EPITRE DE CLIO (1732)

Nivelle de la Chaussée

Les notes sont de l'auteur.

À Monsieur De B.

Au sujet des opinions répandues depuis peu contre la poésie.

Ô toi, jadis élevé dans mon sein,

Enfant nourri de mon lait le plus sain,

Viens, prends la plume et le style d'Horace,

Écoute, écris et venge le Parnasse.

Le fanatisme, au bas de ce vallon,

Veut pervertir les enfants d'Apollon ;

Et leur prêchant un nouveau catéchisme,

Porte avec lui le scandale et le schisme :

Tâchons enfin d'arrêter les projets

De l'hérétique. Assez de nos sujets,

Comme brebis, se suivant l'une et l'autre,

Pour son bercail, ont déserté le nôtre.

Aux nouveautés toujours prostitué,

Et dans l'erreur sophiste habitué,

Quand il lui plaît, sa plume hétérodoxe,

En axiome érige un paradoxe ;

Sa bouche exhale un aimable poison,

Le tort lui sert autant que la raison,

Et tout chemin le conduit à la gloire.

Ce fut ainsi qu'au temple de mémoire,

Il appela de la prescription

Dont jouissait le chantre d'Ilion.

Mais ce n'est plus la querelle d'Homère,

Il donne encor dans une autre chimère ;

Il va, dit-on, du faux charme des vers,

Désabuser pour jamais l'univers ;

Et pour donner plus d'essor au génie,

Anéantir la rime et l'harmonie.

Tel Alexandre, étant prêt d'échouer,

Trancha le noeud qu'il ne put dénouer.

Pour maintenir notre gloire et nos charmes,

Je n'ai besoin que de nos propres armes ;

Quoique pourtant nos doux amusements

Soient au-dessus des vains raisonnements.

Loin tout censeur qui n'a que du génie,

À qui souvent la nature dénie

Ce sentiment qu'on ne peut définir,

Qui pour le vrai sait d'abord prévenir.

C'est au goût seul à juger d'un ouvrage ;

Par le plaisir, il règle son suffrage ;

Doux préjugé de l'esprit et du coeur,

De l'analyse il brave la rigueur ;

Et dédaignant les disputes de classes,

Ne reconnaît pour juges que les grâces.

Mais rassemblons ces griefs prétendus,

Que l'ignorance a, chez vous, répandus.

Au bas du Pinde, il est certaine engeance

Qui nous impute une fausse indigence,

Et qui se plaint, que nos folles humeurs

Ont appauvri la langue et les rimeurs ;

Que l'art des vers est un jeu d'aventure,

Où le bon sens se trouve à la torture ;

L'esprit contraint par les difficultés,

N'y jouit plus des mêmes facultés.

Tyrannisé par des lois insensées,

Qui font toujours avorter ses pensées,

Il est enfin réduit à supprimer

Ce qui lui rit, sans pouvoir l'exprimer.

Le terme propre altère la mesure,

Son synonyme allonge la césure :

Par l'hiatus, cet autre est éconduit ;

La rime oblige à faire un long circuit ;

Pour assortir ces unissons frivoles,

Il faut noyer le sens dans les paroles,

Et les beaux vers sont enfants du hasard .

Ceux qui sont nés peu propres à notre art,

Osent ainsi taxer, sans connaissance,

La langue, et nous, de leur propre impuissance.

Ainsi, jadis, avant que, sur les mers,

On eût trouvé mille chemins divers,

On regardait ces barrières profondes,

Dont l'océan sépare les deux mondes,

Comme un obstacle opposé par les dieux,

Pour contenir les mortels curieux,

Et les fixer chacun dans leur patrie.

Aurait-on cru qu'une heureuse industrie,

De jour en jour, ferait des matelots ?

Qu'on les verrait, triomphants sur les flots,

Assujettir Éole dans des voiles,

Et dans un cercle asservir les étoiles ?

Telle pourtant l'adresse des humains,

D'un pôle à l'autre, a tracé des chemins ;

Malgré les vents et les flots infidèles,

Neptune a vu voguer les citadelles

Vers ces climats où Plutus, jusqu'alors,

Avait caché ses funestes trésors.

Avec autant de courage et d'adresse,

On s'est frayé des routes au Permesse ;

Sans remonter à la source des temps,

Le dernier siècle a des faits éclatants.

On boit encore à la même fontaine

Où s'est alors abreuvé La Fontaine.

Comme autrefois, sur les pas des neuf soeurs,

On voit encor renaître autant de fleurs ;

Et tous les jours Apollon les prodigue

Au chantre heureux du vainqueur de la ligue.

Que cet exemple, en dépit des clameurs,

Dans leur métier rassure les rimeurs ;

En leur donnant des avis salutaires,

Je leur rendrai raison de nos mystères :

Heureuse enfin, s'ils goûtent des avis

Que, dans ce siècle, on n'a guères suivis !

Notre métier demande un long usage,

Et l'on ne sort jamais d'apprentissage.

Sachez qu'en vain un astre bienfaisant

A fait de vous un poète en naissant,

Si, dès l'enfance, une heureuse culture

N'ajoute encore aux dons de la nature ;

Si l'on ne prend ses premières leçons

Des anciens et de leurs nourrissons :

Car cette source unique et bienfaisante

Doit abreuver toute muse naissante.

Mais à l'excès n'allez pas vous livrer ;

Il y faut boire, et non pas s'enivrer.

Dans votre langue, avant de rien produire,

Il faut à fond chercher à vous instruire

Des mots d'usage et de leurs sens divers :

La langue est une, en prose comme en vers ;

Et la grammaire, en tout genre d'écrire,

Exerce un droit que l'on ne peut prescrire.

Les mots sont faits, leur juste expression

Ne souffre entre eux aucune extension ;

Chacun contient son sens et son image

Précis, distincts et marqués par l'usage :

C'est votre maître absolu dans son choix,

D'autre que lui ne peut changer ses lois.

L'esprit en vain brille dans vos ouvrages,

Quand votre langue y reçoit des outrages ;

Ne croyez pas pouvoir vous acquitter,

Par quelques traits que l'on ne peut citer

Qu'en débrouillant le texte par la glose,

Et traduisant votre pensée en prose.

Plus d'un rimeur dans sa langue indigent,

Pour ses défauts toujours trop indulgent ;

Quand il en trouve un exemple authentique,

Croit triompher d'une injuste critique.

Vous les voyez sourire en suffisants

À des avis donnés par le bon sens :

Leur souvenir, au besoin trop fidèle,

Me cite alors un illustre modèle ;

Et s'en faisant un ridicule appui,

Se font honneur de ce qu'on blâme en lui :

Ainsi, sans soins et sans exactitude,

De leur licence ils font une habitude.

Rien de nouveau ne se pense aujourd'hui,

Vous n'êtes plus que les échos d'autrui ;

Il est trop tard pour prétendre à la gloire

De rien apprendre aux filles de mémoire ;

Mais dans sa langue un rimeur éprouvé,

En répétant ce qu'Horace a trouvé,

Peut enchérir encor sur son modèle :

N'a-t-on pas vu son disciple fidèle,

Ce satyrique, ami de Juvenal,

D'imitateur se rendre original ?

Ainsi Racine amena sur la scène,

Après Corneille, une autre Melpomène,

Qu'il rajeunit par de nouveaux atours.

L'invention n'est plus que dans les tours :

Tout devient neuf, quand on sait bien le dire ;

L'expression est l'âme de la lyre.

Le plus beau trait, dans un vers mal rendu,

Est, pour l'auteur, presque autant de perdu ;

Et sa pensée appartient au poète,

Qui saura mieux s'en rendre l'interprète.

La langue enfin est la base de l'art ;

Sur le Permesse on s'embarque au hasard,

Si l'on n'en fait une étude profonde.

Joignez encor la pratique du monde ;

Là, vous prendrez ce tour noble et coulant,

Ce style pur, ce langage galant,

Qu'avec Chaulieu, la Fare eut en partage,

Et dont La Faye a fait son héritage.

Heureux qui peut, chez d'illustres amis,

Se procurer le bonheur d'être admis !

À leurs leçons une muse attentive,

Se sent toujours de ceux qu'elle cultive.

À votre langue appliquez donc vos soins,

Elle a de quoi fournir à vos besoins ;

Tel eût trouvé qu'elle est plus étendue,

S'il en eût fait une étude entendue,

Et d'un jargon étrange et précieux,

N'eût pas souillé le langage des dieux.

Ce fut ainsi que déjà l'ignorance

Pensa jadis nous chasser de la France,

Quand un pédant, le fléau du métier,

Et de Marot dédaigneux héritier,

Nous fit parler un langage barbare ;

C'était Ronsard, dont la verve bizarre,

Aux mots du temps ne pouvant se borner,

Gâta la langue en la voulant orner.

C'en était fait, si le ciel n'eût fait naître

Un nourrisson qui devint votre maître ;

Malherbe apprit à ses contemporains

À se passer de ces termes forains,

Qu'au grand regret de la pédanterie ;

Il renvoya chacun dans leur patrie.

Il fut suivi par Racan et Maynard :

Tous deux instruits des finesses de l'art,

Surent, au Pinde, amener sur leurs traces,

La pureté, l'élégance, et les grâces ;

Mais il fallut bien du temps aux neuf soeurs,

Pour leur trouver deux ou trois successeurs.

On vit encor les muses florissantes,

De jour en jour, devenir languissantes ;

Et la folie alors nous infecta

De ces sonnets que Dulot inventa ;

Dulot inventeur des bouts rimés voir Sarazin.

La folle pointe, à l'antithèse unie,

Prit dans les vers la place du génie ;

Et le bon sens, timide et sans appui,

Eut le destin qu'il éprouve aujourd'hui.

Rêveuse, un jour, sans suite et sans compagnes,

(Il m'en souvient,) j'errais dans nos campagnes ;

Je m'amusais, pour charmer mes douleurs,

À me parer des immortelles fleurs

Dont le Permesse embellit nos prairies :

Je m'arrêtai sur ses rives fleuries ;

L'aimable aspect de ses bords enchantés,

Son doux murmure, et ses flots argentés,

Tout rappela, dans ma triste pensée,

Le souvenir de sa gloire passée ;

Plus vivement je sentis mes malheurs :

Fleuve divin, dis-je, en versant des pleurs,

Dans quel oubli sont tes ondes plaintives !

Le barbarisme a dépeuplé tes rives :

Jusques à quand, ô source des beaux vers,

Couleras-tu sans fruit pour l'univers ?

À peine, hélas ! Sarrasin et Voiture

Ont, en passant, goûté d'une eau si pure.

Le fleuve alors, agitant ses roseaux,

Fit murmurer ses prophétiques eaux ;

Et s'élevant sur son urne azurée,

Je fus ainsi par ce dieu rassurée :

"Un autre goût va changer notre sort.

La terre s'ouvre, un nouveau peuple en sort ;

Toutes mes eaux auront peine à suffire ;

Et toi, remets des cordes à ta lyre. "

Il dit ; l'espoir, plus prompt que les zéphyrs,

Vint dans mon coeur ramener ses plaisirs.

Pour annoncer a commune allégresse,

Je fus chercher les nymphes du Permesse.

Dans un bocage, où je crus les trouver,

Un inconnu s'occupait à rêver :

Quel souvenir réveilla ma tendresse !

Je soupirai de joie et de tristesse.

Au même endroit, c'est ainsi qu'autrefois

Je rencontrai Sophocle dans ce bois ;

C'était lui-même ; il m'apprit son histoire :

"Pour achever ce qui manque à ma gloire,

Le ciel, dit-il, sous ces traits que tu vois,

Me rend au monde une seconde fois ;

Et sous le nom de l'aîné des Corneilles,

J'y produirai mes plus grandes merveilles.

Va, laisse-moi recueillir mes esprits. "

Alors parut à nos regards surpris,

Dans les états de ma soeur Melpomène,

Ce lumineux et nouveau phénomène,

Qui, moins brillant en commençant son cours,

À l'hélicon donna de si beaux jours.

Cet avenir prédit par le Permesse,

S'ouvrit enfin, et remplit sa promesse.

De jour en jour, nos heureuses leçons

Firent alors d'illustres nourrissons.

Un autre Auguste eut un autre Mécène,

Qui fit couler le Tibre dans la Seine.

Le barbarisme, encor plus d'une fois,

Voulut troubler le parnasse français ;

Un Aristarque, avec des bras d'Hercule,

Vint étouffer cette hydre ridicule ;

Du dieu des vers ministre souverain,

À la licence il mit un juste frein :

Notre art soumis à l'exacte grammaire,

Comme autrefois, ne fut plus arbitraire ;

Ami d'un ordre, après lui, mal gardé,

Il n'admit plus aucun mot hasardé ;

Et se bornant à leur sens légitime,

Prouva qu'entre eux aucun n'est synonyme.

Le vers alors, perdant sa dureté,

Avec la forme, acquit la pureté.

Pégase allait par bonds et par secousses ;

Il lui donna des allures plus douces :

Sur le parnasse, enfin il vint à bout

De réformer l'oreille avec le goût ;

Et termina plus de travaux qu'Alcide.

Lors arriva ce nouvel Euripide,

Qui, sur le ton le plus mélodieux,

Sut moduler le langage des dieux :

Lui, dont la veine harmonieuse et pure,

Prenant son cours du sein de la nature,

Comme un ruisseau murmurant et flatteur,

Charme l'oreille, et coule jusqu'au coeur :

Il vint apprendre aux muses délicates

À rejeter ces expressions plates,

Et ce concours de mots malencontreux,

Durs à l'oreille et discordants entre eux.

Heureux qui peut sentir leurs convenances,

Et, comme lui, sauver leurs dissonances !

Il est des airs qu'on pourrait avouer ;

Mais sur la lyre on ne peut les jouer.

Depuis longtemps Apollon s'étudie

À les chanter : leur fausse mélodie,

Malgré son art, détonne avec sa voix,

Et fait jurer les cordes sous ses doigts.

Il faut encor, outre un heureux génie,

L'oreille juste, et propre à l'harmonie.

Malheur à qui n'en est pas enchanté :

Le vers n'est fait que pour être chanté ;

Dans sa secrète et douce mécanique,

Il a son mode, et son genre harmonique ;

Un son suffit pour faire abandonner

Ceux qu'on ne peut chanter sans détonner :

Ce que la langue articule avec peine,

En la forçant, met l'oreille à la gêne ;

L'esprit, sensible à leurs communs rapports,

Souffre aussitôt qu'on force leurs ressorts,

Et goûte moins ce qui pourrait lui plaire.

Flatter l'organe est le point nécessaire :

À cet appas le coeur se livre, et suit

L'impression du sens qui le séduit.

De ce talent la nature est avare :

Tel en partage eut l'esprit le plus rare,

Mais, dans un vers toujours mal agencé,

Il a gâté tout ce qu'il a pensé.

C'est à regret qu'Apollon vous inspire,

Si vous forcez les cordes de sa lyre.

Il fut un temps moins facile aux rimeurs,

Quand le langage, aussi dur que les moeurs,

À vos aînés ne fournissait qu'à peine

De quoi suffire à leur rustique veine ;

Dès lors, au Pinde, en marchant à tâtons,

Ils recherchaient l'arrangement des tons.

Il en est un qui fut grevé de blâme,

Il s’agit de Malherbe.

Pour avoir dit : « comparable à ma flamme ».

Cet hémistiche autrefois critiqué,

Sera peut-être ici revendiqué,

Et soutenu par ceux que je condamne :

Mais je ne puis raffiner leur organe.

S'il m'en souvient, on a bien réclamé,

Certain sonnet fait pour être blâmé.

À ce propos, on dit qu'un jour Thalie

Fut commander des vers à la folie :

À, dit ma soeur, sous ton joyeux bonnet,

Il me faudrait trouver un plein sonnet

De traits falots, où l'antithèse brille ;

Je veux surtout que la pointe y fourmille...

Soit, dans ce goût, aurez sonnet exquis :

Je sais un fat, et, qui plus est, marquis ;

Tous les matins, il rime à sa toilette :

C'est-là sans faute où j'en ferai l'emplette...

Pas n'y manqua : dans un papier roulé,

Le doux sonnet, bien musqué, bien moulé,

Le sonnet du Misanthrope.

Par un zéphyr fut remis à Thalie.

Bon, dit ma soeur, ceci sent l'Italie ;

À nos gourmets j'en veux faire un présent ;

Sachons au vrai quel goût règne à présent :

En plein théâtre il faudra qu'on le lise.

Certain caustique en fit bien l'analyse,

Et le siffla ; mais le sonnet trouva,

Malgré les ris, quelqu'un qui l'approuva.

Je l'avouerai, la prose est plus unie ;

Vous triomphez, disais-je à Polymnie,

Polymnie : muse qui préside à l’éloquence.

Tout est changé dessus notre horizon,

La prose y va ramener la raison :

L'art de rimer n'est plus qu'une manie,

Dont vous allez affranchir le génie.

Non, reprit-elle, et leurs écrits pervers

Ne vaudront pas mieux en prose qu'en vers ;

Malgré mon air aisé, doux et facile,

Ils trouveront une muse indocile,

Qui les séduit par des dehors flatteurs :

Il faut aussi m'arracher mes faveurs.

Mais parcourons les fastes de la prose :

Et quel est donc le titre qu'elle oppose ?

Contre un Horace est-il plus d'un Varron ?

En vain je cherche encore un Cicéron ;

Si j'avais pu, compte que dans Athènes,

J'eusse formé bien d'autres Démosthènes.

Ce qu'ont écrit les Grecs et les Romains,

En chaque genre, est encor dans nos mains :

Qui des deux arts, jusqu'au siècle où nous sommes,

En plus grand nombre a fait de plus grands hommes ?

Rassure-toi, laisse à ces détracteurs,

D'un autre ennui fatiguer leurs lecteurs ;

Et ne crois pas qu'on abjure une étude,

Dont le plaisir a fait une habitude,

Et que le goût, en tout temps, en tous lieux,

A fait chérir des mortels et des dieux.

Gardez-vous bien d'affranchir vos mystères

De la rigueur de leurs lois salutaires :

La tolérance y nuirait encor plus.

Déjà les vers ne sont que trop déchus ;

Vous les perdrez par trop de complaisance.

L'esprit s'endort sur la foi de l'aisance.

Quand un projet conçu bien nettement,

Est à loisir digéré mûrement,

On est surpris de sa propre abondance :

Les vers heureux coûtent moins qu'on ne pense,

Et les sujets les font naître à leur gré.

Comme un creuset échauffé par degré,

L'esprit veut l'être avec économie ;

Dans l'art des vers, comme dans la chimie,

Plus d'un artiste a souvent éprouvé

Qu'il cherchait moins que ce qu'il a trouvé :

C'est un hasard, mais il est nécessaire ;

Et d'un rimeur, c'est la chance ordinaire.

Qu'ils sachent donc, moins pressés de rimer,

D'un feu pareil se laisser animer :

Mais leur jeunesse est follement avide

D'un nom précoce et toujours peu solide :

Au bas du Pinde ils viennent essoufflés,

Et pour jamais ils y restent sifflés.

Dis-leur de prendre une course moins vive.

Plus on se presse, et plus tard on arrive.

Je dirai plus : le langage des dieux

S'est, de lui-même, arrangé pour le mieux :

Son mécanisme, appelé tyrannie,

Plus qu'on ne pense, est utile au génie :

Cette contrainte est une invention

Qui le conduit à sa perfection.

L'esprit veut être un peu mis à la gêne ;

C'est l'aiguillon qui le tient en haleine,

Qui, par l'obstacle, irritant son ressort,

Occasionne un plus heureux effort,

Et lui fait prendre un essor qui l'étonne.

C'est par effort que le salpêtre tonne ;

S'il n'est contraint, il reste sans vigueur ;

Et ne produit qu'une vaine vapeur :

Plus on le presse, et plus on le resserre,

Mieux on lui fait imiter le tonnerre.

Ainsi l'esprit, dans ses difficultés,

Semble augmenter encor ses facultés ;

À son profit il tourne les obstacles,

Et la contrainte enfante les miracles.

Méprisez donc des projets surannés,

Que le bon sens a déjà condamnés...

Ainsi parla contre sa propre cause,

Celle de nous qui préside à la prose.

C'est donc à tort qu'on blâme une rigueur,

Qui maintient l'art dans toute sa vigueur,

Et qu'on réclame, avec l'indépendance,

La prétendue et nuisible abondance

De tous ces mots qu'Apollon a proscrits :

Contentez-vous de ceux qu'il a prescrits.

Vertumne, un jour, au lever de l'aurore,

Assis au pied de celle qu'il adore,

Dans ses cheveux entrelaçait des fleurs,

Et lui jurait d'éternelles ardeurs :

La tendre amante attentive et charmée,

S'abandonnait au plaisir d'être aimée,

Et ses beaux yeux assuraient son vainqueur

Qu'un même amour règnerait dans son coeur.

"Ah ! dit alors, Vertumne à la déesse,

Voici le temps fatal à ma tendresse :

Des soins plus doux que ceux de notre amour,

Vont désormais vous charmer tour à tour.

À vos jardins la saison vous rappelle,

Pour leur donner une façon nouvelle ;

Et je verrai jusqu'au temps des moissons,

Vos espaliers, vos nains et vos buissons

Vous occuper, au mépris de mes larmes,

Peut-être même aux dépens de vos charmes ;

Qui sait encor (puissé-je mal prévoir !)

Si vos vergers rempliront votre espoir.

Sans leur donner sans cesse la torture,

Laissez-les croître au gré de la nature :

Par trop de soins, et par trop de façons,

Vous fatiguez vos tendres nourrissons,

Et vous perdez leurs plus belles années ;

À peine on voit leurs tiges couronnées,

Qu'à leurs rameaux naissants et malheureux,

Vous imposez un lien rigoureux ;

Bientôt un fer, encore plus terrible,

Dans vos vergers fait un ravage horrible ;

Et l'on n'y voit que dryades en pleurs,

Sur des monceaux de feuilles et de fleurs."

Pour me blâmer, lui répliqua Pomone,

Mon cher Vertumne, attends jusqu'à l'automne :

C'est par mon art et mes soins bienfaisants,

Que j'entretiens mes arbres florissants ;

De celui-ci, que ce lien redresse,

Contre les vents, j'assure la faiblesse,

Et je corrige un penchant malheureux ;

J'ôte à cet autre un bois infructueux,

Où follement sa sève s'évapore ;

Cet arbrisseau, comblé des dons de flore,

Me promet plus qu'il ne pourrait tenir,

Et de ses fleurs il faut le dégarnir ;

Comment veux-tu que cet autre profite,

En lui laissant cette herbe parasite,

Et ce feuillage, où l'astre qui nous luit

Ne peut mûrir et colorer son fruit ?

Ainsi ma main retranche avec prudence,

Pour m'assurer encor plus d'abondance.

Vains érudits, téméraires censeurs,

Qui prétendez enseigner les neuf soeurs,

Souffrez qu'ici Pomone vous redresse ;

Car c'est à vous que son discours s'adresse.

Mais tel se plaint qu'on a mal à propos

Appauvri l'art de la moitié des mots,

Qui trouve encor assez de verbiage

Pour allonger un ennuyeux ouvrage ;

Et les rimeurs auraient encor besoin,

Qu'on eût poussé la réforme plus loin :

Mais sous leurs yeux ils ont plus d'un modèle,

Qui leur en donne un exemple fidèle ;

Et parmi ceux qu'on pourrait imiter,

Il en est un qu'on ne peut trop citer,

Qui les invite à marcher sur ses traces,

On prétend que Quinault n’a pas employé plus de 7 à 800 mots différents dans ses poèmes.

Tu le connais, ce favori des grâces,

Lui dont les vers consacrés aux amours,

Seront les seuls qu'ils chanteront toujours ;

Il avait peu de cordes à sa lyre,

Et cependant elle a pu lui suffire

Pour exprimer tout ce qu'un tendre amour

Peut, dans un coeur, inspirer tour à tour.

La fière Armide, et la tendre Angélique,

Nous a fait voir sur la scène lyrique,

Qu'en peu de mots on peut être abondant.

D'un choix heureux l'expression dépend,

D'un terme unique, employé dans sa place,

Elle reçoit et sa force, et sa grâce :

Qui la surcharge aussitôt la détruit.

Celui-là seul en tire tout le fruit,

Qui rejetant l'étalage et l'enflure,

Sait la réduire à sa juste mesure ;

C'est le grand art. La vraie expression

Ne va jamais sans la précision.

L'unique objet que notre art se propose,

Est d'être encor plus précis que la prose ;

Est c'est pourquoi les vers ingénieux

Sont appelés le langage des dieux.

La période, au cordeau compassée,

De la mémoire est bientôt effacée :

De mots pompeux on a beau l'enrichir,

D'un prompt oubli rien n'aide à l'affranchir :

Elle s'envole, et ne laisse après elle,

Qu'un sens confus qu'à peine on se rappelle :

Mais dans l'esprit, et dans le fond du coeur,

Il n'appartient qu'au vers doux et flatteur,

D'insinuer ses charmes et ses grâces,

Et d'y laisser les plus profondes traces :

Il s'établit au fond du souvenir,

Et par lui-même il sait s'y maintenir,

Sans s'altérer, ni sans perdre aucun terme

Du tour heureux et du sens qu'il renferme.

Ainsi l'esprit, dans un vers séduisant,

Peut, sans travail, s'instruire en s'amusant,

Et s'abreuver des plus grandes maximes.

L'arrangement, la mesure et les rimes,

N'empêchent pas, quoi qu'on ose avancer,

De mettre en vers tout ce qu'on peut penser ;

C'est une audace aussi vaine que folle,

Que de vouloir nous réduire au frivole,

Ou nous borner à des travaux légers :

Il en est peu qui nous soient étrangers.

La poésie, ainsi que la peinture,

Dans son ressort a toute la nature.

De tous les arts qu'on cultive avec soin,

En est-il un qui s'étende plus loin,

Et dont la source, aussi sainte et féconde,

Ait eu son cours dès l'enfance du monde ?

Ce fut alors que notre art immortel

Prit sa naissance, à l'ombre de l'autel,

Parmi les jeux, la musique et la danse,

Dont il suivit les lois et la cadence.

Les laboureurs, pour prix de leurs moissons,

Sur des autels de mousse et de gazons,

N'offraient alors qu'un tribut d'allégresse :

On les voyait pleins d'une aimable ivresse ;

Parés de fleurs, danser à demi-nus,

Et seconder leurs transports ingénus

Par des chansons naturelles et vives,

Qu'ils ajustaient à leurs danses naïves.

Qui peut nombrer les usages divers

Où les humains ont employé les vers ?

Pour rendre aux dieux un plus célèbre hommage,

La piété parla notre langage,

Et nous remit le culte des autels,

Avec le soin d'instruire les mortels :

La vérité se servit des poètes,

Et la sagesse en fit ses interprètes ;

Médiateurs entre l'homme et les dieux,

Ils ont ouvert le commerce des cieux.

Ces fondateurs du temple de mémoire

Furent commis par l'amour et la gloire,

Pour couronner de myrte et de laurier

L'amant fidèle et le fameux guerrier.

Ignore-t-on que le fils et la mère

Ne parlent point d'autre langue à Cythère ?

Ainsi naquit, chez les premiers humains,

L'art que les grecs apprirent aux romains,

Et qu'aux français ont transmis ces grands maîtres.

Mais le jargon de vos premiers ancêtres

Ne put suffire à nos arrangements ;

Le vers souffrit d'étranges changements,

Il ne trouva ni nombre ni cadence

Dans une langue encor dans son enfance ;

Où l'on ne put, quoique l'on ait tenté,

On a voulu faire autrefois des vers mesurés à la façon des Latins.

Donner aux mots aucune quantité.

Pour suppléer au défaut d'harmonie,

Et soutenir leur marche trop unie,

Vos premiers vers ont été décorés

D'accords nouveaux au parnasse ignorés ;

Et l'unisson de la rime naissante,

Vint ranimer leur chute languissante,

Et rehausser, par cette nouveauté,

Un art réduit à l'ingénuité,

Qu'enfin le goût, l'oreille et la pratique,

De jour en jour, rendirent moins gothique.

À pas réglés le vers français marcha,

Une césure en deux le partagea,

Par un repos qui varie et réveille

Une mesure uniforme à l'oreille.

De mots entre eux trop pleins de dureté,

On adoucit la première âpreté ;

Longtemps encor leurs ingrates finales,

Heurtant de front des voyelles fatales,

Firent souffrir l'oreille de Phoebus.

L'élision, funeste à l'hiatus,

Vint de ce monstre affranchir l'harmonie :

Ainsi la France emprunta d'Ausonie

L'alignement et le même niveau ;

Pour se construire un parnasse nouveau,

Tâcha de suivre à peu près son modèle,

Et vint à bout d'en construire un chez elle,

Sur un terrain peut-être moins fécond,

Mais dont bientôt elle a rendu le fond

Propre à fournir aux muses étonnées

Toutes les fleurs qu'elles ont moissonnées.

Pour nous fixer dans votre continent,

Ce fut alors qu'un mortel éminent,

Ministre encor au-dessus de sa place,

L'Atlas du trône et celui du Parnasse,

Ne rougit pas d'encenser nos autels :

À notre culte il porta les mortels ;

Des doctes soeurs, dans un nouveau lycée,

Il réunit la troupe dispersée,

Et mérita cet hommage éternel,

Dont nous payons son amour paternel.

Hélas ! Jamais la Parque inexorable,

En enlevant un père secourable,

À des enfants qui n'ont point d'autre appui,

N'a fait verser tant de pleurs après lui.

Thémis, sensible à nos vives alarmes,

Prit son bandeau pour essuyer nos larmes,

Et nous commit son propre protecteur,

Pour nous servir de père et de tuteur.

La Parque encor nous rendit orphelines.

Enfin, ce roi qui sur les deux collines,

Par la victoire en triomphe amené,

Fut, par nos mains, tant de fois couronné,

D'un nouveau faste accrut encor sa gloire,

Fit de son Louvre un temple de mémoire,

Y rassembla tout le sacré vallon,

Et prit sa place à côté d'Apollon.

Mais je soupire en rappelant nos fastes.

Qu'un siècle à l'autre oppose de contrastes !

Et quel délire à nos regards surpris,

Fait à présent fermenter les esprits !

Las du bon sens, l'erreur et le sophisme,

Les vont enfin livrer au fanatisme.

Tandis qu'ainsi j'écrivais à l'écart,

Au bas du mont, jetant l'oeil au hasard,

Je vis à gauche une épaisse poussière,

Qui tout à coup obscurcit la lumière ;

Un bruit confus, mêlé de cris perçants,

Jeta l'alarme et l'effroi dans mes sens :

Je rejoignis mes timides compagnes,

Qui s'enfuyaient au sommet des montagnes ;

Bientôt l'écho, parcourant nos déserts,

Nous annonça l'ordre du dieu des vers ;

Et notre troupe, encore plus troublée,

Dans notre temple à l'instant rassemblée,

Vint à Phoebus offrir un faible appui.

Là, sur un trône aussi brillant que lui,

Environné par Corneille et Racine,

L'aimable dieu de la double colline,

D'un doux souris accueillit les neuf soeurs ;

Il nous donna des couronnes de fleurs

Venez, dit-il, compagnes de ma gloire,

Sur la chimère emporter la victoire,

Et renverser, par des coups éclatants,

Des Marsias érigés en Titans.

Les yeux alors plein du feu qui l'embrase,

Il prend sa lyre, il monte sur Pégase,

Et nous conduit au pied de nos remparts.

Que d'ennemis dans nos plaines épars !

On y voyait une antique matrone,

Sous l'attirail et l'habit d'amazone ;

Et sur son front, nos lauriers profanés

Entrelaçaient ses cheveux surannés ;

De mille atours messéants à son âge,

Elle étalait le risible assemblage ;

C'était la prose avec nos attributs,

Qu'on amenait pour détrôner Phoebus ;

Et sur son char attelé de modernes,

Environné d'un gros de subalternes,

Était l'erreur avec la vanité,

Qu'accompagnait la folle nouveauté,

Qui sous leurs pieds, avec ignominie,

Tenaient aux fers la rime et l'harmonie.

Lors, un des leurs, d'un air avantageux,

Nous apporta son cartel outrageux ;

C'était un drame en prose alambiquée,

Avec une ode à ce coin fabriquée,

Dont Apollon soudain, avec mépris,

Au bas du mont fit voler les débris.

Comme un torrent qui descend des montagnes,

Tous nos guerriers, guidés par nos compagnes,

Vers l'ennemi s'ouvrirent un chemin.

Là, Melpomène, un poignard à la main,

Des yeux, du geste, et d'une voix tonnante,

Encourageait sa troupe fulminante.

On vit alors deux célèbres rivaux,

Courir ensemble à des exploits nouveaux ;

Sur leur égide, aux eaux du Styx trempée,

Pour sa devise un d'eux avait Pompée ;

L'autre y portait, écrit en lettres d'or,

Le nom fameux de la veuve d'Hector :

Un autre armé d'un stylet redoutable,

Pour les cotins jadis inévitable,

Sur ces mutins fondit comme un lion ;

Et les auteurs de la rébellion,

Tels que brebis par les loups harcelées,

Fuyaient, tombant comme feuilles grêlées.

Non loin de lui, sous un casque brillant,

Certain lyrique, ayant pour cri Roland ,

Se signalait en faveur de la rime :

Courage, ami, je te rends mon estime,

Lui dit alors le critique surpris ;

Ton nom sera rayé de mes écrits.

Mais j'oubliais le premier de ma liste,

L'inimitable et divin fabuliste,

Que la chronique et les rieurs du temps

Mirent jadis au rang des végétants :

L'homme d'Ésope, inconnu de soi-même ;

Enfin sortant de l'ignorance extrême

Qu'il eut toujours de sa rare valeur,

Fit aux mutins sentir, pour leur malheur,

Qu'il aurait pu, comme un nouvel Horace ;

Seul contre tous, défendre le parnasse.

La rime avait aussi parmi les siens,

Ce successeur des comiques anciens,

Encor plus grand, si, dans tous ses ouvrages ;

Il eût osé dédaigner les suffrages

Des fats du temps qu'il fallait attirer,

Et s'il n'eût eu qu'à se faire admirer.

Renard suivait l'auteur du Misanthrope.

Ici marchaient Malherbe et Calliope ;

Ils peuvent seuls raconter leurs exploits :

Les vents, l'orage et la foudre à la fois,

Sur les mortels, par des coups si funestes,

N'exercent pas les vengeances célestes.

Tels en fureur, du haut de nos remparts,

On les vit fondre, à travers les hasards,

Et sur la prose éperdue et fuyante,

Faire tonner leur lyre foudroyante.

D'autres sans nombre, aimables paresseux,

Par les plaisirs, les grâces et les jeux,

Initiés jadis dans nos mystères,

Dans ce grand jour, servant de volontaires,

Suivaient Chaulieu, La Fare et Pavillon ;

L'amour menait leur joyeux bataillon.

Pour éviter une entière défaite,

La Prose enfin se battait en retraite,

Et ramenait les siens vers nos marais ;

Quand tout à coup des escadrons tout frais,

Au dépourvu prirent nos téméraires.

Ainsi, deux vents furieux et contraires,

Contre un vaisseau, d'un souffle impétueux,

Réunissant les flots tumultueux,

De gouffre en gouffre, et d'abîme en abîme,

Vers le naufrage entraînent leur victime.

Mais sans entrer dans des détails plus longs,

De ces rimeurs tu connais tous les noms.

Que celui-là soit réputé barbare,

Qui ne connaît l'élève de Pindare.

Après ce chef des poètes du temps,

Suivait cet autre encor dans son printemps,

Qui plus chargé de lauriers que d'années,

Passa l'espoir des muses étonnées,

Et d'un chef-d'oeuvre entrepris tant de fois,

A décoré le parnasse français :

Le grand Henri n'eût pas, disait Virgile,

Mieux rencontré dans le chantre d'Achille.

Parmi tous ceux qui volaient sur leurs pas,

Il en est un qui ne leur cède pas.

Mais tu connais sa valeur poétique :

D'un nouveau genre inventeur dramatique ;

Quand il lui plaît, Melpomène en fureur,

Répand l'effroi, l'épouvante et l'horreur,

Fait ruisseler le sang avec les larmes,

Dans la terreur nous fait trouver des charmes,

Que jusqu'alors les timides rimeurs

N'ont point eu l'art d'ajuster à nos moeurs.

Ici marchait, plein de reconnaissance,

Ce nourrisson, que, depuis sa naissance,

Le dieu des vers a pris soin de former :

Toutes mes soeurs semblent le réclamer,

Il est l'enfant de leur troupe immortelle,

Leur langage est sa langue naturelle,

Sa voix ressemble à celle d'Apollon ;

Et pour sa gloire, et celle du vallon,

S'il m'est permis de dire plus encore,

Autant que nous, Bignon l'aime et l'honore.

Ah ! Dit Thalie, est-ce toi que je vois,

Restaurateur du brodequin français ?

Par la nature instruit dans mes mystères,

Nouvel auteur de nouveaux caractères,

Qu'après Molière on a vu moissonner

Au même champ où Regnard vint glaner.

Je l'avouerai, je le pris pour Térence :

Oui, dit ma soeur, c'est celui de la France.

Parmi la troupe il s'en mêla plusieurs,

Qu'on dit jadis instruits par les neuf soeurs,

Enfants hâtifs, épuisés de jeunesse,

Qui n'en ont pas acquitté la promesse ;

Que l'on a vus toujours dégénérer,

S'anéantir et se déshonorer ;

Et c'est entre eux que se forgent à l'ombre,

Ces noirs écrits, et ces brevets sans nombre,

Où leurs fureurs exhalent, à longs flots,

Un fiel goûté des méchants et des sots.

De part et d'autre, alors d'intelligence,

On courut sus et chassa cette engeance.

Le reste était de jeunes nourrissons,

Qui sauront mieux retenir nos leçons ;

Troupe novice, un jour plus consommée

Dans l'art des vers, et dont la renommée,

En parcourant depuis peu nos deux monts,

A déjà pris la liste avec les noms,

Et répandu les naissantes merveilles.

Entre autre essai de leurs premières veilles,

De l'un d'entre eux, chéri dans une cour

Où les beaux-arts ont fixé leur séjour,

Qu'avec plaisir, dernièrement encore,

Nous relisions la fable de l'aurore !

Notre rivale et les siens aux abois,

Entre deux feux exposés à la fois,

Firent encor de vaines tentatives

Pour ranimer leurs troupes fugitives.

Ce ne fut plus qu'un combat inégal,

Et qu'un carnage affreux et général.

Comme autrefois aux pieds des murs de Troie,

Du fier Achille Hector devint la proie ;

Ainsi leur chef subit, à nos regards,

Le même sort autour de nos remparts.

Ainsi finit cette grande journée,

Qui décida de notre destinée,

Maintint la rime, assura l'art des vers,

Et pour jamais remit la prose aux fers.

 

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