
Mais, Madame, il n'est plus, quelle horreur se prépare,
160 | Tout fumant de son sang, se peut-il qu'un barbare |
En pompe nuptiale ait changé votre deuil,
Et que de votre amant éclairant le cercueil,
Les flambeaux de l'Hymen...
ARTHÉSIS.
Arrête... cette image
Ne m'est que trop présente et glace mon courage,
165 | Cruel. Ah ! De quel trait viens-tu percer mon coeur ! |
Vas, je ne sens que trop l'excès de mon malheur.
RAMESSES.
Mais ce que vous devez au Prince, à sa mémoire,
Et j'ose dire encore, à votre propre gloire ;
Vous ne le sentez pas, Madame,... Ah ! J'en frémis,
170 | Quoi des mânes si chers seront par vous trahis ! |
Au fond du coeur en vain il vous crieront vengeance.
ARTHÉSIS.
Eh, tu ne fais donc pas toute ma résistance,
Et jusqu'à quel excès le Tyran s'est porté ?
RAMESSES.
Et que peut un Tyran sur la stabilité
175 | Qu'oppose à ses fureurs une âme grande et forte ? |
Qui fait mourir le brave.... excusez, je m'emporte.
ARTHÉSIS.
Eh ! Me plaindrais-je, hélas ! Si je pouvais mourir,
Connais donc Amasis : ton père va périr,
M'a-t-il dit : vois le fer suspendu sur sa tête,
180 | Vois aux mains des soldats la flamme toute prête, |
Ni prières, ni pleurs, ne pourront me toucher ;
Je vais de ton pays faire un vaste bûcher,
Et de fleuves de sang en arroser la cendre.
RAMESSES.
Quel Monstre, juste Ciel !
ARTHÉSIS.
Il a fallu me rendre...
RAMESSES.
185 | Je vous offre mon bras : faut-il verser son sang |
À la face des Dieux qui souffrent ce Tyran,
Au pied de l'autel même où vous attend le Traître ?
Ramesses ne vivait que pour venger son Maître,
Et je mourrai content...
ARTHÉSIS.
Tu te perdrais en vain :
190 | Héritier du Tyran, Sosis plus inhumain, |
Vengerait sur Ménès le meurtre de son frère
Cet hymen est affreux, mais il est nécessaire,
Et je vais subissant les horreurs de mon fort
Me traîner à l'Autel en invoquant la mort.
RAMESSES.
195 | On ouvre.... C'est Nephté. |
SCÈNE III.
Arthésis, Nephté, Ramesses, Iphise, Palmis.
NEPHTÉ, à part.
Quel horrible supplice, |
Ciel ! Faut-il jusques-là que Nephté s'avilisse !
À Arthéfis.
On l'ordonne, Madame, il faut qu'à vos genoux
Je vienne...
ARTHÉSIS.
C'en est trop, Madame, levez vous :
Moi-même je rougis de vous voir si confuse,
200 | Qui n'est point offensé n'a pas besoin d'excuse : |
Ô des tristes mortels sort digne de pitié !
Souvent le plus à plaindre est le plus envié ;
Oui, cet époux, ce trône où tous vos voeux aspirent,
Ce n'est que de l'horreur, Madame, qu'ils m'inspirent,
205 | Hélas ! Et plut au Ciel, témoin de mon effroi, |
Que la tombe s'ouvrit entre ce trône et moi !
Elle sort.
NEPHTÉ, à Ramesses.
Que fait Sosis ? Vas , cours, sers mon impatience,
Vas, dis-lui que Nephté désire sa présence.
SCÈNE IV.
Nephté, Palmis.
NEPHTÉ.
À cette indignité j'ai donc pu m'abaisser !
210 | Quel opprobre cruel ! Le sang va l'effacer, |
Ce jour a vu ma honte, il verra ma vengeance.
PALMIS.
Quel projet...
NEPHTÉ.
Tu pris soin d'élever mon enfance,
Mon coeur te fut ouvert, tu connais sa fierté,
Le perfide Amasis ose trahir Nephté,
215 | Et poussant jusqu'au bout sa trahison fatale, |
Me force de tomber aux pieds de ma rivale :
Et Palmis peut penser que d'un pareil affront
La honte impunément aura rougi mon front,
Et qu'à rester sujette, abaissant mon courage,
220 | En regrets impuissants j'exhalerai ma rage ! |
PALMIS.
Mais si c'est malgré lui qu'Amasis est ingrat,
S'il fait céder l'amour à la raison d 'état.
Si la paix est le sceau de ce grand hyménée.
NEPHTÉ.
Non, non, quand il trahit la foi qu'il m'a donnée,
225 | Il ne fait de son coeur que suivre les transports, |
Ménès est dans les fers, le Prince est chez les morts,
Sa tombe a renfermé le flambeau de la guerre,
Amasis à son gré pouvait calmer la terre ;
Mais, Palmis,après tout, qu'importe à ma fureur !
230 | J'en voulais à son trône et non pas à son coeur, |
Et lorsque sur ce trône une autre est élevée....
Une autre !... Ah ! Dans son sang cette injure lavée....
Oui, tout le mien est prêt, s'il le faut, à couler,
Mais du moins....
PALMIS.
Juste Ciel ! Vous me faites trembler,
235 | De frayeur pour vos jours vous me voyez saisie. |
NEPHTÉ.
Pour mes jours ! Sans un trône, eh, qu'est-ce que la vie ?
Mais que ton faible coeur cesse de s'alarmer,
Et sache que Sosis....
PALMIS.
Il a su vous charmer ;
Avouez-le, Madame, et si Nephté conspire,
240 | C'est pour lui... |
NEPHTÉ.
Non, sur moi, l'Amour n'a point d'empire ; |
Mon âme toute entière est à l'ambition ;
Un coeur peut-il avoir plus d'une passion ?
Qu'un sexe qui du notre accuse la faiblesse,
De ce vil sentiment éprouve la mollesse,
245 | Que changeant leur massue en de frêles fuseaux, |
L'Amour borne à son gré la course des Héros,
Entre le trône et lui Sosis n'a que son frère,
C'est par-là seulement qu'il a droit de me plaire ;
Heureux pour s'élever à ce suprême rang
250 | De n'avoir à verser qu'une goutte de sang, |
Que le sort à ses coups n'offre qu'une victime,
Et qu'un sceptre, en un mot, ne nous coûte qu'un crime.
PALMIS.
Qu'un crime ! Eh, votre coeur n'est pas épouvanté...
NEPHTÉ.
Quand par un crime heureux un sceptre est acheté,
255 | Qui monte sur le trône y trouve son refuge : |
Il n'est plus de forfait quand il n'est plus de Juge.
PALMIS.
Madame, il en est un dont relèvent les Rois,
Tous mortels sont par lui pesés au même poids,
Dans le coeur de l'injuste il grava la justice,
260 | Et le crime ici bas a déjà son supplice, |
Mais dussiez-vous braver le remords et les Dieux,
Tremblez qu'à votre exemple un autre ambitieux...
NEPHTÉ.
Non, il est peu, crois-moi, de ces âmes hardies,
Qui dans un grand, dessein comptent pour rien leurs vies
265 | Et savent joindre encore au courage d'oser, |
L'esprit de tout prévoir et de tout disposer,
De qui l'activité par l'obstacle redouble,
Qu'aucun des coups du sort ne surprend et ne trouble,
Que n'émeut la pitié, le remords, ni l'effroi,
270 | De ces grands coeurs, enfin, nés pour donner la loi. |
PALMIS.
Mais...
NEPHTÉ.
Qu'aujourd'hui Nephté se venge, et qu'elle règne,
Le sort le plus affreux n'aura rien qu'elle craigne,
Sosis tarde beaucoup.
PALMIS.
Madame, je le vois.
SCÈNE V.
Sosis, Nephté, Palmis.
SOSIS.
Princesse en qui le Ciel mit l'âme d'un grand Roi,
275 | Est-ce enfin aujourd'hui que vengeant votre injure |
Un illustre attentat vous immole un parjure,
Et m'élève en un rang où je ne veux monter
Que pour vous y placer et pour vous mériter ?
NEPHTÉ.
Oui, Seigneur, aujourd'hui notre sort une change,
280 | "Aujourd'hui nous régnons, aujourd'hui je me venge. |
Prévenu dès longtemps en faveur de Sosis,
Mon coeur vous distinguait en secret d'Amasis,
Mais un sceptre brillait aux mains de votre frère.
Il me l'offrit : ce fût à l'Amour à se taire,
285 | Et vous m'estimeriez un courage bien bas, |
A Si je ne vous disais que je n'hésitai pas :
Aujourd'hui que par lui je me vois outragée,
Qu'il porte ailleurs sa foi qui m'était engagée,
En punissait un Traître, il m'est bien doux Seigneur,
290 | De réunir en vous tous les voeux de mon coeur |
La Garde du Palais obéit à mon frère,
Et ma fureur surpassé à peine sa colère !
Dès ce jour si le fort ne confond mes projets,
Sosis ne sera plus au nombre des sujets.
SOSIS.
295 | Madame, il régnera beaucoup moins que vous-même. |
NEPHTÉ.
Je n'ai point à trembler, Seigneur, pour ce que j'aime,
Et les jours de Nephté seront seuls en danger.
SOSIS.
Ah ! Sosis avec vous prétend le partager.
NEPHTÉ.
Non, celui dont la main se prête à ma vengeance,
300 | Ignore le secret de notre intelligence, |
Si je péris, du moins, j'aurai pour un grand coeur
Le plaisir consolant de laisser un vengeur.
SOSIS.
Mais ne puis-je...
NEPHTÉ.
Il suffit : il faut que je vous laisse,
On pourrait nous surprendre, et de plus le temps presse ;
305 | Adieu, comptez sur moi : quoi qu'ordonne le sort, |
Ce jour éclairera votre règne ou ma mort.
SOSIS, seul.
Flattons d'un vain espoir la fureur qui l'inspire,
Nephté n'est pas l'objet pour qui mon coeur soupire,
Allons... L'Autel est prêt et mon frère m'attends,
310 | Puisse, Arthésis et lui n'être unis qu'un instant. |
ACTE II
SCENE PREMIERE.
AMÉNOPHIS.
Fugitif à ma Cour, étranger dans Memphis,
Palais de mes aïeux, oui, c'est Aménophis,
C'est cet infortuné qu'au trône tu vis naître.
Je te revois, hélas ! Mais ce n'est plus en maître,
315 | Ton Prince a tout perdu, Trône, maîtresse, amis, |
Au perfide Amasis les Dieux ont tout transmis :
Toi-même tu n'es plus cet heureux sanctuaire
D'où le meilleur des Rois, moins Monarque que père,
Étendait sur Memphis ses bienfaisantes mains ;
320 | Les Dieux ne veulent pas le bonheur des humains, |
Apriès est tombé sous un fer parricide,
Palais teint de son sang, demeure d'un perfide ;
Tes murs ont vu fonder par le meurtre et l'effroi
Le trône du Tyran sur la tombe du Roi ;
325 | Mon père massacré.... mes entrailles frémissent, |
Je crois entendre ici ses mânes qui gémissent ;
Ils ne sont pas vengés ,et je respire !.. Ah ! Ciel...
Pour comble de malheur, dans les fers d'un cruel,
Arthésis et Ménès.,,... Ciel vengeur je t'implore
330 | Tu le braves ! Tyran, tremble, je vis encore, |
Je vis, et dans ces lieux que tu remplis d'effroi,
La vengeance et la mort déjà fondent sur toi.
On vient... C'est Ramesses... Offrons-nous à sa vue,
Un heureux sort l'amène, et sa foi m'est connue.
SCÈNE II.
Aménophis, Amasses.
AMÉNOPHIS.
335 | Ramesses. |
RAMESSES.
Étranger, que voulez-vous de moi ? |
AMÉNOPHIS.
Connais cet étranger, c'est ton ami, ton Roi.
RAMESSES.
Que vois-je... se peut-il... Je ne m'en croîs qu'à peine,
Dieux m'abuseriez-vous par une image vaine ?
Non, mon Prince est encor au nombre des vivants
340 | J'embrasse ses genoux.... ô jour !... ô doux moments ! |
Quoi ! C'est vous que le Ciel permet que je revoie !
AMÉNOPHIS.
Modérez les transports d'une indiscrète joie,
Oui, c'est Aménophis qui paraît à tes yeux,
Aménophis trahi des hommes et des Dieux ;
345 | Aménophis en proie au sort le plus funeste, |
Moins malheureux, pourtant, puisqu'un ami lui reste.
RAMESSES.
Vous vivez, ô mon Prince ! Après tant de douleurs,
Quel secourable Dieu vous redonne à nos pleurs ?
Retenu dans Memphis ou d'un parti fidèle,
350 | Mes services obscurs vous ménageaient le zèle ; |
Je n'avais pu vous suivre et mourir à vos pieds,
Ciel ! Déjà mille exploits en ces lieux publiés ;
Les faisait retentir du bruit de votre gloire,
Quand le Tyran parût annonçant sa victoire
355 | Et des jours d'un Héros la déplorable fin. |
AMÉNOPHIS.
Sur un monceau de morts immolés de ma main,
Dans des ruisseaux de sang, couché sur la poussière,
Je touchais, Ramesses, à mon heure dernière ;
Eh, plût aux Dieux puissants, seuls arbitres du sort,
360 | Qui tiennent dans leurs mains la victoire et la mort, |
Qu'en ce combat sanglant à tous les miens funeste,
Ils eussent de mes jours éteint le faible reste !
Dieux cruels dont le bras voulut me secourir,
Vous ne m'avez laissé ni vaincre ni mourir.
RAMESSES.
365 | En cette extrémité quelle heureuse assistance... |
AMÉNOPHIS.
La nuit faisait régner l'horreur et le silence ;
Ces champs hideux couverts de morts et de mourants,
Ne retentissaient plus du bruit des combattants ;
Et l'astre de la huit brillant dans les ténèbres
370 | Prêtait, un jour affreux à tant d'objets funèbres ; |
Tanès, qui d'un faux zèle abusait le Tyran,
Marchait sous ses drapeaux et servait dans son camp ;
Guidé par sa douleur sur cette affreuse plaine
Vient, et parmi les morts me reconnaît à peine ;
375 | Il me démêle, enfin, sanglant et dépouillé |
Me presse dans ses bras, baise mon fronts souillé ;
En lave de ses pleurs le sang et la poussière,
J'ouvre, mais sans rien voir, une faible paupière,
Et Tanès qui me trouve un reste de chaleur,
380 | Pour un foin plus pressant fait trêve à sa douleur, |
Aidé d'un seul esclave en ce besoin extrême,
Dans un asile sûr, il me porta lui-même ;
Là de sang épuisé, de blessures couvert,
La mort pendant six mois tint mon sépulcre ouvert,
385 | L'art me prêta six mois une vaine assistance, |
Mais plus puissants que lui, l'amour et la vengeance
Ont ranimé ton Prince, et le rendent au jour,
Ils me guident tous deux en ce fatal séjour,
J'y vole secourir Arthésis et son père.
RAMESSES.
390 | Ah ! Seigneur !... |
AMÉNOPHIS.
Le projet sans doute est téméraire, |
Je sais à quel danger je m'expose en ces lieux,
Que de Sosis, surtout, j'y dois craindre les yeux ;
Mais l'excès du malheur admet peu la prudence.
Tu parais interdit, et gardes le silence;
395 | Ne dois-je plus ici compter sur des amis ? |
Amasis règne-t-il sur des sujets soumis ?
RAMESSES.
Il les a ménagés tant qu'il a craint vos armes,
Depuis qu'il vous croit mort et qu'il est sans alarmes,
Il fait au citoyen courbé sous le fardeau,
400 | Construire en pyramide un immense tombeau. |
Des travaux les plus durs, d'innombrables victimes,
Élèvent jusqu'aux Cieux, fondent sur les abîmes ;
Ce superbe édifice, éternel monument,
Que l'orgueil d'un mortel consacre à son néant.
AMÉNOPHIS.
405 | Ô peuple infortuné je briserai ta chaîne : |
Et mes amis....
RAMESSES.
Seigneur, une terreur soudaine,
Au bruit de votre mort les avait dispersés.
AMÉNOPHIS.
Hé bien, il m'en reste un, je vis et c'est assez,
Courons à mes sujets opprimés par un Traître,
410 | Offrons-leur à la fois leur vengeur et leur maître, |
Accablons le Tyran par un soudain effort,
Et qu'il me reconnaisse en recevant la mort.
RAMESSES.
Hélas ! Vous ignorez qu'en ce moment funeste,
Arthésis je frémis de vous dire le reste...
415 | Pour elle désormais vos soins sont superflus. |
AMÉNOPHIS.
Je tremble, explique-toi.
RAMESSES.
N'en demandez pas plus.
AMÉNOPHIS.
Parle.
RAMESSES.
Qu'ordonnez-vous ?
AMÉNOPHIS.
C'est trop de résistance.
RAMESSES.
Rappelez donc, seigneur, toute votre constance?
Arthésis...
AMÉNOPHIS.
Elle vit ?
RAMESSES.
Elle vit, mais....
AMÉNOPHIS.
Eh bien.
RAMESSES.
420 | Amasis vient d'unir son sort avec le sien. |
AMÉNOPHIS.
Que dis-tu ? Quelle horreur...
RAMESSES.
Cet hymen nécessaire,
Est le prix de la paix et des jours de son père.
AMÉNOPHIS.
Prix honteux, paix infâme, et dont l'indigne loi,
D'un vil usurpateur fait l'allié d'un Roi :
425 | À cette affreuse paix tout était préférable ! |
Soutiens-moi, je succombe à ce coup effroyable...
Qu'à la face des Dieux par un noeud solennel
Elle ait couvert son front d'un opprobre éternel
Arthésis !... ô Vertu, n'es-tu qu'une ombre vaine !...
430 | Une juste fureur me saisit et m'entraîne, |
J'ai vécu, c'en est fait, allons.
RAMESSES.
Où courez-vous ?
AMÉNOPHIS.
Dans les bras d'Arthésis immoler cet époux.
RAMESSES.
Ah ! Quittez un dessein à vos jours si funeste.
AMÉNOPHIS.
Tu me verrais trancher ces jours que je déteste ;
435 | Mais qui n'est pas vengé n'a pas droit de mourir, |
Tyran, c'est par ta mort que je vais l'acquérir.
RAMESSES.
Ah ! Seigneur !...
AMÉNOPHIS.
Quoi fouillé du meurtre de ses maîtres ;
Ce monstre assis en paix au rang de mes ancêtres ;
Dans les bras d'Arthésis coulerait d'heureux jours !
440 | Et moi comme un proscrit, errant de Cours en Cours, |
J'irais, triste rebut d'une pitié stérile,
Chez les Rois mes égaux mendier un asile !
Chaque instant que respire un prince dépouillé
Est un instant d'horreur et d'opprobre souillé.
RAMESSES.
445 | Ne précipitez rien[.] |
AMÉNOPHIS.
Arthésis m'est ravie ! |
Pour qui traîner encor le fardeau de la vie ?
Non... Je vais, ô mon Père, immoler ton bourreau,
Et du moins, avec moi l'entraîner au tombeau,
Je percerai ce Traître aux yeux de l'infidèle,
450 | Que son sang et la mien rejaillisse sur elle. |
RAMESSES.
Vengez-vous, Seigneur, mais...
AMÉNOPHIS, sans écouter.
Mon coeur désespéré,
À ce seul coup du sort n'était point préparé
J'ai vu passer mon sceptre en des mains meurtrières,
Le crime s'est assis au trône de mes mères,
455 | Ce coup affreux n'a point ébranlé ma vertu, |
Il me restait son coeur, je n'avais rien perdu.
RAMESSES.
Si la raison sur vous garde encor quelque empire...
AMÉNOPHIS.
Vas la trouver : dis-lui qu'Aménophis respire,
Que prêt à me livrer à tout mon désespoir,
460 | Pour la dernière fois je demande à la Voir. |
RAMESSES.
La vertu d'Arthésis, Seigneur, vous est connue,
Elle croira devoir éviter votre vue.
AMÉNOPHIS, sans écouter.
Détestable union des vertus aux forfaits,
Et de tout ce que j'aime à tout ce que je hais !
465 | Vas, dis-je, la trouver. |
RAMESSES.
J'imagine une voie... |
AMÉNOPHIS.
Parle, agis à ton gré pourvu que je la voie ;
Il le faut, je le veux....
RAMESSES.
Fiez-vous à mes soins,
Vous la verrez.... on vient... évitez les témoins.
AMÉNOPHIS.
Ramesses sort d'un côté, et Arthésis entre de l'autre.
Vas, j'attends ton retour.
SCÈNE III.
Arthésis, Aménophis à l'écart.
AMÉNOPHIS, à l'écart.
Dieux ! Que vois-je, c'est elle !
470 | Ô Ciel !... mon coeur.... je tremble... approchons... je chancelle ; |
Il semble qu'un bandeau s'étende sur mes yeux.
ARTHÉSIS.
Ménès vient de partir, j'ai reçu ses adieux,
Je n'ai plus à trembler pour les jours de mon père,
Ombre de mon Amant, je vais te satisfaire ;
475 | Non, je n'entrerai point au lit de ton bourreau, |
Libre, enfin de choisir, je choisis le tombeau.
AMÉNOPHIS, à part.
Elle me parle... ô Ciel, que son discours me touche !
Hélas....
ARTHÉSIS.
Aménophis !
AMÉNOPHIS.
Mon nom est dans sa bouche.
ARTHÉSIS.
Objet évanoui d'une éternelle ardeur,
480 | Toi qui remplis sans cesse et déchires mon coeur, |
Jusqu'ici condamnée au supplice de vivre,
Ton Arthésis n'a pu te venger ni te suivre ;
Du jour avec horreur j'ai souffert la clarté ;
Je touche, grâce au Ciel, au moment souhaité
485 | Qui me va pour jamais rejoindre à ce que j'aime, |
Ah ! Si nous conservons au sein de la mort même
Ce céleste rayon dont l'homme est animé,
Si tout entier, hélas, ! Dans ta tombe enfermé,
Tu n'es pas une cendre insensible et légère,
490 | Si la mort nous rejoint, ô que la mort m'est chère ? |
Mânes infortunés, Mânes que j'ai trahis,
Que mon malheureux sang apaise enfin vos cris !
Elle veut se frapper.
AMÉNOPHIS, arrachant le poignard.
Ô Ciel ! Que faites-vous ?
ARTHÉSIS.
Quelle pitié cruelle,
Elle le reconnaît.
Laissez, Aménophis.
AMÉNOPHIS.
Amante trop fidèle ;
495 | Vous voulez, le rejoindre, il est à vos genoux. |
ARTHÉSIS.
Ah ! Prince... Je me meurs... cher Amant, est-ce vous ?
AMÉNOPHIS.
Oui... Je ne puis parler... mon âme trop émue...
ARTHÉSIS.
Je ne m'abuse point... ô chère et douce vue...
C'est toi... J'en crois, mes yeux et plus encor mon coeur,
500 | Tu vis... je te revois... Ah ! dans ce jour d'horreur, |
Qui l'eut dit qu'Arthésis à l'amertume en proie,
Dût pleurer d'un excès de tendresse et de joie ?
AMÉNOPHIS.
Vois ton amant aussi te baigner de ses pleurs.
ARTHÉSIS.
Cher Prince !... mais hélas ! sais-tu tous nos malheurs
505 | Sais-tu quel est l'époux qui dans ma main tremblante, |
Vient de mettre sa main parricide et sanglante ?
AMÉNOPHIS.
Je sais qu'Arthésis m'aime et que j'ai vu sa main
Prête pour me rejoindre à déchirer son sein ;
Je sais que je t'adore... ô charme de ma vie
510 | Que ces instants sont chers à mon âme attendrie ? |
ARTHÉSIS.
Ces instants seront courts.... et dans ce même lieu,
Il faut nous dire, hélas ! Un éternel adieu.
AMÉNOPHIS.
Quoi !...
ARTHÉSIS.
N'importe, le Ciel a passé mon attente,
Je t'ai revu, tu vis et je mourrai contente,
AMÉNOPHIS.
515 | Vous, mourir ! Quel discours. |
ARTHÉSIS.
Peux-tu t'en étonner ? |
Tu sais à quel époux je viens de me donner,
Ce jour va consommer mon malheur et ma honte,
Puis-je briser, dis-moi, par une mort trop prompte
Des liens que l'horreur et l'opprobre ont tissus.
AMÉNOPHIS, vivement.
520 | Oui, ces noeuds par la mort doivent être rompus ; |
Mais par, celle du monstre à qui tu fus unie.
ARTHÉSIS.
Ce monstre est mon époux, un noeud sacré nous lie,
Je respecte ses jours.
AMÉNOPHIS.
Quoi ! Ces jours détestés !
Quoi, ce Traître ?... Qu'il meure... oui, mon bras...
ARTHÉSIS.
Arrêtés ;
525 | Le Ciel sur moi lui donne un légitime empire, |
Cet époux m'est affreux ; mais tant que je respire,
Il suffit qu'aux autels il ait reçu ma foi,
Je ne sépare plus que ses crimes de moi.
AMÉNOPHIS.
Eh n'espères donc pas qu'aucun frein me retienne
530 | Tu veux mourir ! Ma mort devancera la tienne, |
Je n'ai plus rien à perdre, et rien à ménager.
ARTHÉSIS.
Ah ! Dieux ! Où sa fureur le va-t-elle engager.
Cruel.... Arrêtez.
AMÉNOPHIS.
Non.
Il sort.
SCÈNE IV.
ARTHÉSIS, seule.
Il fuit... Ah ! Malheureuse !...
Il va se perdre... ô Ciel.... une terreur affreuse...
535 | Que faire ! Que résoudre ?... Hélas ! de toutes parts |
C'est le comble des maux qui s'offre à mes regards ;
Ah ! Je succombe au poids du tourment qui me presse...
Dieux dont la main Sur moi s'appesantit sans cesse
Votre oeil pénètre au fond de l'abîme des coeurs,
540 | Ai-je donc mérité cet excès de rigueurs . |
Ou si de la vertu demeure passagère,
Ce monde n'est qu'un lieu d'épreuve et de misère ?
SCÈNE V.
Arthésis, Iphise.
IPHISE.
Ah ! Madame.
ARTHÉSIS.
Quoi donc.
IPHISE.
Tous mes sens sont saisis,
On vient dans ce détour d'immoler Amasis.
ARTHÉSIS.
À part.
545 | Se peut-il... mais fidèle à des noeuds que j'abhorre |
Courons le secourir s'il en est temps encore.
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE.
RAMESSES seul.
Je cherche, en vain le Prince...
SCÈNE II.
Sosis, Ramesses.
SOSIS.
Ami, grâce à Nephté,
Je règne , c'en est fait, et le coup est porté ;
Mais quoiqu'elle ait osé, quelqu'espoir qui l'anime,
550 | Je prétends jouir seul du fruit de ce grand crime ; |
Et je veux, confondant ses voeux ambitieux
Briser de nia grandeur l'instrument odieux.
RAMESSES.
Quoi ! Seigneur...
SOSIS.
Mes desseins ont besoin de ton zèle,
Je ne hasarde rien quand je te les révèle ;
555 | Je connais et je veux récompenser ta foi : |
Apprends donc qu'Arthésis tient mon coeur sous sa loi :
Vainement indigné que l'Amour me surmonte,
Je ne te dirai point mes combats et ma honte ;
Entraîné malgré moi par ce penchant fatal,
560 | Je me suis dans mon frère immolé mon rival ; |
Par les mains de Nephté j'en ai fait ma victime,
Mais je crains d'Arthésis cette vertu sublime,
Qui du nom de forfait prompte à s'effaroucher
Même en me condamnant fait encor m'attacher.
565 | Il me faut écarter jusqu'à l'ombre du doute, |
Je dois perdre d'ailleurs Nephté que je redoute.
RAMESSES.
Mais quel moyen, Seigneur....
SOSIS.
Par les lois de l'État
La veuve du Roi mort juge de l'attentat
Doit des Prêtre d'Isis recevoir l'assistance,
570 | Et du crime avec eux ordonner la vengeance ; |
J'ai fait après le coup arrêter l'assassin,
C'est à Nephté qu'il croit avoir prêté sa main,
Et je veux qu'en secret conduit devant la Reine,
Ce malheureux pressé, s'il le faut, par la gêne,
575 | Parle, et chargeant Nephté du meurtre de son Roi. |
Empêche le soupçon de venir jusqu'à moi.
RAMESSES.
Mais ne craignez vous pas que Nephté ne révèle...
SOSIS.
Non... Je ferai périr son secret avec elle,
Dès que ce meurtrier dont je suis ignoré,
580 | La nommant sa complice aura tout déclaré. |
Mais son frère Méphrès commande ici la garde,
Il faudra m'en répondre et ce soin te regarde.
Dispose tout sans bruit, afin qu'en sûreté
Sur mon ordre, d'abord, il puisse être arrêté,
585 | Et qu'il soit mis à mort s'il faisait résistance, |
La place de Méphrès sera ta récompensé.
RAMESSES.
Seigneur....
SOSIS.
La Reine vient ; laisse-nous.
RAMESSES, à part en se retirant.
Ô mon Roi !
Voici l'heureux instant de signaler ma foi,
Assemblons ses amis, ressuscitons leur zèle.
SCÈNE III.
Sosis, Arthésis, Iphise.
ARTHÉSIS, à Iphise.
590 | Ah ! Cette incertitude, Iphise, est trop cruelle, |
Qu'est devenu le Prince ! Ô Ciel... Ah ! Que je crains...
À Sosis.
Eh bien, ce meurtrier.
SOSIS.
Il est entre nos mains ;
Mais s'il vous faut montrer mon âme toute nue,
À la fureur d'autrui je crois sa main vendue.
595 | L'espoir de la Couronne avait flatté Nephté, |
Madame et son dépit n'a que trop éclaté ;
Il s'est même emporté jusques à la menace,
Et de son coeur altier vous connaissez l'audace.
ARTHÉSIS.
Quoi, vous la soupçonnez de cet excès d'horreur ?
SOSIS.
600 | Un grand espoir trompé souvent tourne en fureur ; |
Mais quiconque ait armé la main du parricide,
On vous va par mon ordre amener ce perfide,
J'ai cru qu'il importait avant qu'il fut jugé,
Que par vous en secret il fût interrogé ;
605 | Je reviendrai savoir ce qu'aura dit le Traître, |
Jusques-là devant lui je ne veux point paraître.
ARTHÉSIS.
Quelle raison...
SOSIS.
L'accès, aux soupçons est ouvert,
On impute le crime à qui le crime sert,
Et je veux écarter l'ombre la plus légère :
610 | Ah que je plains le sort de mon malheureux frère, |
Il expire au moment qu'il venait d'être à vous ;
Et sans doute les Dieux de son bonheur jaloux,
Aux destins d'un mortel ont envié vos charmes.
ARTHÉSIS.
Dites qu'ils l'ont puni : que touchés de mes larmes :
615 | Quand j'allais par ma mort rompre un fatal lien, |
Les Dieux ont prévenu mon trépas par le sien.
SOSIS.
Mon Frère en vous aimant fut coupable peut-être,
Mais qui pourrait vous voir, Madame, et ne pas l'être ?
Héritier de son trône et de ses sentiments...
ARTHÉSIS.
620 | Qu'entends-je ? |
SOSIS.
Cet aveu demande un autre temps ; |
Oui, si mon coeur trop plein a rompu le silence....
Arthésis le regardant avec dédain et surprise.
Madame, pardonnez... ce discours vous offense,
Et je lis dans vos yeux un courroux.
ARTHÉSIS.
Sosis, non,
Voyez-y le mépris et l'indignation.
SOSIS.
625 | Ah ! Madame. |
ARTHÉSIS, du ton le plus imposant.
Sosis, il suffit. |
SOSIS.
Je vous laisse, |
Mais il faut devant vous que l'assassin paraisse ;
Et dans ces lieux, Madame, on va vous l'amener.
SCÈNE IV.
Arthésis, Iphise.
ARTHÉSIS.
Une telle impudence a droit de m'étonner ;
Ciel me voir jusques-là par le sort abaissée !
630 | Mais, qu'un autre intérêt occupe ma pensée ! |
Le Prince.... Ah ! Que je crains que dans son désespoir.
SCÈNE V.
Arthésis, Aménophis enchaîné, Iphise.
IPHISE.
Voici ce meurtrier.
ARTHÉSIS.
Je tremble de le voir...
C'est lui.... Dieux !... Je me meurs.
AMÉNOPHIS, allant à elle.
Arthésis !
ARTHÉSIS.
Ah ! Barbare...
AMÉNOPHIS.
Tu vois l'affreux destin qui pour moi se prépare,
635 | Du sort qui me poursuit, jouet infortuné ; |
On traîne devant toi ton amant enchaîné :
Mais il rend grâce au Ciel, puisqu'à tes pieds encore.
Il peut te dire, adieu, je meurs et je t'adore.
ARTHÉSIS.
Cruel !... Il me remplit de tendresse et d'horreur,
640 | Ah ! Fallait il en croire une aveugle fureur ! |
Qu'as-tu fait !
AMÉNOPHIS.
Que dis-tu ? Quelle erreur.
ARTHÉSIS.
À sa vue,
La terreur... la pitié... ce spectacle me tue ;
Juste Ciel !... et c'est toi qui me l'as préparé...
Au sein de mon époux ton bras désespéré...
AMÉNOPHIS.
645 | Non... |
ARTHÉSIS.
Du sang d'Amasis, quoi cette main fumante |
Presse encor mes genoux !...
AMÉNOPHIS.
Ma main est innocente.
ARTHÉSIS.
Aux mânes paternels tu devais sans trépas,
Je le fais, je connais tes droits, ses attentats
Il était un tyran, le Ciel te fit son maître ;
650 | Mais un Prince, jamais doit-il agir en traître ? |
S'il a droit de punir ce n'est qu'avec la loi,
Et tout assassinat est indigne d'un Roi.
AMÉNOPHIS.
Je ne l'ai point commis,
ARTHÉSIS.
Tout dépose et t'accuse.
AMÉNOPHIS.
Sors, te dis-je, d'erreur ; l'apparence t'abuse.
ARTHÉSIS.
655 | Quoi ! Prince... |
AMÉNOPHIS.
J'avouerai qu'éperdu, furieux, |
Accusant toi,le sort, les hommes et les Dieux ;
Ne prenant désormais que la rage pour guide,
Mon coeur ne respirait que la mort du perfide,
Que ( dût-il de sa chute en mourant m'accabler )
660 | À ma juste fureur je courais l'immoler, |
Mais prévenant mes coups, et lavant son offense,
Un autre.
ARTHÉSIS.
Ciel ! Un autre.
AMÉNOPHIS.
A ravi ma vengeance,
De l'ombre de mon père il a calmé le cri,
Le sang de ce barbare a sur moi rejailli ;
665 | J'ignore par quel bras lents à punir le crime, |
Les Dieux ont à mes pieds étendu la victime.
ARTHÉSIS.
Ah! cher Prince... Eh comment... Par quel coup imprévu...
AMÉNOPHIS.
Je te quittais à peine et craignais d'être vu,
Lorsque dans ce détour éclairé d'un jour sombre,
670 | J'ai cru voir un poignard étinceler dans l'ombre. |
Les airs d'un cri perçant soudain retenti,
J'ai couru vers l'endroit d'où le bruit est parti ;
Un malheureux atteint d'une main meurtrière
A fait en chancelant quelques pas en arrière ;
675 | Il tombe, je m'approche et mes yeux satisfaits, |
Du perfide Amasis ont reconnu les traits :
Son âme pousse alors un soupir qui l'entraîne,
Soudain la Garde accourt, me saisit et m'enchaîne.
ARTHÉSIS.
Et tu t'es vu soumis à cette indignité !
680 | Mais, ô Ciel, que résoudre en cette extrémité ? |
Comment sauver tes jours des fureurs d'un barbare?
Ô du sort irrité, jeu cruel et bizarre !
Elle le regarde et détourne vivement ses yeux de lui.
AMÉNOPHIS.
D'où vient que tes regards se détournent de moi ?
ARTHÉSIS.
Je ne puis soutenir l'état où je te vois.
AMÉNOPHIS.
685 | Tout affreux qu'est mon sort, il est digne d'envie, |
Tu m'aimes.
ARTHÉSIS.
Eh, que peut cet amour pour ta vie ?
Mon coeur frémit, en vain, à l'aspect de tes fers
Je ne puis les briser.
AMÉNOPHIS.
Ah ! Tu les rends légers.
ARTHÉSIS.
Cher Prince !
AMÉNOPHIS.
Mais tu sais qu'à son prince fidèle,
690 | Le hardi Ramesses... |
ARTHÉSIS.
Eh ! Que pourra son zèle ! |
Bientôt pour te juger les prêtres de nos Dieux.
AMÉNOPHIS.
Ils jugeraient leur maître ?
ARTHÉSIS.
Oui... N'espères rien d'eux !
Ce n'est plus dans Memphis ces prêtres respectables
Révérés des bons Rois, aux Tyrans redoutables ;
695 | À l'exemple des Dieux, justes et bienfaisants, |
Qui juges des Rois morts qu'ils respectaient vivants
Pesaient sans passion leur conduite passée,
À leurs mânes ouvraient ou fermaient l'Élysée,
Aujourd'hui devenus de lâches courtisans,
700 | Aux seuls Dieux de la terre ils prodiguent l'encens, |
Et de la tyrannie organes et ministres,
Prêtent la voix du Ciel à ses ordres sinistres,
Ils oseront juger et condamner leur Roi,
Le pouvoir est leur Dieu, l'intérêt est leur loi.
AMÉNOPHIS.
705 | Eh bien, s'il faut périr, mon courage me reste, |
Il sera ma ressource.
ARTHÉSIS.
Ah ! Ressource funeste !
AMÉNOPHIS.
Ne désespérons point... vas, peut-être, les Dieux
Ne semblent m'accabler que pour m'éprouver mieux,
Souvent ainsi que l'or s'affine dans les flammes,
710 | Au creuset du malheur ils épurent nos âmes. |
ARTHÉSIS.
Tu flattes ma douleur... mais, cher Prince, Sosis
Ignore qu'en ses mains il tient Aménophis ;
Il faudrait....
AMÉNOPHIS.
S'il me voit, il va me reconnaître.
ARTHÉSIS.
Ah ! Peut-être, on pourrait... Dieux ! Je le vois paraître.
SCÈNE VI.
Arthésis, Aménophis, Sosis.
SOSIS.
715 | A-t-il dit quelle main l'arma contre son Roi, |
Madame ? Et savez-vous... mais qu'es-ce que je vois ?
Il la reconnaît.
AMÉNOPHIS.
Ton maître...
SOSIS.
Juste ciel ! Ma surprise est extrême,
Aménophis vivant !
AMÉNOPHIS.
Oui, c'est ton Roi lui-même ;
Que comme un vil mortel entouré de forfaits,
720 | Tu vois chargé de fers en son propre palais ; |
Et qui souffre pourtant d'une âme moins émue,
L'opprobre de ses fers que l'horreur de ta vue.
SOSIS.
Vous pouvez tout permettre à votre désespoir,
Prince, l'outrage cesse où manque le pouvoir ;
725 | Quant à vos mains de fers honteusement chargées, |
Songez qu'au sein d'un Roi vous les avez plongées ;
Des plus vils scélérats ce coup atteint l'effort,
Imiter leurs forfaits, c'est mériter leur sort.
ARTHÉSIS.
Non, le Prince n'a point immolé votre frère...
SOSIS.
730 | Quoi... |
AMÉNOPHIS.
Je m'en vanterais, si je l'avais su faire, |
J'ignore de quel bras les Dieux se sont servi,
Cet honneur m'était dû, mais on me l'a ravi.
SOSIS.
Cessez de feindre, Prince.
AMÉNOPHIS.
Eh, qui peut m'y contraindre ?
Qui n'a point à rougir s'abaisse-t-il à feindre ?
735 | Si le coup par ma main avait été porté, |
Je te l'ai déjà dit, je m'en serais vanté :
Eh, de quel front, dis-moi, complice d'un perfide
Teint du sang de tes Rois, noirci d'un parricide,
Pourrais-tu reprocher à ton maître outragé,
740 | Un meurtre que j'envie et qui m'aurait vengé ? |
Apprends-moi de quel droit un monstre qui m'opprime.-....
SOSIS.
Mon pouvoir est mon droit, ta faiblesse est ton crime :
Oui, le Droit, ce vain nom par le faible inventé,
S'il n'a pour lui la force est sans réalité,
745 | Tu réclames en vain le sang qui t'a fait naître, |
Il fallait en vainqueur nous annoncer un maître ;
Quand le sort a jugé, ce n'est plus qu'aux vaincus
Que les noms de perfide et de tyran sont dûs.
AMÉNOPHIS.
Ciel !...
ARTHÉSIS.
D'un Tyran, Sosis, ce sont là les maximes,
750 | La force fait son droit, ses titres sont ses crimes ; |
Il brave l'équité, mais, du remord vengeur
L'épouvantable cri tonne au fond de son coeur.
SOSIS.
Je règne, il me suffit... qu'on l'ôte de ma vue.
AMÉNOPHIS.
Monstre donne à ta rage une libre étendue,
755 | Sans me faire trembler tu me verras périr. |
ARTHÉSIS, à part.
Voyons si Ramesses pourra le secourir.
SOSIS, seul.
Par quel prodige, ô Ciel ! Que je ne puis comprendre,
Le Prince tout-à-coup renaît-il de sa cendre ?
Il respire.... et c'est lui dont a fait choix Nephté....
SCÈNE VII.
Ramesses, Sosis.
RAMESSES, à part.
760 | Dieux ! Que viens-je de voir ? Le Prince est arrêté. |
SOSIS.
Il faut que je pénètre au fond de ce mystère...
À Ramesses.
Sais-tu par qui Nephté s'est immolé, mon frère ?
RAMESSES.
Non, mais Nephté, Seigneur., vous mande en ce moment
Qu'elle attend de vous-même un éclaircissement ;
765 | Et ne fait que penser d'un prétendu coupable, |
Qu'en vos mains[...]
SOSIS.
Ce n'est pas l'assassin véritable ?
RAMESSES.
Cet assassin n'est plus : elle-même a pris soin
De faire disparaître un dangereux témoin.
SOSIS.
Fortune, tu fais plus, souvent que la prudence :
770 | Mon ennemi revit, une heureuse apparence |
En fait un assassin et mie livre son sort,
Pour s'affermir mon trône a besoin de sa mort,
De l'arbre de nos Rois c'est là dernière tige,
Il faut l'abattre.
RAMESSES, à part.
Ciel !
SOSIS.
Ma sûreté l'exige.
RAMESSES.
À part.
775 | Ah ! Barbare... |
Haut.
Seigneur, je vous offre ma main, |
Ordonnez, et bientôt...
SOSIS.
Mon esprit incertain,
Sur le choix des moyens est encore en balances ;
Mais je vais de Nephté calmer la défiance
Je fais comme envers elle il me faut acquitter,
780 | Nephté ne sera pas longtemps à redouter. |
SCÈNE VIII.
RAMESSES, seul.
L'affreux danger du Prince et m'étonne et me glace,
Ciel ! Comment détourner le coup qui le menace.
Mes soins ont en secret rassemblé ses amis,
Mais contre un tel revers seront-ils affermis ?
785 | Ne me refuse pas, ô ! Ciel, ton assistance, |
Mais pour mieux l'obtenir armons-nous de constance,
D'un zèle actif et ferme employons les ressorts,
Le Ciel sourd à nos voeux exauce nos efforts ;
De nos biens, de nos maux il est l'unique source,
790 | Mais au sein du courage il a mis la ressource. |
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE.
Sòsis, Nephté.
NEPHTÉ.
Les droits d'Aménophis ne sont que trop certains,
Vous le savez, Seigneur, il est entre vos mains ;
Et cependant il vit : la soif du rang suprême,
Vous a fait immoler votre frère lui-même,
795 | Muets dans votre coeur le sang et l'amitié |
N'ont obtenu pour lui ni remord, ni pitié,
Pourquoi le Prince encor, tarde-t-il à le suivre ?
SOSIS.
Ce n'est pas pour longtemps que je le laisse vivre.
NEPHTÉ.
Mais il vit, et ses droits et surtout ses malheurs
800 | Vont des peuples pour loi solliciter les coeurs ; |
Et peut-être ils croiront que pour leur rendre un maître,
Le Ciel du sein des morts l'a fait exprès renaître.
Le Peuple qui gémit sous le poids du pouvoir
Saisit avidement le plus frivole espoir,
805 | La nouveauté lui plaît : malheureux et volage, |
Il croit changer de sort en changeant d'esclavage.
SOSIS.
En immolant le Prince, il importe à mes droits
Qu'il paraisse tomber sous le glaive des lois ;
Je le puis sans danger et votre crainte est vaine,
810 | Je veux de son trépas ne point porter la haine ; |
Et qu'en le condamnant, les pontifes d'Isis
Légitiment mon règne et celui d'Amasis ;
Je n'en imposerai, sans doute, qu'au vulgaire,
Mais c'est à lui, surtout, qu'il importe de plaire ;
815 | D'une vaine apparence il le faut éblouir, |
Et l'art de le tromper est l'art de le régir.
NEPHTÉ.
Eh, Seigneur, qu'un vil peuple à son gré nous haïsse,
Il ne faut pas qu'il aime, il faut qu'il obéisse ;
Un Roi consulte peu si l'on aime ou l'on hait,
820 | Sa règle est ce qui sert et non pas ce qui plaît. |
SOSIS.
Je le fais : mais aussi, je fais qu'un Prince habile,
Ne se charge jamais d'une haine inutile :
Enfin croyez qu'à tout ma prudence a pourvu.
NEPHTÉ.
La prudence, Seigneur, n'a jamais tout prévu
825 | La loi veut que la Reine au jugement préside.... |
SOSIS.
Mais son suffrage seul n'est pas ce qui décide,
On l'observe, et d'ailleurs j'ai fait semer des bruits
Qui contre elle déjà prévenant les esprits,
Avec Aménophis l'a font d'intelligence,
830 | Les Pontifes d'Isis sont dans ma dépendance, |
Ces Juges qui pour loi, n'ont que ma volonté,..
Prononceront l'arrêt que je leur ai dicté ;
La Reine, si sa voix osait y contredire,
Passerait pour complice et ne pourrait pas nuire ;
835 | Enfin, quoiqu'il arrive, il ne peut m'échapper, |
Ses jours sont dans ma main et je n'ai qu'à frapper.
NEPHTÉ.
Vous avez pris, Seigneur, de très justes mesures ;
Je le crois, mais je sais qu'il n'en est point de sûres,
Qu'au moment que du sort on se croit à couvert,
840 | Trop souvent arrivé, l'impossible nous perd. |
SOSIS.
Fiez-vous à mes soins : j'attends ici la Reine,
Allez,... le jour qui suit, formera notre chaîne ;
J'espère, dès demain unissant nos destins,
Voir mon sceptre, Madame, embelli par vos mains ;
845 | Mais je veux dès ce jour par la coupe sacrée, |
Vous garantir la foi que je vous ai jurée.
SOSIS, seul.
Vas, je saurai bientôt dégager cette foi,
Tu pourras chez les morts t'aller plaindre de moi.
SCÈNE II.
Sosis, Arthésis.
SOSIS.
Madame, savez-vous qu'attaquant votre gloire?
850 | Un bruit qu'avec mépris j'ai refusé de croire . |
Se répand dans le peuple et s'en fait écouter ?
ARTHÉSIS.
Eh, qu'es[t]-ce que ma gloire en pourrait redouter ?
J'ignore contre moi ce qu'ose l'imposture,
Mon âme fut toujours inaltérable et pure ;
855 | Quelque soit un vain bruit que le mépris confond, |
Ma gloire est à couvert : la vertu m'en répond.
SOSIS.
Vous savez que toujours l'imbécile vulgaire,
Libre dans ses discours, ou plutôt téméraire ,
Aux soupçons les plus vains se livre avec plaisir,
860 | Et qu'envieux des Grands il aime à les noircir : |
L'Assassin vous fût cher, on vous croit sa complice
ARTHÉSIS.
On ose...
SOSIS.
À vos vertus je rends plus de justice ;
Et vous allez vous-même en rehausser l'éclat,
En condamnant le Prince et vengeant l'attentat.
ARTHÉSIS.
865 | Si sa main l'eut commis, ce que vous nommez crime, |
Serait de sa justice un acte légitime,
Mais sans examiner s'il eut droit d'en user,
Sosis, est-ce bien lui qu'il en faut accuser ?
SOSIS.
Quel autre...
ARTHÉSIS.
Je ne sais ; mais mieux fondés peut-être,
870 | Si mes soupçons ont droit à leur tour de paraître, |
Pour, connaître l'auteur du meurtre d'Amasis,
Je crois qu'il ne faudrait qu'interroger Sosis.
SOSIS.
Moi !
ARTHÉSIS.
Vous-même , et s'il faut en dire davantage,
C'est vous qui d'Amasis recueillez l'héritage,
875 | Votre frère en la tombe à peine est descendu, |
Sans respect pour sa cendre et pour ce qui m'est dû
Vous m'osez révéler une odieuse flamme,
Qui même avant sa mort...
SOSIS.
Je vous entends, Madame,
Et vois trop quel motif vous fait ici parler,
880 | Vous chercheriez en vain à le dissimuler ; |
Le Prince... mais songez que sa perte est certaine,
Qu'on sait qu'il vous fût cher et qu'une pitié vaine
Des soupçons du public confirmerait l'erreur.
Il sort.
ARTHÉSIS? seule.
Dieux ! Vous n'aviez frappé jusqu'ici que mon coeur ;
885 | On attaque aujourd'hui jusqu'à ma gloire même? |
Mais de quoi m'occupai-je en ce péril extrême ?
SCÈNE III.
Arthésis, Ramesses.
ARTHÉSIS.
Eh bien, as-tu du Prince assemblé les amis ?
Qu'as-tu fait, Ramesses, et que t'ont-ils promis ?
RAMESSES.
Pleins de zèle pour lui, sa prison les étonne.
ARTHÉSIS.
890 | Ô Prince malheureux ! Ainsi tout l'abandonne. |
RAMESSES.
J'ose encore espérer ; mais, Madame, en ces lieux
Près de vous à l'instant les prêtres de nos Dieux
Pour y juger leur Maître oseront prendre place,
Contraignez-vous de grâce à souffrir cette audace.
ARTHÉSIS.
895 | Qui, moi ! |
RAMESSES.
Sosis sans forme usant de son pouvoir ; |
Pourrait tromper d'un coup mon zèle et mon espoir,
C'est tout ce que je crains : votre auguste présence
Sur les Prêtres d'Isis aura quelque puissance,
Votre rang, vos vertus s'attirant leur respect...
900 | Mais on vient ; je craindrais de me rendre suspect. |
Et je sors ; mais comptez à quoique je m'expose,
Que pour sauver mon maître il n'est rien que je n'ose.
SCÈNE IV.
Arthésis, Un officier.
UN OFFICIER.
Les Pontifes d'Isis....
ARTHÉSIS.
Ciel !... qu'on les fasse entrer.
SCÈNE V.
Le grand-prêtre, deux de ses collègues, Arthésis.
ARTHÉSIS, se met dans un fauteuil, Le Grand-prêtre et ses deux collègues se placent sur des sièges à sa gauche.
Prenez place... d'horreur je me sens pénétrer.
SCÈNE VI.
L'OFFICIER, au Prince.
905 | Voilà vos juges. |
ARTHÉSIS.
Prince.... |
AMÉNOPHIS, l'interrompant.
Ah ! Pardonnez, Madame ; |
Mais l'indignation s'empare de mon âme,
Des Juges ! Tant qu'il vit en est il pour un Roi ?
Que du droit des Tyrans Sosis use envers moi,
Et que digne héritier de son barbare frère,
910 | Sa parricide main joigne le fils au père, |
Mais qu'il n'espère pas que dégradant mes droits,
Je laisse en ma personne avilir tous les Rois :
Vous, si vous n'êtes point les complices d'un traître?
Tombez, Prêtres d'Isis, aux pieds de votre Maître :
915 | Ce n'est que parvenus à leur terme fatal, |
Que les Rois sont sujets à votre tribunal ;
Amasis sur le trône élevé par le crime,
Ne vit plus : exercez un pouvoir légitime,
Osez par son exemple effrayer les tyrans,
920 | Que privés du tombeau ses mânes soient errants ; |
Et reçoivent, couverts à jamais d'infamie
Le tribut flétrissant qu'a mérité sa vie,
À la crainte, à l'espoir osez fermer les yeux,
Et libres d'intérêt jugés comme les Dieux.
LE GRAND-PRÊTRE.
925 | Prince, n'ajoutez point l'outrage à votre crime, |
Amasis devint Roi par un droit légitime,
Sosis l'est après lui.
AMÉNOPHIS.
Ces deux tyrans, vos Rois ?
Eh, qui de mes aïeux leur a transmis les droits ?
LE GRAND-PRÊTRE.
Le peuple qui jadis a choisi vos ancêtres :
930 | L'intérêt dé l'État demandait d'autres maîtres : |
Le sceptre fût toujours un dépôt parmi nous,
Mis dans la main d'un seul pour le bonheur de tous,
Si celui qui n'en est que le dépositaire
En fait des maux publics l'instrument arbitraire :
935 | Né pour les maintenir, s'il viole les lois. |
Le peuple devient libre et rentre en tous ses droits,
Telle est du trôné, ici, la loi fondamentale.
AMÉNOPHIS, vivement.
Non, et vous savez trop que cette loi fatale
D'une guerre intestine éternel aliment,
940 | N'est pour les factieux qu'un mot de ralliement, |
Que bientôt sous son nom le trouble, et l'anarchie
Sur les débris du trône et de la Monarchie ;
Ne laisseraient asseoir qu'un fantôme de Roi ;
Mais dût-on supposer que telle fût la loi,
945 | Quel Roi, Père du Peuple, obtint ce titre auguste, |
Qui fût plus qu'Apriès et bienfaisant et juste ?
N'a-t-on pas toujours vu l'audace et l'attentat,
Prétexter sans pudeur l'intérêt de l'État ?
L'assassin de son Roi ceindra le Diadème,
950 | Et d'un peuple fidèle opprimé par lui-même ; |
Tandis que la terreur enchaînera la voix,
Ce scélérat heureux alléguera les droits !
Et vous autorisez ces maximes sinistres !
Dieux justes ! Dieux vengeurs ! Sont-ce là vos Ministres !
955 | Pontifes qui d'Isis profanez les autels, |
Méprisables objets du respect des mortels,
Pour vous les asservir, instruits en l'art de feindre,
Méprisez-vous les Dieux que vous nous faites craindre ?
LE GRAND-PRÊTRE.
Punir les assassins, c'est honorer Isis,
960 | Vos mains fument encor du meurtre d'Amasis ; |
Prince, sans recourir à de vains subterfuges,
Qu'avez-vous sur ce crime à répondre à vos juges !
AMÉNOPHIS.
Que ma main de ce monstre ait puni l'attentat,
Ou que barbare auteur de cet assassinat,
965 | Le perfide Sosis dépouillant toute honte, |
D'un sang versé par lui m'ose demander compte ;
Je n'ai rien à répondre... Ordonnez mon trépas,
Je ne reconnais point de juges ici bas :
Sous un nom révéré, vils organes d'un traître,
970 | Vous pouvez à la mort envoyer votre Maître ; |
J'ai trop longtemps moi-même oublié qui je suis,
Et c'est à mon silence à marquer mon mépris.
Il se retire.
SCÈNE VII.
Arthésis, Le Grand-prêtre, ses deux collègues.
ARTHÉSIS, à part.
Ciel ! Que ton secours m'affermisse et m'éclaire,!
Haut.
Ministres de nos Dieux, Pontifes qu'on révère,
975 | Vous qui jugez les Rois quand leurs jours étant pleins, |
Le tombeau les égale au reste des humains,
L'Égypte de ses Dieux honore en vous l'image :
Mais si vous partagez avec eux notre hommage,
C'est qu'on croit voir en vous, ce qu'on adore en eux.
980 | C'est qu'on croit qu'en vos coeurs voués aux malheureux |
Le faible a son asile et la vertu son temple.
Ce jour en doit offrir un mémorable exemple :
Sur vous en ce moment tous les yeux sont ouverts,
Pour juge, et pour témoin vous avez l'Univers ;
985 | Ce jour va de vos coeurs approfondir l'abîme, |
Et nous montrer en vous une vertu sublime ;
Ou d'indignes mortels à la faveur vendus,
Couvrant leur intérêt, du masque des vertus.
Pour moi quelque soupçons que l'imposture sème.
990 | Je ne balance point : mon juge est dans moi-même ; |
Et je compte pour rien des bruits injurieux,
Lorsque j'ai pour garants et mon coeur et les Dieux :
Dût ma gloire en souffrir, c'est la vertu suprême
D'immoler au devoir jusqu'à sa gloire même.
995 | Je n'écoutai que lui, quand, malgré mon horreur, |
On me vît à l'Autel suivre un usurpateur ;
Mais du moment fatal que je lui fus unie,
Au prix de tout mon sang j'aurais sauvé sa vie,
Et brisant mes liens, sans lui manquer de foi,
1000 | Mon juste désespoir n'eut immolé que moi : |
Il n'est plus, je le plains ; mais peut-on méconnaître
La conduite des Dieux dans le crime d'un traître ?
Dès longtemps à leur trône accusant un tyran,
Le sang des Rois croit et demandait son sang,
1005 | Tôt ou tard le jour vient où leur justice lance |
L'inévitable trait forgé par la vengeance.
Vous, tremblez, si du crime autorisant les droits,
Vous vendez à Sosis le suffrage des lois :
Il accuse le Prince, et lui seul est coupable,
1010 | N'en doutez pas, c'est lui dont le bras détestable |
Dans le sein de son frère enfonça le couteau,
Il s'en dit le vengeur, il en est le bourreau.
LE GRAND-PRÊTRE.
Mais contre Aménophis, Madame, tout dépose.
ARTHÉSIS.
Jeu cruel du Destin dont l'apparence impose.
1015 | Le Prince est innocent, j'en atteste le Ciel, |
Son seul juge aujourd'hui, s'il était criminel ;
Mais il est dans les fers d'un tyran redoutable,
La vertu ma[l]heureuse en est plus respectable ;
Faites votre devoir, laissez le reste aux Dieux,
1020 | Songez qu'entre les mains de ce monstre odieux |
Le Prince sans appui n'est pas moins votre maître,
Qu'il en sera plus beau d'oser l'y reconnaître :
Eh, qui fait ce que peut un effort généreux ?
Courbé sous le fardeau ce peuple malheureux ;
1025 | Nourrit au fond du coeur une secrète rage, |
Qu'il reçoive de vous l'exemple du courage,
Osez mettre le trône à l'abri de l'autel,
Ce peuple à votre voix qu'il croit celle du Ciel,
Va défendre son Roi, va s'armer contre un Traître,
1030 | Et secouant ses fers l'en écraser peut-être. |
Mais que le sort remplisse ou trompe votre espoir,
Sachez que le péril anoblit le devoir
Qu'il n'est point de vertu lorsqu'il n'est point d'épreuve,
Qu'on attend de la vôtre une éclatante preuve,
1035 | Et que les Dieux enfin par vous représentés |
Pour l'être dignement veulent être imités...
Prononcez....
Le Grand-Prêtre se lève et prend l'avis de ses deux collègues ce qui doit être fort court.
Je frémis... Ah ! Sinistre présage,
Je vois le crime écrit sur leur sombre visage,
Quel sera ton destin, ô Prince infortuné !
Au Grand-Prêtre.
1040 | Eh bien donc. |
LE GRAND-PRÊTRE.
À la mort le Prince est condamné. |
ARTHÉSIS.
Ah ! Barbares ! Mais non... cette horrible sentence...
Non... j'ai mal entendu... vous gardez le silence...
Parlez, de votre Roi qu'avez-vous ordonné ?
LE GRAND-PRÊTRE.
Je l'ai dit à regret : le Prince est condamné.
ARTHÉSIS, après avoir jeté sur eux le regard du plus vif mépris.
1045 | Qu'on le fasse rentrer. |
SCENE VIII.
Arthésis, Aménophis, Les prêtres, Gardes.
ARTHÉSIS, au Prince.
Un arrêt parricide, |
Abandonne vos jours aux fureurs d'un perfide,
Ces monstres sont armés du glaive de la loi,
Ils osent s'en servir pour égorger leur Roi.
Vous êtes condamné, Prince, votre grande âme
1050 | Entend, sans se troubler, ce jugement infâme, |
Et je saurai moi-même en ce moment affreux,
Ne rien faire éclater d'indigne de tous deux.
Aux Juges.
Oui, laissez-nous.
SCÈNE IX.
Arthésis, Aménophis.
ARTHÉSIS.
Mes pleurs inondent mon visage, [ Il faut qu'en disant ce couplet on voie que la douleur la gagne par degrés.]
J'ai senti qu'ils allaient démentir mon courage ;
1055 | J'ai dû leur épargner des témoins odieux ; |
Mais je puis sans rougir être faible à tes yeux.
AMÉNOPHIS.
Verse tes pleurs au sein d'un amant qui t'adore,
Et n'a plus qu'un moment à te le dire encore,
C'est à les essuyer que je veux occuper
1060 | Les rapides instants qui nous vont échapper. |
ARTHÉSIS.
Ah ! Prince...
AMÉNOPHIS.
Pénétré de ta douleur extrême,
Ô, ma chère Arthésis, je m'attendris moi-même,
Tandis que mon amour cherche à te consoler,
Je sens que ma constance est prête à s'ébranler,
1065 | Ah ! Quoiqu'à ta pitié mon coeur trouve des charmes, |
Je deviendrais trop faible à voir couler tes larmes,
Des pleurs, même, des pleurs échappent de mes yeux,
C'en est trop... j'en rougis... terminons nos adieux.
ARTHÉSIS.
Vas, des pleurs d'un Héros l'humanité s'honore,
1070 | Un grand homme sensible en est plus grand encore. |
AMÉNOPHIS.
D'un Barbare aisément je brave les fureurs,
Mais, ma chère Arthésis, tu m'aimes et je meurs.
ARTHÉSIS, vivement.
Je t'aime et nous mourons.
AMÉNOPHIS.
Vis... mais je vois ce traître ;
Je sens ma fermeté toute entière renaître,
1075 | Et toi cache surtout tes larmes à Sosis. |
ARTHÉSIS.
Ah ! Malgré mon amour ne crains pas qu'Arthésis,
Aux pieds de ce cruel indignement s'abaisse,
Et qu'y faisant parler la douleur qui me presse,
Je cherche par mes pleurs, en vain, à l'attendrir,
1080 | Je ne fais plus pleurer, mais je saurai mourir. |
SCÈNE X.
Arthésis, Aménophis, Sosis.
SOSIS, qui a entendu les derniers vers.
Eh bien, Madame, il faut m'expliquer sans mystère,
Le Prince a contre lui le meurtre de mon frère,
Sa naissance ses droits et sur tout votre amour :
Ma sûreté , mon coeur tout exige en ce jour
1085 | Que je livre au trépas un rival que j'abhorre, |
Je pourrai cependant lui faire grâce encore.
AMÉNOPHIS.
À ton Roi ! Toi Tyran ?
SOSIS.
Loin des rives du Nil,
Loin de vous il vivra, Madame.
ARTHÉSIS.
Que faut-il [?]
SOSIS.
Vous et moi nous jurer une foi mutuelle...
1090 | Vous ne répondez point... |
ARTHÉSIS, à Aménophis.
Quelle mort plus cruelle, |
Sa rage contre nous pourrait-elle inventer ?
Se tournant vers Sosis.
Non.
AMÉNOPHIS.
Je n'avais pas craint de vous voir hésiter.
ARTHÉSIS.
Va, je ne ferai point à tous deux cet outrage :
Je l'avouerai, ta mort étonne mon courage,
1095 | Je t'aime, mais cher Prince, et tes jours et les miens |
Seraient trop achetés par d'indignes liens.
Aux destins d'un Tyran l'hymen m'avait unie ;
Mais ce qui, pour sauver mon père et ma patrie
Fut grandeur d'âme alors et générosité
1100 | Deviendrait aujourd'hui faiblesse et lâcheté. |
Prince, il vaut mieux mourir qu'être indignés de vivre.
SOSIS.
Ainsi, donc...
ARTHÉSIS, au Prince.
Ne crains pas que je tarde à te suivre.
AMÉNOPHIS.
Vivez...
ARTHÉSIS.
Épargne-toi cet effort importun,
Et par un sentiment moins faible et moins commun,
1105 | Fais voir que dans une âme et généreuse et belle, |
L'Amour n'inspire rien que d'élevé comme elle.
La mort n'est point un mal... non... puisqu'il est des Dieux,
Et que le scélérat la donne au vertueux.
SOSIS.
Madame...
ARTHÉSIS, à Sosis.
Et toi, tandis que la vengeance apprête
1110 | Le glaive menaçant suspendu sur ta tête, |
Vis pour sentir en toi, pour lire dans ton coeur
Ce que tu dois causer de mépris et d'horreur.
SOSIS.
Ah ! C'est trop endurer et trop longtemps me taire,
Vous le voulez, eh bien, il faut vous satisfaire ;
1115 | Et puisqu'en vain sa grâce est offerte à vos voeux, |
Madame, il va périr.
ARTHÉSIS.
Nous périrons tous deux.
SOSIS.
Non c'est trop vous flatter d'une espérance vaine,
Il mourra, vous vivrez : Gardes, qu'on le remène,
Et que tout pour sa mort soit prêt dans peu d'instants.
AMÉNOPHIS.
1120 | Adieu, Madame. |
ARTHÉSIS.
Vas, ce n'est pas pour longtemps ; |
Je te suivrai bientôt, et malgré ce barbare,
La mort nous rejoindra, si la mort nous sépare.
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE.
Nephté, Ramesses.
NEPHTÉ.
Le croirai-je, grands Dieux ? Jour affreux, qui m'a lui !
Sosis règne par moi, je périrais par lui ?
1125 | Sur le front d'Arthésis il ceindrait la Couronne ! |
Mais d'où peut naître en vous un zèle qui m'étonne ?
Quel intérêt vous parle en faveur de Nephté ?
Ramesses à quoi dois-je...
RAMESSES.
À la nécessité
Je ne veux point pour vous me parer d'un faux zèle?
1130 | Votre intérêt, ici, n'est point ce qui m'appelle, |
Madame, sans détour il faut me découvrir,
Je suis Aménophis.
NEPHTÉ.
Qu'entends-je [?]
RAMESSES.
Il va périr.
La Garde du Palais dépend de votre frère,
Et je sais que pour vous il est prêt à tout faire,
1135 | Un gros d'amis du Prince assemblés en secret, |
Craint de te perdre en vain par un zèle indiscret,
Mais ces mêmes amis que sa prison arrête,,
Oseront tout pour lui s'il paraît à leur tête,
Ordonnez, et Méphrès ouvrira sa prison,
1140 | Prévenez de Sosis l'affreuse trahison, |
Pour vous sauver vous-même il n'est point d'autre voie,
Je vois tout le danger du moyen que j'emploie ;
Mais sur votre intérêt je puis m'en reposer,
Et quand tout est à craindre il reste à tout oser.
NEPHTÉ.
1145 | Du soin de me venger, fiez-vous à ma rage ; |
Mais je n'ai contre lui que votre témoignage ;
Et vous m'êtes suspect.
RAMESSES.
Je ne puis le nier.
Oui, vous avez raison de vous en défier ;
Mais aussi dans ce cas exiger l'évidence,
1150 | C'est vouloir que Sosis ait manqué de prudence : |
Sans m'en croire, Madame, avec légèreté,
Sans demander, non plus, une entière clarté,
Daignez consulter.
NEPHTÉ.
Qui ?
RAMESSES.
La conduite du Traître.
Lorsque de l'Assassin Sosis s'est crû le Maître?
1155 | N'eut-il pas à l'instant dû le faire immoler ? |
Mais il voulait vous perdre en le faisant parler :
Avant que pour le Prince il pût le reconnaître
Aux regards de la Reine il l'avait fait paraître,
Espérant qu'à l'aspect des horreurs de son sort
1160 | Cet homme intimidé vous nommerait d'abord. |
NEPHTÉ.
Ah ! Je n'en doute plus, et moi-même frappée,
J'avais eu de soupçons l'âme préoccupée ;
Mais Dieux ! avec quel art sous un appas trompeur
Il m'a de ses desseins dérobé la noirceur ?
RAMESSES.
1165 | Je fais que seule admise à l'honneur de sa table, |
Il vient de vous offrir la coupe respectable ;
De la foi de nos Rois gage auguste et sacré,
Mais sur ce gage en vain le perfide a juré
Contré vous ou le fer ou le poison s'apprête,
1170 | De votre hymen, demain il ordonne la fête, |
Mais le coup aujourd'hui doit vous être porté,
Si cependant encor il ne l'a pas été...
Et vous avez déjà payé bien cher peut-être
Le dangereux honneur que vous a fait le traître.
NEPHTÉ.
1175 | Le Barbare aurait pu.... ce serait là le prix... |
Une soudaine horreur a glacé mes esprits...
Vil instrument d'un monstre en me livrant au crime,
J'en étais le jouet, et j'en suis la victime ;
Ah ! Dieux !... Quel parti prendre en cet affreux revers ?
1180 | Voyons Méphrès... |
RAMESSES.
Songez que les moments sont chers ; |
Qu'à trop délibérer l'instant d'agir échappe,
Et qu'aux coups imprévus dont le destin nous frappe,
Un coeur que rien n'abat met à les détourner,
Le temps qu'un faible coeur perd à s'en étonner.
NEPHTÉ.
1185 | Le Traître !... ses projets lui deviendront funestes, |
Ô trône ! Je te perds, vengeance tu me restes.
Elle sort.
RAMESSES, seul.
Allons,... mais Arthésis s'avance dans ces lieux.
SCÈNE II.
Arthesis, Ramesses.
ARTHÉSIS.
Eh bien, cher Ramesses...
RAMESSES.
Le temps est précieux,
De tout ce que j'ai fait je ne puis vous instruire,
1190 | Tout ce qu'en peu de mots Ramesses peut vous dire |
C'est qu'il restait, Madame, un moyen dangereux
Et que je l'ai tenté : l'effet en est douteux,
S'il trompe mon espoir, j'ai pour ressource extrême
D'immoler le tyran et de périr moi-même.
ARTHÉSIS.
1195 | Ah ! Trop fidèle ami..... |
SCÈNE III.
Un officier, Arthésis, Ramesses.
L'OFFICIER.
Ramesses, suivez-moi, |
Il faut dans le moment vous rendre auprès du Roi.
RAMESSES, à part.
Cet ordre, je l'avoue, et m'étonne et me glace,
Suis-je trahi ? N'importe il faut m'armer d'audace,
Haut, à l'Officier avec qui il fort.
Je vous suis.
SCÈNE IV.
ARTHÉSIS, seule.
Malheureux ! On aura tout appris,
1200 | De sa fidélité la mort sera le prix ; |
Tout espoir m'est ravi par un coup si funeste,
Ah ! Ce fer désormais est tout ce qui me reste ;
Mais grâce à ce poignard, tranquille sur mon sort,
Je ne puis soutenir l'image de ta mort
1205 | Cher Prince ! En ce Palais où je fuis retenue, |
Sans cesse tout sanglant tu t'offres à ma vue,
Tes regards expirants se tournent vers ces lieux,
Tu nommes Arthésis, tu lui fais tes adieux,
De tes derniers soupirs l'amour est encor maître,
1210 | Ah ! J'ai pu te sauver... Je le devais peut-être |
À l'hymen de Sosis, il fallait consentir...
Qui, moi ! J'écouterais un honteux repentir !
Non... je le désavoue... et la douleur m'égare,
De sa mort, cependant, l'appareil se prépare,
1215 | Il va périr, eh bien ne le suivrai-je pas ? |
Son sort sera le mien, sans doute, mais hélas !
Insensible pour soi, l'est on pour ce qu'on aime ?
Un coeur eut-il poussé la constance à l'extrême ?
Peut-on voir sans frémir le moment abhorré
1220 | De la destruction d'un objet adoré ! |
SCÈNE V.
Arthésis, Iphise.
ARTHÉSIS.
Que viens-tu m'annoncer ? Eh bien est-ce à cette heure,
Qu'Aménophis expire ? Est-il temps que je meure,
Iphise ?
IPHISE.
Tout espoir n'est pas encor perdu,
Madame...
ARTHÉSIS.
Quel espoir, Iphise, que dis tu ?
IPHISE.
1225 | Le sort du Prince encor pourrait changer de face, |
On venait d'élever l'échafaud dans la place :
À ce spectacle affreux le peuple en foule accourt,
Il fait d'abord entendre un frémissement sourd ;
L'horreur et la pitié de plus en plus l'excitent,
1230 | Les flots du peuple ému de toutes parts s'agitent, |
Se poussent l'un sur l'autre au pied de l'échafaud :
L'orage déjà gronde et tonnera bientôt ;
Oui, pour me rendre ici quand j'ai quitté la place,
Tout y retentissait, du cri de la menace
1235 | Madame, et pour frapper un coup plus éclatant, |
Les Dieux vengeurs, sans doute, attendaient cet instant.
ARTHÉSIS.
Non,... mon âme à l'espoir ne laisse plus d'entrée,
D'Aménophis, hélas ! La perte est assurée .
Et ce peuple sans chef qu'anime un vain transport,
1240 | Le laissera périr en déplorant son sort, |
Ce Monstre en l'immolant conjurera l'orage,
Secourez ce Héros, Dieux dont il est l'image.
IPHISE.
Sosis paraît.
ARTHÉSIS.
D'horreur tous mes sens sont émus,
Sans doute, c'en est fait, cher Prince, tu n'es plus ;
1245 | Dieux, vous l'avez permis ... mais ce Monstre s'avance. |
SCÈNE VI.
Sosis, Arthésis, Iphise.
ARTHÉSIS.
Que m'annonce, tyran, ta funeste présence.
SOSIS.
Vous me bravez, Madame, et je vois votre espoir,
Le peuple pour le Prince a paru s'émouvoir ;
Et voilà contre moi d'où vous naît tant d'audace,
1250 | Mais c'est trop vous flatter : tandis que dans la place |
Du Prince condamné le spectacle attendu,
Tient ce peuple attendri, vainement suspendu ;
Qu'il montre en sa faveur une pitié frivole
Je viens en sa prison d'ordonner qu'on l'immole.
ARTHÉSIS.
1255 | Ah ! Barbare... ô justice !... Ô vengeance des Dieux!... |
De ton horrible aspect lie souille plus mes yeux ;
Et dans ton coeur, bientôt paissent les Euménides
Secouer leurs flambeaux vengeurs des parricides ;
Sur un trône de sang puissent-elles asseoir
1260 | A tes côtés le rage l'affreux désespoir ! |
Fuis, dis-je de mes yeux, vas, monstre que j'abhorre...
SCÈNE VII.
Nephté soutenuede Palmis, Arthasis, Sosis, Iphise.
NEPHTÉ, à Arthésis.
Sauvez Aménophis, s'il en est temPs encore,
Madame.
ARTHÉSIS.
Le sauver ! Dieux ! eh, par quel moyen ?
Prisonnière en ces lieux, hélas ! Je ne puis rien ;
1265 | Ce Barbare... mais Ciel ! En quel état, Madame... |
NEPHTÉ.
De mes jours le poison a dévoré la trame,
Un traître....
SOSIS.
Quel est-il ?
NEPHTÉ.
Tu feins de l'ignorer,
Puissent les Dieux Vengeurs que je n'ose implorer ;
Et dont par toi j'éprouve aujourd'hui la justice,
1270 | Aux maux que je ressens égaler ton supplice. |
SOSIS.
Ah ! croyez.
NEPHTÉ.
Laisses-moi, tu fais de vains efforts,
Je sais tout, et ta feinte irrite mes transports ;
Tu les redoute peu, mais je t'ai fait connaître,
On est instruit de tout : puissai-je, du moins, Traître,
1275 | Ne pouvant me baigner dans ton sang odieux, |
Soulever contre toi les hommes et les Dieux !
La mort de votre époux, Madame, est notre ouvrage.
ARTHÉSIS.
T'en accuser, Tyran, c'était te faire outrage.
NEPHTÉ.
En attestant les Dieux de s'unir à mon sort,
1280 | Le Traître dans mon sein faisait passer la mort. |
ARTHÉSIS.
Que d'horreurs.
NEPHTÉ.
Il triomphe, et par sa prévoyance,
Il a su prévenir et tromper ma vengeance,
Mon Frère était à craindre : un ordre l'a soudain
Fait partir de Memphis sous un prétexte vain ;
1285 | De la Garde du Prince, un autre .... ma faiblesse |
Ne peut plus soutenir le tourment qui me presse ;
Heureuse en expirant, si le Prince sauvé...
Tremble encore, cruel, le peuple soulevé...
SOSIS, sortant de l'état de confusion où il est resté quelques moments.
Vas, je redoute peu le transport qui l'inspire,
1290 | Meurs dans le désespoir, Aménophis expire ; |
Et dans ce moment même une fidèle main,
Ramesses plonge au Prince un poignard dans le sein.
NEPHTÉ à part.
Ramesses, a-t-il dit ? Dieux, serais-je vengée ?
ARTHÉSIS, à part.
Dans l'abîme d'horreur où mon âme est plongée;
On entend un grand bruit.
1295 | Quel espoir... mais quel bruit ! Ciel ! protégés ses jours. |
SOSIS, tirant un poignard.
J'en vais, s'il vit encor, précipiter le cours...
ARTHÉSIS.
Le bruit redouble... on vient.
NEPHTÉ.
Ciel ! Remplis mon attente,
Le fond de la Ferme s'ouvre, et on voit Aménophis suivi de Ramesses et d'un gros d'amis.
J'aperçois mon vengeur, Traître, je meurs contente.
On emporte Nephté.
SCÈNE VIII et dernière.
Aménophis, Ramesses et sa suite au fond du Théâtre, Arthésis et Sosis sur le devant.
SOSIS.
Ramesses et le Prince ! Ô trahison ! Ô sort !
1300 | Mais dans mes mains du moins j'ai le prix de ma mort, |
Sosis lève le poignard sur le sein d'Arthésis.
Arrête, Aménophis.
AMÉNOPHIS.
Barbare !
SOSIS.
Je vais l'être,
Et puisque de ses jours le sort me laisse maître ;
Tout trahi que je suis, c'est à toi de trembler.
AMÉNOPHIS.
Que dis-tu, malheureux, tu pourrais immoler...
SOSIS.
1305 | Je sais qu'il faut périr, mais ma victime est prête, |
Tout son sang va couler, règne à ce prix...
AMÉNOPHIS.
Arrête ;
En ce moment, grands Dieux ! Qui me secourra ?
ARTHÉSIS, frappant Sosis.
Moi...
Mon bras m'a bien servie, approche, sors d'effroi,
L'amour le conduisait et nous, rend l'un à l'autre ;
1310 | Viens... |
AMÉNOPHIS.
Eh,je vous dois donc, mon salut et le vôtre ; |
J'ai peine à respirer... ce fer levé sur vous...
Ce Monstre... Ah ! Je frémis encor à vos genoux.
ARTHÉSIS, le relevant ET le serrant dans ses bras.
Cher Prince !... mais au peuple allons montrer un maître,
Un Roi par le malheur rendu digne de l'être.
1315 | Que joint au droit du sang, un droit encor plus saint, |
Fasse chérir le père où le Tyran fut craint,
Que le bonheur public à mon bonheur réponde,
Et que j'adore en toi le bienfaiteur du monde.
J'ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, la Tragédie AMÉNOPHIS ; et j'ai crû que l'impression en pouvait être permise. À Paris, le 9 Juin 1758.
TRUBLET.
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Notes
[1] Il faut qu'en disant ce couplet on voie que la douleur la gagne par degrés.