LE FRANC-MAÇON PRISONNIER.

DRAME

M. D. CC. LXXVII.

PAR JEAN HENRI, BARON ECKER D'ECKHOFF.

À LA HAYE, CHEZ C. PLAAT ET COMP. Libraires sur le Kalvermarkt.


Texte établi en décembre 2019 par Paul FIEVRE

Publié par Paul FIEVRE, janvier 2020

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:36.


Pour le public un Franc-Maçon

Sera toujours un vrai problème,

Qu'il ne saura jamais au fond,

Qu'en devenant maçon lui-même.


ACTEURS.

LE MARQUIS DE BLAINVILLE, Ministre d'Etat.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL.

DON JUAN JOSEPH ANTONIO DES LAS CASAS, Franc-Maçon Prisonnier.

UN ABBÉ.

UN AVOCAT.

L'OFFICIER DE GARDE.

L'HUISSIER.

LE GEÔLIER.

La Scène est dans la prison.


LE FRANC-MAÇON PRISO...

SCÈNE PREMIÈRE.
Le Marquis de Blainville, et le Procureur-général.

Le Théâtre représente une chambre destinée pour les prisonniers d'état, on y voit une table à écrire, une sonnette, et quelques chaises, dans le fonds se distingue une porte, par laquelle on entre dans une autre chambre, qui sert de prison à un des criminels.

LE PROCUREUR.

Mais de leurs crimes et de leurs mystères le Roi veut être éclairci. Rien ne le peut fléchir à cet article ; et il s'agit maintenant de satisfaire à sa souveraine volonté : aussi tâcherai-je de tout mon possible de m'acquitter de mes devoirs en contentant ses désirs et me rendant digne de sa confiance. Je conçois très bien le poids criminel de leurs forfaits, et la justice exige la plus rigoureuse reche1che á leur égard.

LE MARQUIS.

Mais jamais la plus sévère justice ne peut être assez prévoyante. Quelquefois même l'innocence peut nous sembler criminelle. C'est d'après nos raisons que nous la confondons avec le crime, et le temps et notre honte la dédommagent de nos sottises. Le Roi, il est vrai, a ordonné de procéder contre eux par la plus austère justice, mais aussi veut-il qu'elle ne s'égare jamais de la voix de l'équité, et de la raison. Quelquefois ce qui est raisonnable nous semble injuste et ce que nous appelons justice couvre d'opprobre la nature et la raison. Je connais votre prévoyance et votre dextérité, Monsieur, et j'espère, que votre présente conduite applaudira à notre bonne opinion. Je sais, qu'ils sont criminels, tout le monde, me le dit mais le vrai prix de leurs crimes n'est pas encore décidé.

LE PROCUREUR.

Le vrai prix de leurs crimes se décide par leurs révoltantes désobéissances. Leurs assemblées proscrites par les souverains décrets n'ont pas cessées ; attentifs de s'agrandir chaque jour au dépend de la vertu, ils ont séduit les hommes de tous âges et de toutes conditions pour les entrainer dans ce chaos de crimes, enfin de compléter le nombre de parjures. C'est à l'abri de la nuit qu'ils enseignent la jeunesse étourdie, et qu'ils trompent les vieillards égarés, ou qu'ils distinguent ou qu'ils professent les forfaits par une éloquence sublime et séduisante enfin ce voile mystérieux seul qui les couvre les rends les plus grands criminels d'État, que je connais, je ne leur impute rien ; mais il est connu que leurs Mystères profanent et anéantissent la religion, comme également ils sapent le trône de leur Maître légitime en un mot, Monseigneur, jamais blasphème, jamais crime de lèse-majesté peut être égalisé avec les leurs.

LE MARQUIS.

Il faut, Monsieur, que vous ayez des vues très claires dans cette affaire encore très sombre et très obscure pour nous. Un homme à la tête des lois ne doit jamais se laisser conduire par des préjugés communs. De Galilaei, le sort vous est connu. Que dirait on aujourd'hui dans une pareille occasion ? Loin d'imiter la foudre et le tonnerre pour détruire l'honneur du bon sens et la loi de l'équité, très loin, Mon sieur, d'éterniser sottise, par sottise, je crois qu'à Rome même, on applaudirait à son ouvrage. Votre austère vigilance peut être abusée. Je sais par expérience ce que les hommes peuvent être trompés, et peuvent tromper eux-mêmes à leur tour. Réfléchissez, Monsieur, que l'univers est notre censeur. Il est de mon devoir de veiller sur le crédit du Roi notre Maître. Les hommes pardonnent guère la plus légère faute des souverains. Ils grossissent même les objets les plus mimés pour les rendre avec tout le ridicule qui leur convient. Encore je ne veux pas parler de cette horrible injustice qu'il commettra en les jugeant sur des faibles et légers indices. Injustice, qu'un repentir éternel ne saura abolir. Mais en général, Monsieur, je vous conseille de suivre ses intentions à la lettre.

LE PROCUREUR.

Le Roi m'ordonne, Monseigneur, et je lui obéit. Mes devoirs et la religion me disent de porter le feu et la mort dans le sein des crimes et des blasphèmes. Je ne me dédis nullement de mes premiers propos, et le fait constate, que jamais société fut plus dangereuse et nuisante au genre humain et au repos public que la société des Franc-Maçons. Il se jugent eux mêmes par leurs ouvrages.

LE MARQUIS.

Enfin je vous ai dit mes sentiments, Monsieur, mais je vous exhorte en même-temps de satisfaire la voix de la justice. C'est avec ces doubles remarques, que je vous quitte, et vous éepondrez du double succès, à Dieu, et au Roi.

Il part.

SCÈNE II.

LE PROCUREUR-GÉNÉRAL, seul .

Il me semble que la voix du Ministre porte forte défense pour ces malheureux. Je le connais, le Marquis, il est naturellement bon et humain. Une sentence de mort pour quelque criminel peut le rendre triste toute une journée. Mais pourquoi cette bonté humiliante ? Les hommes ne vivent presque que des crimes, mais l'abondance peut devenir nuisible, et il faut ainsi en diminuer les moyens. Les Franc-Maçons peuples méchants et téméraires l'occupent toute la durée de ce procès, il faut bien qu'il se termine aujourd'hui, Le Roi le veut, et...

SCÈNE III.
L'Huissier et le précédent.

L'HUISSIER.

Un abbé, Monseigneur, demande à vous parler.

LE PROCUREUR.

Qu'il entre.

L'huissier part.

SCÈNE IV.
Le Procureur-général et d'abord L'Abbé.

LE PROCUREUR.

Je veux tout éprouver, pour satisfaire pas tant le Roi, que moi même, et le pouvoir de l'église.

L'Abbé vient.

L'ABBÉ.

Les ordres de la cour souveraine exige ma présence dans ces lieux-ci. J'en ignore les devoirs qu'ils m'imposent. Daigneriez vous, Monseigneur, m'en instruire.

LE PROCUREUR.

Il s'agit, Monsieur, de ces criminels impies, de cette race révoltante de Franc-Maçons. Votre état ne peut vous laisser ignorer l'horrible anathème, que la Sainte-Église dans son juste courroux, a foudroyée contre cette égarante société. La soumission du Roi toujours active à exécuter la volonté de Dieu, prononcé par son image sur la terre, a porté son oeil menaçant dans leur sombre retraite, et son juste mépris en a livré un parti à la main punissante des lois. Leur chef, ou le Maître comme ils l'appellent entre-eux, est ici près. Il a déjà subi plusieurs interrogatoires, sans le moindre succès, sans que sa bouche criminelle a prononcé le moindre aveu. Le Roi, l'exige, et à quel prix que cela soit il veut être éclairci de leurs mystères. Il a daigné vous choisir par ma voix pour le tenter. Tâchez, Monsieur, s'il est possible, de jeter dans son coeur pervers quelques rayons de notre sainte religion. Peut-être le malheureux ne la désavouera-t-elle pas tout à fait. Tâchez de faire éclore ce petit germe de l'honneur et de la probité, qui presque n'est pas toujours éteint dans l'âme du plus grand scélérat de la terre, Représentez lui et ses devoirs et son salut, et tâchez de le porter à un aveu sincère de leurs mystères et de leurs crimes. Je vous l'abandonne, Monsieur, et je le ferai conduire auprès je vous dans l'instant ;

Il part.

Et vous, vous me rejoindrez au Palais.

SCÈNE V.

L'ABBÉ, seul.

Quel affreux message : que dirai je à ce pauvre malheureux pour le satisfaire, et pour contenter et mes devoirs et les ordres du Roi.

SCÈNE VI.

La porte dans le fonds s'ouvre et un homme mal habillé et couvert de chaines sort, le geôlier le conduit au pied de L'Abbé en disant :

LE GEÔLIER.

De par le Roi, Monsieur je conduits ce criminel auprès de vous. Je vous l'abandonne, et vous me répondrez sur prise de corps de sa sûreté.

Il part.

DON JUAN DES LAS CASAS.

De ma sûreté ! -- En pleine porte, je ne sortirai jamais. Et vous, Monsieur, quel accident vous conduit dans ce funeste lieu. Annoncez votre message ! ? Je l'entends avec plaisir ! Mais encore on n'a pas observé les usages ordinaires ? reprenez vous Monsieur et parlez moi.

L'ABBÉ.

Approchez, Monsieur, daignez vous asseoir et soyez sans alarmes. Nul n'osera troubler cette sainte entrevue. Ne me rebutez pas ! Que mon état vous mette hors de toute impression, contraire à votre repos. Je viens, si je le puis, même pour vous l'assurer. Je plains vos malheurs, et les éternels prejugés de ceux, qui les causent. Enfin j'apporte à vos douleurs l'intérêt le plus tendre. Donnez vous avec moi ce libre épanchement de vos maux, qui seul peut encore servir aux malheureux d'un soulagement salutaire.

DES LAS CASAS.

Pénétré de vos bontés, Monsieur, j'en connais tout le prix et toute la reconnaissance, que je vous en dois. Mais daignez répondre à mes instances. Jamais avant la dépouille de ma fortune j'eus le bonheur de vous voir, je ne vous connais pas, d'où vient donc l'heureux moment qui vous conduit ici, et la permission à mon égard, que je puisse vous parler ? Moi, qui n'a pu pendant six mois parler ni à ma famille, ni à mes amis enfin qui ne pouvait goûter aucune consolation de ces hommes vertueux, dont les malheurs me peinent tandis que de mon sort je suis très content.

L'ABBÉ.

Des ordres absolus ! Enfin, Monsieur, la volonté du Roi me conduit auprès de vous. Vous connaissez, Monsieur, la cause de vos malheurs. De ces différents chefs répandus dans l'univers, chefs d'une société suspecte à l'État, à la religion, et au bien public, de Franc-Maçons de ces lieux ci, on vous dit un membre. Présidant à leurs ouvrages, on m'a dit, qu'on vous a trouvé en défendant leurs droits. Vous sentez bien que du Roi la bonté brillante doit en être affectée. Il l'est, Monsieur, à un tel point, qu'il veut absolument être éclairci de vos mysteres, à quel prix même que cela puisse être. Je sais que de plusieurs interrogatoires, que vous avez subi, toutes étaient vaines, et que fermement vous y avez soutenu leur secret. Mais à quoi aboutira cet opiniâtre ressentiment de votre part ? Réfléchissez un instant, Monsieur, et donnez vous la peine de prêter une attention favorable à mes paroles. Je ne dis pas que de la Sainte Religion vous ayez aboli les sacrés dans votre âme, mais enfin si en cas du ciel vous avez renoncez l'héritage, pensez aux malheurs éternels dont son courroux vous menace, pesez ces éternités sans nombre qui me cèdent jamais en durée au Dieu qui les format pour vous punir, un châtiment égal dans sa force à la durée éternelle de l'être suprême que vous avez offensé. Que les victimes innocentes, que ces malheureux vous parlent par ma bouche, que votre zèle pour cette téméraire société immolait dans les mystères de leurs crimes, ces tremblants sacrifices crient vengeance contre vous devant cet Être, qui connait la couche égalisée du sable dans les abîmes de la mer. Redoutez cette justice qui s'arme du levant jusqu'au couchant pour anéantir les parjures.

DES LAS CASAS.

Ce même Être, Monsieur, maudit les parjures qui trahissent des serments, solennels par l'autorité de son nom, du nom de l'Éternel et de son pouvoir.

L'ABBÉ.

Et ces mêmes serments vous rendent encore plus criminel, que déjà vous le sériez toujours. Quelle vaine et impie idée, que de croire que Dieu autorise un serment, que ses suprêmes facultés maudissent et abhorrent. C'est vouloir lui imposer les mouvements de crimes, qui le blasphèment. - Hélas, Monsieur que je tremble de votre état ! ? Mais encore, soupçonnons que vos mystères ne professent rien d'outrageant contre Dieu. L'Église, Monsieur en a prononcée l'anathème. Désobéissant à sa parole vous manquez à vos devoirs et vous vous révoltez contre Dieu, dont elle est l'intreprète. De quel côté, que je vous regarde, vous êtes toujours également coupable. Et si encore Dieu et l'Église cédaient à vos volontés : De Dieu la véritable image sur la terre sont les Rois ; et du Roi, Monsieur, vous avez méprisé les ordres, qui portaient défense à vos assemblées, de quelle nature, qu'elles puissent être. Sa défenfe et sa volonté anéantissent déjà ce fatal serment que vous croyez être de conséquence. Dans aucun Royaume : on ne peut faire valoir un ferment qu'en vertu des lois, et les lois, Monsieur, vous sont directement contraire, fut-il même une chose de bien, que vous professiez, et encore moins à raison des forfaits il n'est . jamais valable. À votre âge, Monsieur, vous dévriez plus réfléchir sur votre sort et sur votre salut, que vous ne faites. Rentrez en vous-même, et il est, croyez le moi, de votre devoir à découvrir jusqu'au dernier de vos mystères au Roi.

DES LAS CASAS.

C'est à présent, que je connais la raison de votre message ! Je vous repondrai Monsieur ; mais pardonnez, je crois que mon discours vous paraitra à vous-même plus réglé et plus juste que le vêtre, mais avant tout déclarez-moi les crimes imaginaires, que l'on m'impute. Il faut, Monsieur...

SCÈNE VII.
Un Avocat et Les Précédents,

L'AVOCAT.

Souffrez, Monsieur, que mes devoirs pour vous s'intéressent. Je connais vos malheurs, et vous connaissez mon emploi. Il est de moi de vous tirer s'il est possible, du funeste embarras, qui vous accable. Il est constant que vous êtes le criminel d'État le mieux réglé qu'il faut pour en avoir toutes les prérogatives. Sujet rebelle, Parjure, attaquant à la fois la Religion, le Roi, et l'État, vrai perturbateur du repos public, convenez avec moi, qu'il ne faut pas davantage pour vous placer par la voix de la plus simple justice sur l'échaffaut. Mais enfin je ferai tout mon possible pour vous sauver. Daignez seulement me répondre à mes questions. Elles sont courtes et naturelles. Je sais d'avance, Monsieur, que vous connaissez le poids et la force de ces serments, que vous avez prêté vous-même, et que vous fîtes prêter à d'autres concernant de garder sous silence vos mystères. Je n'irai point par un langage austère joindre encore à vos maux un effroi douloureux, qui loin de vous guérir rendrait votre état encore plus triste et affreux, que déjà il ne l'est, mais avant qu'un médecin entreprend la guérison d'une maladie contagieuse, il faut toujours, qu'il sache les causes naturelles de son effet. Je dirai bien qu'un malheureux compagnon de votre société en trompant la crédulité de votre jeunesse, vous a saisi par des propos flatteurs, et vous fit prononcer ce fatal serment, dont vous ignoriez naturellement les dangereuses suites. Ce serait pour le moment un coup d'étourderie digne de ces jeunes gens qui par leurs sentiments mettent en désordre leurs biens, et qui sont uniques pour le total dérangement de familles entières. Mais, Monsieur, c'est la moindre des choses, dont je vous parle. En voie de justice il s'agit de matières plus graves et plus épineuses. Ni les lois, ni les coutumes, ni le consentement tolérant du Roi vous ont permis de prononcer ces serments et encore moins de les recevoir d'autres, bien au contraire, sa Majesté sachant vos assemblés régulières, y porta défense de tout son pouvoir et elle ordonna très sérieusement de les abolir, les déclarant comme dangereuses à la religion, à sa personne et à l'État, et comme de raison pas faites pour être souffertes dans son Royaume, cette souveraine déclaration, affichée dans la ville et dans tout le Royaume, ne pouvait pas être ignoré de vous. D'une main criminelle vous souteniez encore toujours vos assemblées, sans craindre le glaive austère de la justice. Jamais la Républiqüe peut aller d'accord avec la Royauté dans les mêmes Empires, mais vous formez dans l'État du Roi un autre État libre et indépendant de sa domination. Voyez un peu, Monsieur, tout votre attentat, et jugez en vous-même !

DES LAS CASAS.

Je conviens, Monsieur, avec vous de la vérité de nos crimes, si vous en avez des preuves certaines qui nous rendent criminels.

L'ABBÉ.

Mais votre entêtement, Monsieur, vous surpasse vous-même. Je crois, que nous avons rien épargnés pour vous rendre docile tant à votre salut, qu'a vos devoirs et à votre obéissance. Tous nos services sont donc en vain ?

L'AVOCAT.

Mais décidez-vous donc, Monsieur, sur votre honneur et sur votre vie. Que dirai-je pour votre défense ? Parlez !

DES LAS CASAS.

Je saurai prononcer ma défense moi même. Dès le premier moment, que la colère et le mépris des profanes me jetèrent dans ces lieux, égal au premier criminel, j'y fus traité avec le plus austère dédain, et j'ai subi les plus rigoureuses interrogations. Jamais Homme de loi a porté ma défense. Sur ce point ainsi, Monsieur ne vous inquiétez pas.

L'ABBÉ.

Mais enfin votre salut Monsieur ! -

DES LAS CASAS.

Sur le vôtre et sur celui de vos confrères portez un oeil actif. Je crois nécessaire ce conseil pour votre repos, et l'humanité, qui fait mon devoir, l'exige de moi pour satisfaire à mes intentions, et pour satisfaire à la nature.

L'ABBÉ.

Je vous quitte et je saurai faire mon rapport au Roi de notre entretien.

Il part.

L'AVOCAT.

Adieu , Monsieur je vous souhaite avec la continuation de ces beaux sentiments que vous jouissiez comme le chef et l'arbitre de la liberté, de ce doux espoir, que vous ne gouterez dés ce moment qu'en effigie et qu'en idée.

Il part.

SCÈNE VIII.

DEs LAs CASAS, seul.

Et la terre réduite en éclair, ne me les fera pas changer ! ? Des hommes de cette sorte là me sont fort connus. Je les plains, mais je ne saurais les changer.

SCÈNE IX.
L'Officier de Garde et le précédent.

L'Officier, en entrant sonne, l'Huissier arrive.

L'OFFICIER, à l'Huissier.

Que l'on débarrasse Monsieur de ces chaines ;

L'Huissier part pour en avertir le geôlier, qui arrive et ote les chaînes à des las Casas.

À Des las Casas.

Que je serais charmé de pouvoir vous en dégager entierement je le souhaite, mais ce vain souhait ne peut pas être consolateur. Le Procureur Général m'a fait avertir de sa présence. Dans peu il paraitra pour vous parler. Ne pourriez vous donc pas sans déroger à l'honneur et à la probité céder au Roi ? Pardonnez à ma franchise, mais vos douleurs me peinent et je voudrais les voir adoucies.

DES LAS CASAS.

Votre amitié me flatte, Monsieur. Hélas ! Pourquoi ne puis je la reconnaître comme je le dois. Mais ! - Abandonneriez vous vos soldats, qui guidés par vous sur le champ de Bataille posaient dans votre sagesse et dans votre probité toute leur confiance ? Et romperiez vous d'une main perverse les promesses sacrés, qui vous lient et votre honneur et votre vie aux devoirs de vos services et à la défense de votre drapeau ?

L'OFFICIER.

Je vous entend, Monsieur ? - Continuez d'agir en honnête homme, et vous joindrez par votre conduite à la compassion générale de vos maux, l'estime universelle de tous les gens d'honneur.

SCÈNE X.
L'Hurssier et d'abord Ars à .
LU 1 L s Procureurgénéral.

L'HUISSIER.

Un seigneur, arrive !

Il se retire.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL.

À l'Officier.

Agréez Monsieur de nous laisser en liberté.

L'Officier part.

À Des Las Casas.

Et vous, Monsieur, asseyez vous, vous serez étonné de me voir sans toutes les formalités. Le Roi le désire, espérant qu'à ma voix seule vous vous rendrez plus docile. Sa Majesté vient de me charger pour la dernière fois de vous dire de sa part de céder à ses volontés de découvrir vos criminels mystères, et de ne plus abuser de sa bonté naturelle déjà trop languissante à votre égard.

DES LAS CASAS.

Des crimes, Monsieur ! - Comment les nonmmez vous donc ? Daignez m'en dire le moindre indice, qui peut en faire foi. Toujours on me les impute, mais personne ne les caractérise.

LE PROCUREUR.

Sans toucher, Monsieur votre révoltante désobéissance concernant les ordres du Roi qui portaient défense solennelle à vos assemblées, il est clair, que les mystères de votre société anéantissent la Sainte Religion, que c'est sur ces débris, que vous érigez un édifice impie de libertinage que vous affermissez par un serment horrible, et un blasphème naturel, que vous exigez de vos frères nouvellement reçus, ou à recevoir.

DES LAS CASAS.

De nos devoirs et de notre soumission envers Dieu et la religion permettez, que je vous instruise. Jamais homme peut entrer dans notre société, s'il ne se prosterne pas devant la religion de ses pères. Nommez le serment, ou nommez le voeux, ce qui nous lie ensemble, cela me touche fort indifférent, il est vrai, qu'en vertu et sous l'autorité de la religion nous recevons nos frères. Mais y a-t-il du mal ? Nous nous assurons par la vérité de l'Éternel de garder sous silence nos mystères ; est-ce en l'attestant pour le soutien de la vertu et de nos devoirs, que nos bouches le blasphèment ou qu'elles abolissent la religion ? Que loin dans une éternelle nuit une idée si impie s'évanouisse ! Jamais société peut exister sans ordre et sans de certaines règles prescrites à être suivis parleurs membres. Quelquefois même ils les partagent au détriment des autres. Nous avons aussi nos règles, mais elles ne dérogent point à la cause commune, bien au contraire, Monsieur, nous obligeons nos frères à être avant tout bons citoyens et fidèles sujets. De la religion leur sincère attachement nous est connu. Et quel est l'homme, Monsieur, qui fera des efforts à se rendre un animal irraisonnable, tandis que des millions d'hommes s'efforcent à ne le pas être.

LE PROCUREUR.

Mais pourquoi, Monsieur, abusez vous du souverain pouvoir en exigeant un si horrible, serment de vos frères ? C'est empiéter sur le droit du Roi, que de faire un acte si solennel sans sa permission, et sans le consentement de son autorité.

DES LAS CASAS.

Le nom de l'Éternel est déjà assez terrible pour qui que ce soit, qui l'invoeque à son outrage. Mais, Monsieur, quelles lois portent défense, que deux personnes ne peuvent former un contrat tout indifférent aux autres entre eux en pleine liberté, sans avoir recours au Préteur, et à la justice ? Je consens que des pareils voeux ne doivent jamais aboutir au mal, si leur but est le bien public, et le soutien de la vertu, jamais défense peut y avoir lieu.

LE PROCUREUR.

Mais de l'église l'anathème connu vous rend parjure à vos devoirs religionnaires ?

DES LAS CASAS.

De l'église le pouvoir ne peut surpasser celui de l'humanité et de la sagesse. Le plus sage des hommes peut s'égarer.

LE PROCUREUR.

Et du Roi la sérieuse défense portée contre vos assemblées ?

DES LAS CASAS.

Les ordres souverains du Roi nous les avons révérés. Jamais nos assemblées étaient brillantes et ornées suivant nos coutumes et selon nos lois, jamais nous avons ouverts nos ouvrages avec cette pompe majestueuse, qui leurs conviennent. Comme des simples amis dans nos chambres nous avons satisfaits aux devoirs du sujet et du frère. Même, Monsieur, comme par ordre du Roi les gardes se saisirent de nos personnes, nous étions simples et ordinaires. D'une mine pleine de soumission nous abandonnions nos biens, nos fortunes, nos devoirs et nos familles pour embrasser les chaines, que la volonté du Monarque nous présentât.

LE PROCUREUR.

Mais tous ces biens luisants et trompeurs, que vous étalez ne contenteront pas le Roi. Encore, Monsieur, pourquoi vos assemblées ne se tiennent-elles pas à porte ouverte ? Chacun pourrait alors entendre la voix triomphante de la sagesse et de la vertu.

DES LAS CASAS.

Il est certain, que nous professons des mystères ensevelis par nos devoirs dans un austère et morne silence. Mais Monsieur, de tout temps, il y eut des sociétés, qui attentifs à leurs secrets, ne les profanèrent jamais. Mais aussi personne ne pensa de leur en faire un crime d'État. Maître d'un secret, j'ai pleine liberté de le déclarer, ou de l'ensevelir avec mes jours, et jamais homme est en droit de me l'arracher par contrainte. Même, Monsieur, l'Église eut de tout temps ses mystères, et l'histoire rapporte : Qu'à la porte fermée, elle les traitait, et que personne n'y fut admise, sans être expressément sacrifiée à leurs services.

LE PROCUREUR.

Mais, dites moi donc, ce que c'est qu'un Franc-Maçon. - Déclarez moi ses devoirs. -

DES LAS CASAS.

Serai je bien fait pour vous expliquer cet homme singulier à vos yeux ? Je doute, si mon faible esprit saura vous en tracer le brillant tableau. Enfin, Monsieur, un Franc-Maçon est un bon et vertueux citoyen, un sujet plein de zèle, fidèle à son Roi et à l'État, et de plus, le plus parfait ami. Nos bâtiments sont d'une autre nature, ils sont nos devoirs. C'est notre esprit, c'est notre coeur, c'est notre âme que nous cherchons à former dans l'exactitude des règles de l'architecture qui leur convient : tous les trois ont besoin de sagesse, de force, et de beauté. Tel est Monsieur le secret moral de notre société.

LE PROCUREUR.

Mais ce secret déclaré aux vulgaires vous comblera d'éloge et d'estime. Pourquoi manquez vous à ce bat principal ?

DES LAS CASAS.

C'est, Monsieur, que nous ne voulons jamais abuser de la bonne foi de nos égaux. Ne croyez pas, que tous nos fréres sont également décorés. Un saint respect les anime à se considérer entre eux et à se distinguer. C'est dans le temple du soleil, que les anciens sages admiraient le feu, et ces éclairs renaissants ; et c'est dans notre temple, que nous admirons la vertu que, nous lui dressons des autels éternels et que nous anéantissons les vices.

LE PROCUREUR.

Enfin de vos sentiments le Roi sera éclairci dans ce moment.

DES LAS CASAS.

De ses bontés languissantes à mon égard dites lui, je vous supplie, que je suis pénétré, et qu'obéissant à ses volontés, je m'y soumets sans exception.

LE PROCUREUR.

Mais si r2solu de vous punir, il a conclu votre mort ?

DES LAS CASAS.

Je suis trop au dessous de lui et de sa sagesse pour en fixer les raisons. S'il la veut, il ne peut avoir tort, et il en répondra à lui-même. Mais toujours Monsieur, j'aurai cette consolante satisfaction, que le crime fait la honte et non pas le supplice.

LE PROCUREUR.

J'y vais, Monsieur, l'instruire de votre soumission. Mais pensez toujours, que vous allez entrer dans la fin de vos maux.

Il part.

SCÈNE XI.

DES LAS CASAS, seul.

Non ! Que sur aucun coupable la honte, le remord et la peine de cette horrible calomnie rejaillissent ! - Je leur pardonne ! - Mais leur ai-je amplement pardonné ? Je l'espére, car c'est par là que je dois satisfaire le premier à mes sentiments aux sentiments de mes frères. Ne plaise à Dieu, que je mêle la servitude des vices avec la liberté brillante des vertus. Que je plains mes malheureux frères abandonnés à leur sort, à leur sort horrible d'une cruelle persécution. - Pourquoi ne puis je les laver par mon sang de ces crimes imaginaires, que l'on trace au Roi, comme des crimes légitimes, commis par des rébelles dans le sein de ses Etats. Jamais les haines politiques, les différents des Roix, l'aigreur des partis ni les guerres publiques, et encore moins les saintes fureurs de la religion n'altèreront notre douce union, et que l'univers entier s'arme et s'égorge nous combattrons pour les droits que l'État autorise. Fidèles amis, et généreux ennemis nous protégerons toujours l'innocence, dans le sein des crimes, et d'une lâche calomnie.

SCÈNE XII.
L'Officier et le précédent.

L'OFFICIER.

He bien ! Monsieur, votre affaire sera décidée aujourd'hui. Tout le monde le dit. Mais aussi tout monde est très attentif de connaître la fin d'un si étrange événement.

DES LAS CASAS.

Je l'attends, sans la craindre. Un mouvement indécidé de la part du Roi me détermine déjà à une austère obéissance, que je lui dois.

L'OFFICIER.

Mais de votre paisible contentement, et de votre ferme courage, c'est, dont tout le monde est surpris. Je le suis moi même ! ? Les sentiments de votre société vous inspirent ils un pareil repos au milieu de vos peines, et de vos malheurs ?

DES LAS CASAS.

Pour connaître notre paisible repos Monsieur, il faut se connaître soi-même et nos ouvrages. J'ai appris à me connaître moi même, et la sublime clarté, qui m'entourait, sans que je le savais. Et c'est dans cette naturelle et sainte unité, sur laquelle se repose le triple fondement de notre ordre, de ses mystères, et de ses saints sacrifices, que j'ai acquis cet heureux repos, que vous admirez, et qui vous surprend en même-temps.

L'OFFICIER.

Votre bouche ne prononce, que la voix de l'honneur et de la raison. Mais oserais je vous demander sans vous sembler curieux et hardi ; ce que vous êtes donc vous-même ?

DES LAS CASAS.

Un membre du corps de ces heureux mortels, qui daignèrent me dire, ce que j'étais, ce que je suis, et ce que je dois être. Je vous assure, Monsieur, que notre ordre est l'infinité d'un brillant cercle : tous nos membres y sont compris, beaucoup, oui, Monsieur, le plus grand parti d'entre eux touchent les trois sortes de la périphérie, mais très peu aboutissent au centre, s'éloignant un peu trop fort du droit chemin, qui y guide.

L'OFFICIER.

J'admire votre discours, mais je n'y conçois rien. Sa clarté, quoiqu'elle me semble juste, m'est très obscur.

DES LAS CASAS.

Et si je vous disais encore plus, peut-être douteriez vous de la vérité !

SCÈNE XIII.
Le Marquis de Blainville, Le Procureur-Général et les précédents.

LE MARQUIS.

À l'Officier.

Restez, Monsieur !

A de las Casas.

Et vous, Monsieur que votre obéissance entende les ordres souverains du Roi notre Maître.

LE PROCUREUR.

Par le Roi ! Sa Majesté instruit par ma voix de votre défense, concernant vos assemblées fréquentes et vos réceptions nouvelles des Franc-Maçons a daigné encore pour cette fois balancer la justice par sa bonté naturelle. Elle vous fait grÄce, et voulant bien accepter vos soumissions, elle vous fait ordonner de cesser toutes les assemblées susmentionnées ne vous cachant nullement, et qu'en cas de défaillance vous subirez en forme le traitement dû aux criminels d'Etat pour enfin faire valoir ce qu'est de raison.

À l'Officier.

Par ordre de sa Majesté Don Juan Joseph Antonio de las Casas est mis en pleine liberté.

L'Officier part. A des las Casas.

Je vous félicite Monsieur, les lois vous condamnent ; et le Roi vous pardonne.

Il part.

SCÈNE XIV et Dernière.
Le Marquis de Blainville et Des Las Casas.

DES LAS CASAS.

C'est à vos bontés, Monseigneur.

LE MARQUIS.

Cessez, Monsieur, de remercier à mes devoirs.

En lui donnant la main droite.

Agréez cette touchante satisfaction à mon coeur, que dans mon carosse je vous conduise hors de ces affreux lieux trop distingués, par la demeure de l'honneur et de la vertu. Heureux ! Que ni les enfants de la veuve, ni les saints habitants des feux éternels peuvent crier vengeance contre Blainville.

 



Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 594

 [PDF]  [TXT]  [XML] 

 

 Edition

 Répliques par acte

 Caractères par acte

 Présence par scène

 Caractères par acte

 Taille des scènes

 Répliques par scène

 Primo-locuteur

 

 Vocabulaire par acte

 Vocabulaire par perso.

 Long. mots par acte

 Long. mots par perso.

 

 Didascalies


Licence Creative Commons