LA VOCATION FORCÉE

OU LE LEGS

DRAME EN UN ACTE.

ONZIÈME PROVERBE.

M. DCC. LXXXV.

Par MONSIEUR G***.

À LIÈGE, Chez F.J. DESOER, Imprimeur-Libraire, sur le Pontd'Isle, à la Croix d'Or.


Texte établi par Paul FIEVRE février 2018

Publié par Paul FIEVRE mai 2018

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:19.


PERSONNAGES

MADAME VILLEDIEU.

MONSIEUR DARNEUIL, frère de Madame Villedieu.

ÉMILIE, fille de madame Villedieu, aînée de Thérèse.

THÉRÈSE, fille de madame Villedieu.

MANETTE.

La Scène est chez Madame Villedieu.

Le texte est issu de "Nouveaux proverbes dramatiques ou recueil de comédies de société pour servir de suite aux Théâtres de Société et d'Éducation" par Monsieur G[arnier], 1785. pp. 213-233.


LA VOCATION FORCÉE

Le Théâtre représente un Salon de la maison de madame Villedieu.

SCÈNE PREMIÈRE.
Thérèse, Manette.

Thérèse et Manette sont à côté l'une de l'autre, Elles travaillent ensemble à garnir une robe. Thérèse est habillée très simplement, coiffée en grand bonnet, et paraît triste et rêveuse.

MANETTE, chante en travaillant.

J'avais égaré mon fuseau,

Je le cherchais sur la fougère, etc.

Lorsqu'elle a achevé ce couplet, elle regarde un instant Thérèse, qui paraît toujours rêveuse.

Est-ce là tout ce que vous avez à nous dire aujourd'hui, Mademoiselle Thérèse ?

THÉRÈSE.

Laisse-moi tranquille.

MANETTE.

À qui diantre en avez-vous donc ? La jolie figure que vous faites, pour un jour de noces ou autant vaut.

THÉRÈSE, laisse tomber quelques larmes.

Ah Ciel !

MANETTE.

Est-ce que le mariage de Mademoiselle votre soeur vous fait de la peine ? Mais, après tout, elle est l'aînée ; il est juste qu'elle passe la première.

THÉRÈSE, sanglotant.

Ah ! Qu'elle se marie mille fois... Mais... Que je suis malheureuse !

MANETTE.

Je sais que Madame votre mère n'a pas de trop bonnes façons pour vous ; mais, voici qui va bien changer les choses.

THÉRÈSE.

Tu le crois.

MANETTE.

Comment, si je le crois, mais rien n'est plus sûr, c'est Mademoiselle votre soeur qui vous enlève toute son affection, eh bien, la voilà qui va décamper.

THÉRÈSE.

Peut-être....

MANETTE.

Pardi, il faudra bien qu'elle suive son futur. Allons donc, de la gaieté. Madame votre mère était quasi de bonne humeur ce matin, et vous vous avisez d'être triste ?

THÉRÈSE.

De bonne humeur, dis-tu ?

MANETTE.

Sûrement, elle était de bonne humeur ; jamais je ne l'ai vue si charmante ; elle vous a presque dit des douceurs. Quel est ce nom qu'elle vous donne avec tant de complaisance ; ma ... ma pré... prédestinée ; oui, ma prédestinée. Qu'est-ce que cela signifie donc ?

THÉRÈSE.

Ah, ma chère Manette ! Que ma situation est cruelle/

MANETTE.

Eh... Mais dame ; je ne savais pas que ce mot-là dut vous faire de la peine ; je l'ai dit innocemment, moi.

THÉRÈSE.

Je lui abandonne volontiers ma fortune... mais... exiger encore que je lui sacrifie le bonheur de mes jours... Ah ciel !

Elle fond en larmes.

MANETTE, attendrie.

Eh, bon Dieu ! Ma chère Demoiselle, que votre état me touche, je ne sais pourtant pas ce qui peut... Contraignez-vous, voici Mademoiselle votre soeur.

Thérèse essuie promptement ses larmes et prend son ouvrage.

SCÈNE II.
Émilie, Thérèse, Manette.

ÉMILIE.

Mes affaires avancent-elles, Mademoiselle Manette ?

NANETTE.

Autant comme je puis, Mademoiselle. Comme ces jeunes mariées sont impatientes.

ÉMILIE.

Oh ! Je vous assure que vous vous trompez fort ! Je voudrais seulement être débarrassée de tout cet étalage qui m'ennuie à la mort.

En regardant sa soeur.

Mon Dieu ! Que la condition des personnes tranquilles, et destinées à vivre loin du fracas du monde, est heureuse !

MANETTE.

Mais, Mademoiselle, c'est un bonheur qu'il ne tient qu'à vous de vous procurer.

ÉMILIE, avec humeur.

Vous vous l'imaginez ; est-ce que vous ignorez qu'il ne faut pas toujours suivre ses inclinations ; que nous avons des parents qui font faits pour nous diriger ; qu'ils connaissent mieux que nous ce qui nous convient parce qu'ils ont de l'expérience, parce que le Ciel les éclaire particulièrement ? Vous ne voyez pas cela, vous, cependant cela saute aux yeux de tout le monde. Mais il y a des gens qui ont la visière si courte !

MANETTE.

Oh, Mademoiselle, ne vous fâchez pas je vous en prie.

ÉMILIE, à sa soeur.

Eh bien, Thérése, tu ne dis mot ; qu'as-tu donc ?

THÉRÈSE.

Rien.

ÉMILIE.

Que je t'apprenne une bonne nouvelle. Ma mère est allée tout disposer pour te faire entrer demain au couvent. Il faut avouer que c'est une bonne mère ; si tu savais avec quelle ardeur elle se porte à te procurer un état tranquille, heureux, si convenable à tes inclinations !

THÉRÈSE.

J'en suis persuadée.

MANETTE, à Thérèse.

Comment, Mademoiselle, vous allez être religieuse ! Je ne suis plus surprise...

ÉMILIE, à Thérèse.

Tu dois en être bien reconnaissante ; elle n'épargne pour cela ni peines ni démarches.

THÉRÈSE.

Aussi le suis-je autant que je le dois.

ÉMILIE.

Que ton sort est digne d'envie ! Est-il rien de plus heureux qu'une religieuse ! Uniquement occupée de son salut, le tracas étourdissant d'un ménager, le cortège désagréable d'une troupe d'enfants, ne la distraient point de cette grande affaire. Ah ! Combien de fois j'ai demandé au Ciel une vocation de cette espèce, mais il ne m'a jamais exaucée.

THÉRÈSE.

Ma soeur, je vous prie, épargnez-moi vos éternelles comparaisons de votre sort avec le mien ; j'en sens parfaitement la différence.

ÉMILIE.

Comme vous répondez, Mademoiselle ! Mais je dois en être peu surprife, vous n'avez jamais su reconnaître autrement tout ce qu'on a pu faire pour vous ; et, si, après tant de bontés, une mère se plaint...

THÉRÈSE.

Tenez, ma soeur, laissez-moi tranquille, ou je vais quitter la place.

ÉMILIE.

Non, c'est moi qui vous laisse. Quelle humeur ! Peut-on y tenir ? Cela est tout fait pour le cloître. Mademoiselle Manette, c'est Dimanche mes fiançailles, il me faut ma robe pour ce jour-là.

MANETTE.

Vous l'aurez, Mademoiselle.

Émilie sort.

SCÈNE III.
Thérèse, Manette.

MANETTE.

Voilà donc où aboutissent les caresses de Madame votre mère !

THÉRÈSE.

Tu le vois, mon enfant.

MANETTE.

Mais, sérieusement ? Vous êtes décidée à vous faire religieuse.

THÉRÈSE.

Que veux-tu que je te dise ! Je ne sais que faire ; je n'ai que des malheurs à choisir. Si je reste ici, je suis sûre de prendre le pire.

MANETTE.

Pourquoi avez-vous proposé de vous mettre dans un couvent ?

THÉRÈSE.

Moi ! Jamais. C'edt une idée qui est venue tout nouvellement à ma mère ; elle ne cessait de m'entretenir de la vie religieuse, de m'en vanter les douceurs. Je suis timide, tu le sais ; je ne disais mot. Ce silence a été pris pour un aveu, tout de suite on a imaginé que j'avais la vocation la mieux caractérisée ; et voilà comme mon sort a été décidé en deux jours.

MANETTE.

Eh, mort de ma vie, vous n'avez pas de courage. Je leur aurais bien fait entendre, moi, que mes idées ne s'accordent point du tout avec les leurs.

THÉRÈSE.

Peux-tu parler ainsi, toi qui connais ma mère ! Quoique dévote, tu sais combien sa colère est terrible et combien je la redoute. Mon parti ordinaire, c'est de me taire et de pleurer.

MANETTE.

Vous voilà bien avancée ; mais, monsieur votre oncle, par exemple, qui est si honnête homme, qui vous aime tant, que ne lui exposez-vous votre situation ; il y apporterait du remède, lui.

THÉRÈSE.

Hélas ! Il me prend quelquefois envie d'aller me jeter à ses pieds ; mais l'incertitude de cette démarche, la fureur où elle mettrait ma mère, et puis une certaine honte secrète me retiennent... Ah, que je suis tourmentée !

MANETTE.

Je vous plains, en vérité, très sincèrement ; ma chère demoiselle, croyez-moi, faites un effort ; il y va du bonheur de votre vie ; il ne vous reste qu'un oncle dont vous connaissez l'affection, ayez recours à lui ; car pour une mère, vous n'avez plus la vôtre...

THÉRÈSE.

Tais-toi ; j'entends quelqu'un.

MANETTE, chante.

Maudit amour , raifon févère,

À qui des deux dois-je céder ? etc.

SCÈNE IV.
Madame Villedieu, Thérèse, Manette.

MADAME VILLEDIEU, entre d'un air composé, s'arrête un instant pendant que Manette chante, et enfin l'interrompt.

Mademoiselle Manette, je vous avais priée de vous ressouvenir que vous êtes ici dans une maison pieuse, où vos chansons profanes ne conviennent point du tout.

MANETTE.

Je vous prie de m'excuser, Madame ; mais j'ai coutume de chanter en travaillant, cela me délasse. D'ailleurs, ce que je chante est fort décent.

MADAME VILLEDIEU.

Oui, pour les gens du monde qui n'y regardent pas de bien près ; mais ici, Mademoiselle, nous avons des personnes particulièrement consacrées à Dieu qui pourraient s'en scandaliser. Si vous ne pouvez vous empêcher de chanter, que ne chantez-vous des Cantiques, par exemple, des Noëls ; vous auriez l'avantage de vous édifier en vous amusant.

MANETTE.

Cela suffit, Madame.

MADAME VILLEDIEU, à Thérèse d'un ton doux et insinuant.

Eh bien, ma chère fille, ma prédestinée ; tes peines vont finir ; car l'ardeur de ton zèle te cause de saintes impatiences. Va, console-toi ; demain, tu entreras dans ce séjour si désiré. Ah, que tu es heureuse ! Combien de fois j'ai gémi sincèrement de ne pouvoir suivre ton exemple... Tu pleures, ma chère enfant ! Ah, je vois d'ici tes combats. Le tentateur fait maintenant les derniers efforts pour te détourner de ton Saint projet : je parie qu'il va jusqu'à te faire trouver haïssable l'état que tu vas embrasser... Il faut t'armer de courage, rejeter loin de toi toutes les idées du dégoût qu'il pourrait te suggérer... Va, je connais mieux que personne la sincérité de ta vocation ; je suis sûre que rien ne t'empêchera de persévérer.

THÉRÈSE, timidement.

Mais... Ma chère mère... Si vous différiez de quelques jours.

MADAME VILLEDIEU.

N'avais-je pas raison ? Non, mon enfant ; à Dieu ne plaise que je m'oppose, par des délais criminels, à la volonté du Ciel ! Tout cela, ma chère, est autant de ruses de l'esprit malin, qui, heureusement, n'échappent point à ma pénétration.

THÉRÈSE.

Ah, ma chère mère, qu'il me coûtera... de... vous quitter ! Si vous me donniez le temps de voir mes parents... Mon oncle.

MADAME VILLEDIEU, d'un ton plus dur.

Eh quoi, oubliez-vous que les Saints n'ont point de parents ? Ne devez-vous pas faire à Dieu le sacrifice entier ? Aucune espèce de liens ne doit vous attacher au monde. Tenez, prenez exemple sur moi ; vous savez combien je vous aime, eh bien, ne me suis-je pas décidée tout d'un coup à me séparer de vous, et cela sans peine... Pourquoi ? Parce que c'est pour le Ciel que se fait cette réparation ; je lui ai sacrifié sans murmure toute ma répugnance, je ne songe plus qu'au bonheur d'avoir donné la vie à une prédestinée, une Sainte... Cela ne doit-il pas bien me consoler de la perte d'une fille donc après tout la mort peut me séparer à chaque instant ?

THÉRÈSE.

Votre courage est bien admirable, ma chère mère... Que ne puis-je l'imiter ?

MADAME VILLEDIEU, sévèrement.

Croyez -vous que je fois parvenue à ce parfait détachement sans efforts ? Vous vous trompez, Mademoiselle... Eh bien, je vous ordonne d'entrer demain au couvent ; je vous l'ordonne, entendez-vous ? Si vous n'êtes pas assez forte pour fuivre de vous-même votre vocation, faites-le par obéissance ; joignez-y ce devoir, vous en connsissez la force. Il est étrange que l'on soit obligé de vous faire violence pour vous rendre heureuse.

À Manette, qu'elle surprend à plier les épaules.

Qu'avez-vous, Mademoiselle Manette ?

MANETTE.

Rien, Madame ; c'est que j'admire l'excès de votre affection pour Mademoiselle.

MADAME VILLEDIEU.

Il est vrai que je n'épargne rien pour son bonheur.

MANETTE.

Et, cela est singulier, Madame ; vous vous y prenez d'une manière que si je n'étais prévenue, j'imaginerais tout le contraire. Madame V i L L E D i E u.

MADAME VILLEDIEU.

C'est que c'est essentiellement que je tâche de la rendre heureuse, non pas comme le font les gens du monde qui mettent toute leur félicité dans les biens d'ici-bas ; ceux que je m'efforce, presque malgré elle, de lui procurer, sont les seuls biens réels, les biens de l'éternité.

SCÈNE V.
Monsieur Darneuil, Madame Villedieu, Thérèse, Manette.

MONSIEUR DARNEUIL.

Bonjour, ma soeur. Eh bien ! À quand la noce ?

MADAME VILLEDIEU.

Mais, ce sera, s'il plait à Dieu, pour la semaine prochaine.

MONSIEUR DARNEUIL.

Oh ça, mais j'ai ouï dire que vous alliez demeurer avec ma nièce.

MADAME VILLEDIEU.

Oui, mon frère, l'embarras d'une maison me fatigue, je veux faire désormais mon salut en paix et tranquillité.

MONSIEUR DARNEUIL.

C'est bien, ma soeur. En ce cas, vous ne pourrez me refuser la grâce que je vais vous demander.

MADAME VILLEDIEU.

Et quelle est-elle ?

MONSIEUR DARNEUIL.

C'est de me laisser Thérèse ; je suis seul, obligé d'être souvent absent ; j'ai affaire à des coquins de domestiques qui me volent ; d'ailleurs, je suis trop vieux pour songer à me marier ; ma nièce est douce, sage, économe, elle me tiendra compagnie.

MADAME VILLEDIEU.

Mon cher frère, vos intentions sont louables, je vous en remercie pour ma fille ; mais le ciel en a décidé autrement. Elle prend un parti qui s'oppose à vos vues.

MONSIEUR DARNEUIL.

Comment ? Est-ce que vous la mariez aussi ? La pauvre enfant ! Cela me fait plaisir. Vous avez choisi sûrement un honnête homme.

MADAME VILLEDIEU.

Non, mon frère, non. Dieu lui a fait plus de grâces, il l'appelle à la vie religieuse. Je la mets demain au couvent.

MONSIEUR DARNEUIL.

Bon ! Sérieusement.

MADAME VILLEDIEU.

Très sérieusement, mon frère, ce n'est point du tout ici matière à plaisanter.

MONSIEUR DARNEUIL.

Oh, oh ; voici du nouveau. Thérèse ne m'avait jamais parlé de ce dessein-là.

À Thérèse.

Mais est-ce bien de ton avis, mon enfant ?

Thérèse pleure.

MADAME VILLEDIEU.

Assurément, me croyez-vous capable de gêner sa vocation ?

MONSIEUR DARNEUIL.

Non pas autrement ; mais il est de certains signes équivoques que l'on peut mal interpréter ; vous pouvez vous y laisser tromper comme les autres.

MADAME VILLEDIEU, avec aigreur.

Que voulez-vous dire avec vos signes équivoques ? Quand je vous assure que j'ai reconnu en elle la vocation la plus décidée ; je ne suis pas une visionnaire.

MONSIEUR DARNEUIL.

J'en suis persuadé. Cependant permettez-moi de l'interroger.

À Thérèse.

Parle-moi naturellement, mon enfant, te sens-tu véritablement appelée à la vie religieuse ?

Thérèse continue de pleurer.

MADAME VILLEDIEU, avec impatience.

Vous voyez bien que la timidité, ou plutôt la crainte que vous ne vous opposiez à son projet, l'empêche de vous en faire l'aveu.

MONSIEUR DARNEUIL.

Point du tout, je ne vois point cela. Thérèse, mon enfant, ta mère, ni moi n'entendons point te contraindre. Allons, ouvre-moi ton coeur ; que penses-tu ?

MANETTE, bas à Thérèse.

Allons, un peu de courage.

THÉRÈSE, d'une voix tremblante et entrecoupée de sanglots.

Mais... je préférerais... de passer mes jours avec vous.

MONSIEUR DARNEUIL.

Je me doutais bien qu'il y avait quelque chose là dessous.

MADAME VILLEDIEU, avec emportement.

Comment, petite impertinente, me jouer de semblables tours ; comme si j'étais capable de gêner votre vocation ? Ne m'avez-vous pas fait entendre que vous vous sentiez appelée à la vie religieuse ? Ne m'avez-vous pas engagée en conséquence à faire quantité de démarches... Et cela aboutit à faire l'affront le plus sanglant !... À une mère... Petite effrontée !...

MONSIEUR DARNEUIL.

Eh, ma soeur, doucement.

THÉRÈSE.

Ah, je suis perdue ! Mais, ma chère mère, c'est toujours vous qui...

MADAME VILLEDIEU.

Taisez-vous, fille ingrate, ne me parlez jamais. Faite[s] comme vous l'êtes de corps et d'esprit, le couvent est le seul parti qui vous convienne.

MONSIEUR DARNEUIL.

Vous vous oubliez, ma soeur. Une personne pieuse...

MADAME VILLEDIEU.

Laissez-moi, monsieur ; ce n'est point à vous à faire ici la loi ; et cette petite drôlesse, car il n'y a qu'un coeur corrompu qui puisse avoir de pareils procédés, qu'elle s'attende à être traitée comme elle le mérite, je lui voue la haine la mieux conditionnée.

MONSIEUR DARNEUIL, à part.

Quelle dévotion, bon Dieu !

À Madame Villedieu.

Écoutez-moi, je vous prie, un instant. Vous ne voulez donc pas me confier Thérèse ?

MADAME VILLEDIEU, sèchement.

Non, Monsieur, non : ce sont vos mauvais conseils qui l'ont séduite, vos mauvais propos qui l'ont gâtée ; je ne veux pas qu'elle achève de se perdre : c'est ma fille, malheureusement, mon devoir m'oblige à veiller sur elle, à la remettre, malgré elle, dans la bonne voie, et je saurai y pourvoir mieux que vous, Monsieur.

THÉRÈSE, à Monsieur Darneuil.

Ah Ciel ! Mon cher oncle, que vais-je devenir ?

MONSIEUR DARNEUIL, à Thérèse.

Un moment.

À Madame Villedieu.

Plus qu'un mot, ma soeur : je suis riche, vos filles attendent de moi toute leur fortune ; j'ai promis d'habiller et de doter votre aînée pour fon mariage, et on ne m'a pas épargné ;

En prenant l'étoffe qui est entre les mains de Manette.

Car voilà qui est magnifique. Laissez-moi Thérèse, ou je retire mes bienfaits, votre Émilie n'a pas un sol à espérer de moi.

MADAME VILLEDIEU, se radoucissant.

Mais vous avez donné votre parole, vous ne pouvez pas en conscience...

MONSIEUR DARNEUIL.

En conscience ou non ; cela est décidé.

MADAME VILLEDIEU, après avoir un peu rêvé.

Eh bien, gardez-la, Monsieur, gardez-la : je ne veux pas, pour une malheureuse, une réprouvée qui a toujours fait ma croix, faire manquer l'établissement d'une fille qui ne m'a jamais donné que de la consolation.

À Thérèse avec un dernier emportement.

Allez, fille ingrate, je vous abandonne, je vous renonce pour ma fille ; allez consommer l'oeuvre de votre perdition.

Elle sort.

SCÈNE VI et DERNIÈRE.
Monsieur Darneuil, Thérèse, Manette.

THÉRÈSE, éperdue, se jette entre les bras de son oncle.

Ah, mon oncle !... Je ne fais où j'en suis... Rien ne pourra calmer la colère de ma mère.

MONSIEUR DARNEUIL.

Laisse faire, mon enfant ; le temps l'adoucira ; en tout cas je te tiendrai lieu de tout, moi. Il y a un jeune homme, fils d'un de mes amis les plus intimes, qui m'a fait parler de quelque chose... On le dit fort joli garçon de toutes manières ; va, ne t'inquiète pas, je mettrai tous mes soins à te rendre heureuse.

MANETTE.

Voilà ce qui s'appelle un bon parent que cela ; Dieu nous le devait.

À Thérèse.

Eh bien, Mademoiselle, après ce que vient de dire monsieur votre oncle, pouvez-vous être encore affligée ?

THÉRÈSE.

Hélas, mon cher oncle, que je fuis pénétrée de vos bontés ! Les expressions manquent à ma reconnaissance. Cependant au milieu de tout cela, je vous avouerai que l'indignation de ma mère m'accable, je n'en puis supporter le poids... Ah, j'en mourrai...

MONSIEUR DARNEUIL.

Mais... Tu es folle de t'affecter ainsi... Tu as un coeur excellent, une âme des plus sensibles ; allons donc, que la raison te guide. La mauvaise humeur de ta mère n'a point de fondement, cela doit te tranquilliser, mettre ta conscience en repos. Va, c'est un petit orage qui se dissipera, un jour viendra que ta mère te rendra justice.

 



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