L'ÉMERAUDE

Représentée pour le première fois le 8 novembre 1877.

1884

ÉVARISTE CARRANCE

AGEN, LIBRAIRIE DU COMITÉ POÉTIQUE ET DE LA REVUE FRANÇAISE, 6, rue du saumon, 8

AGEN, V. LENTHERIC, Juin 1890.


© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:41.


PERSONNAGES.

LE COMTE DE FRÉRY, M. Maxime.

LA COMTESSE MARGUERITE DE FRÉRY, Mme Maxime.

La scène se passe à Paris

Texte extrait de "Théâtre complet de Évariste Carrance".- Agen : Librairie du comité poétique et de la revue française. pp 205-233.


L'ÉMERAUDE

Un salon. Sur le premier plan, un canapé et une petite table - porte au fond, à droite et à gauche.

SCÈNE PREMIÈRE.

La Comtesse (en toilette de bal, fleurs blanches dans les cheveux, entre rapidement en scène, va s'asseoir sur le canapé, et laisse tomber de petites tablettes, sans s'en apercevoir.

LA COMTESSE.

Mariée ! Je suis mariée ! Je ne m'appartiens plus... J'ai trahi l'amour que renfermait mon coeur... J'ai oublié mon serment. Qu'ai-je fait ? Mon Dieu ! Ah ! Ce que je souffre est impossible à exprimer.

On entend du bruit, mêlé à quelques airs de valse.

On danse dans ces salons, pour célébrer mon mariage... pour célébrer mon martyre plutôt... Je me suis échappée comme une folle de cet enfer, car cette joie me fait mal... Le comte doit me chercher sans doute ; il aime, il a le droit de se croire aimé !... Ah ! Je lui dois un aveu ; je ne faillirai pas à ce devoir... Je lui dirai tout. Je lui découvrirai mon âme toute entière, et je me traînerai à ses genoux, s'il le faut !...

SCÈNE II.
La Comtesse, Le Comte.

LE COMTE.

Quel motif puissant vous oblige à vous éloigner de nous, ma bonne Marguerite ?

LA COMTESSE.

Monsieur...

LE COMTE.

Ce titre est bien froid pour un coeur qui ne soupire que pour vous, Comtesse.

LA COMTESSE.

Mon ami...

LE COMTE.

Il s'approche et lui prend la main.

Puisque nous sommes seuls, Marguerite, et loin des indiscrets et des curieux, laissez-moi vous répéter mille fois combien je vous aime. Cet amour qu'un de vos sourires a fait éclore, est grand comme l'univers.

LA COMTESSE, à part.

Oh ! Cet aveu, je n'ose le faire... et cependant, il le faut !...

Elle se recule tremblante.

LE COMTE.

Vous tremblez, ma bien aimée. Pourquoi craindre d'être seule avec moi ?... Ne suis je pas votre époux ? Ne m'avez vous pas choisi parmi tant d'autres qui soupiraient autour de votre beauté, et qui envient mon bonheur ?

LA COMTESSE.

Pardonnez-moi, mon ami.

À part.

Oh ! Mon Dieu, donnez-moi la force de dévoiler ce secret qui me pèse comme un remords,

Haut.

Je ressens un malaise inexprimable.

LE COMTE.

L'émotion, la fatigue du bal...

LA COMTESSE.

Sans aucun doute,

On entend du bruit.

Mais, j'entends des voix.

Elle se dirige vers la porte du fond.

LE COMTE.

Marguerite, vous souffrez... Je ne vous quitte pas.

LA COMTESSE.

Restez ! Oh ! Restez !... Je vous en supplie.

Le comte s'incline.

Elle sort.

SCÈNE III.

LE COMTE, surpris.

Je vous en supplie ! Restez! Tout cela me paraît bien étrange !

Il s'assied.

Est-ce que je ne serais pas aimé, moi qui ai donné toute mon âme, moi qui voudrais avoir dix existences pour les lui consacrer ?

Il se lève et se promène avec agitation.

Est-ce que le bonheur serait vraiment impossible à rencontrer ici-bas ? - Allons donc, je rêve, et, franchement, pour un premier jour de noce, j'ai des pensées d'enterrement. Tiens, qu'est-ce donc ?

Il ramasse les tablettes.

Des tablettes !... Un de nos invités les aura perdues... Mais non !... Nul étranger ne peut pénétrer dans ce salon, et ce délicieux objet ne peut appartenir qu'à la Comtesse. - Je vais...

Il se dirige vers la porte, et revient s'asseoir.

Finement.

Elle m'a dit : restez, je vous en supplie ! Je vous obéis, Madame. - Ce carnet tout parfumé m'intrigue singulièrement. L'ouvrirai-je ? Non, cela serait indigne d'un gentilhomme ! Indigne ... indigne... La belle excuse pour un mari !... J'ouvre les tablettes !

Il les ouvre et se lève.

Il est certain que j'ai tort, mais la faute est faite et le premier pas est celui qui coûte le plus. - Il n'y a d'ailleurs qu'une page écrite au crayon, une note de colifichets, sans doute...

Il lit.

Avec vivacité.

Mais je me trompe ! Oh ! Ce n'est pas possible !... J'ai mal lu...

On entend une valse dans l'éloignement.

Lisant.

« Aujourd'hui, 12 Janvier, ma dernière espérance s'est envolée. J'épouse le Comte de Fréry ; il est noble et plein de coeur ; on le dit brave et généreux, mais je n'éprouve pour lui que de la sympathie et du respect. Mon coeur ne m'appartient pas ; je ne puis le donner à celui dont je vais porter le nom. Que Dieu me pardonne et me protège ! »

LE COMTE.

Ah ! Que la mort vienne maintenant, je ne la crains pas... Elle sera la délivrance suprême, elle sera l'oubli éternel. Marguerite ! Oh ! Marguerite, si tu savais pourtant combien je t'aime !

Il s'incline et pleure.

Allons ! Soyons homme ! Soyons fort ! Je prendrai une résolution cette nuit même.

Il se dirige vers la porte.

Je quitterai Paris... Je fuirai, et vous serez heureuse et libre Madame la Comtesse !

Il sort.

SCÈNE IV.

LA COMTESSE.

Elle entre par la gauche.

J'ai perdu mes tablettes ! Il ne manquait plus que cela... Ah ! Je suis folle, vraiment, d'aller confier au papier toutes les impressions de mon âme... Ne devrais-je pas plutôt me résigner à vivre auprès du comte de Fréry, comme une épouse véritable ?

Elle a l'air de chercher ses tablettes.

Ne devrais-je pas essayer d'oublier cet inconnu qui apparut un jour devant moi et toucha mon coeur de jeune fille ?... Et ces tablettes qui ne se trouvent pas...

Elle s'assied et rêve.

Comme je me souviens maintenant, hélas ! Je ne reverrai jamais ce jeune homme, et si je le revoyais, ce serait pour le fuir, - le fuir pour toujours.

Pause.

Ah ! Faisons des rêves, où nous mêlons les cieux éclatants et les printemps en fleurs ! Ne voyons de la vie que le côté charmant et radieux !... Croyons à tout ce qui est bon, beau et grand ! Aimons pour vivre et vivons pour aimer !... Un jour viendra où le souffle brutal de la fatalité éteindra les lumières de notre esprit et les enchantements de notre coeur !

SCÈNE V.
La Comtesse, Le Comte.

LE COMTE.

Madame, je bénis le hasard qui me fait vous rencontrer. - Je veux en profiter pour vous annoncer mon départ de Paris.

LA COMTESSE, vivement.

Votre départ !...

LE COMTE.

Oui, Madame...

À part.

Elle est émue.

Haut.

Cela vous surprend ? - Vous afflige, peut-être ?...

Geste de la Comtesse.

Je ne croyais pas être obligé de m'éloigner de vous en ce moment. Les jours heureux, Madame, ont parfois de bien tristes lendemains...

LA COMTESSE.

À part.

Qu'est-il arrivé.

Haut.

Vous paraissez inquiet, préoccupé ; - ne puis-je savoir ?

LE COMTE.

Le motif qui m'éloigne de Paris... C'est l'histoire d'une sombre catastrophe et d'une grande douleur.

LA COMTESSE, à part.

Que veut-il dire ?

LE COMTE.

Jugez-en, Madame. La fortune, cette grande capricieuse comblait de ses dons un de mes amis ; il aimait une jeune fille, qui semblait par ses vertus et sa beauté lui promettre des jours heureux et faciles ; il caressait cet amour en son coeur, comme un avare caresse un trésor ; il touchait au seuil de la félicité suprême, car la jeune fille l'avait accepté pour époux...

LA COMTESSE, avec un frémissement dans la voix.

Oh ! Cette histoire ... achevez-là.

LE COMTE.

J'ai fini. Mon ami a découvert que l'ange était un démon, et que la jeune fille...

LA COMTESSE, avec effort.

Le trompait, peut-être ?...

LE COMTE.

Précisément, Madame. Mais, comme vous êtes émue ! Pardonnez mon récit ; il sert d'excuse à mon départ précipité. Je vais aider mon ami à se consoler où... à mourir.

Il se dirige vers la porte.

LA COMTESSE, elle fait un pas vers le Comte.

Monsieur, cette jeune fille n'est peut être pas... aussi coupable...

LE COMTE, scandant ses paroles.

Restez ! Oh ! Restez, Madame, je vous en supplie.

Il sort.

SCÈNE VI.

LA COMTESSE, après être restée un instant comme anéantie.

Oh ! Je sens un abîme se creuser sous mes pieds. Qui donc me délivrera de mes tortures ?

SCÈNE VII.
Le Comte, La Comtesse.

LE COMTE.

C'est encore moi.

Il s'avance vers la Comtesse.

LA COMTESSE, à part.

Que ne puis-je l'aimer ?

LE COMTE, il lui présente les tablettes.

J'ai trouvé ces tablettes qui vous appartiennent, Madame.

LA COMTESSE.

Monsieur le Comte.

LE COMTE.

Je vais répondre à l'interrogation que vous n'osez faire. J'ai lu la première page de ce petit livre.

LA COMTESSE, d'une voix brisée.

Alors, Monsieur, vous me trouvez bien coupable, et vous me jugez bien sévèrement. Oh ! Si vous saviez !...

LE COMTE.

Madame, je suis un honnête homme, et je vous aimais, et je vous aime encore de toute la puissance de mon être. Hier, ce matin encore, vous pouviez m'ouvrir votre âme et dessiller mes yeux ; vous pouviez me dire : mon coeur n'est pas à vous ; un autre l'occupe tout entier : - fuyez-moi, laissez-moi libre, allez au loin mourir de désespoir et de douleur ; - et je vous aurai obéi, Madame. Maintenant, il est trop tard ; pourquoi m'avez-vous épousé ?

LA COMTESSE, les mains jointes.

Oh ! Pardonnez-moi, Monsieur le Comte ; soyez généreux jusqu'à la fin ; vous allez tout savoir !

LE COMTE.

Et qu'ai-je besoin de savoir de plus, Madame ? Vous ne m'aimez pas ; vous m'avez épousé par force, et j'ai un rival préféré. Tout cela est écrit : c'est votre histoire et c'est la mienne.

Il se laisse tomber dans un fauteuil.

Et j'avais la faiblesse de croire à la jeunesse et de croire à l'amour !

LA COMTESSE.

Monsieur, je sais peu de chose de la vie, si ce n'est la douleur. J'ignore l'art de dissimuler ses paroles. Je vous dois un aveu.

LE COMTE.

Un aveu !

LA COMTESSE.

Le nom que vous m'avez confié, je le respecterai, Monsieur le Comte. Je serai votre amie et votre soeur ; nul être au monde n'aura plus d'amitié plus de respect pour vous que je n'en aurai.

LE COMTE, il se lève.

L'amitié ! Le respect ! Ces mots sont glacés, et vous ne songez pas, Madame, que je vous aime avec idolâtrie ! Vous ne songez pas que ce matin je me croyais l'homme le plus heureux de la terre, et que j'en suis maintenant le plus désespéré ;que j'avais le ciel dans le coeur, et que j'ai l'enfer dans l'esprit, maintenant ! Allons, Madame, soyez franche, pourquoi m'avez-vous épousé ?

LA COMTESSE.

Parce que mon tuteur me l'ordonnait, en me menaçant d'un couvent si je refusais d'obéir.

LE COMTE.

Ah ! Je comprends ! Vous m'avez accordé la préférence. Mais ignorez-vous donc, Madame, que le mariage est un couvent plus terrible encore que celui que vous redoutiez.

LA COMTESSE.

Monsieur, je vous savais honnête et loyal ; j'espérais...

LE COMTE.

Mais celui que vous aimez est donc un être merveilleux, pour que vous ne cherchiez pas, devant moi, votre mari, à déguiser cet amour.

LA COMTESSE, avec un soupir.

Oh ! Oui !

LE COMTE.

Il est jeune.

LA COMTESSE.

Je le crois.

LE COMTE.

Il est noble.

LA COMTESSE.

Je le suppose.

LE COMTE.

Et... il est beau.

LA COMTESSE.

Je l'espère.

LE COMTE.

Voyons, Madame, il est temps de répondre sérieusement à un époux qui doit se croire outragé. Je vous demande si celui que vous me préférez est jeune, noble, beau, et vous me répondez par ces mots incompréhensibles. Je le crois, je le suppose, je l'espère !

LA COMTESSE.

Mais, Monsieur, je ne puis vous répondre autre chose, car je ne le connais pas...

LE COMTE.

Pardon, Madame, mais je vous jure sur l'honneur que mon esprit s'en va.

Il lui présente un siège et en prend un.

Vous prétendez que vous aimez un jeune homme.

La Comtesse fait un signe affirmatif.

Et que ce jeune homme vous ne le connaissez pas !

LA COMTESSE.

C'est l'exacte vérité.

LE COMTE.

Alors je suis fou ! complètement fou !

LA COMTESSE.

Attendez-moi une minute, Monsieur le Comte, à mon retour, je vous ferai ma confession.

Elle sort.

SCÈNE VIII.

LE COMTE.

Quelle nuit de noce !

On entend un air de valse.

Et ces gens qui dansent encore ! Ah ! Je suis un homme bien malheureux.

Il se lève et se promène avec agitation.

Ment-elle avec impudence ! Ne pas connaître celui que l'on aime, est-ce possible ? Et cependant elle est jeune et pure : elle ne doit pas, elle ne sait pas mentir. Ah ! Je suis bien puni de ma jeunesse insoucieuse, pleine d'égoïsme et de désoeuvrement. Devais-je croire à l'amour, moi qui prétendais connaître le coeur humain ? L'heure de la souffrance est venue, comme une vengeresse impitoyable, car j'aime cette femme comme on aime son Dieu, moi, et je sens bien que je ne pourrai vivre sans elle.

SCÈNE IX.
La Comtesse, Le Comte.

LA COMTESSE.

Vous allez m'écouter un instant avec attention, Monsieur le Comte ; vous me plaindrez ensuite, car vous comprendrez tout ce que j'ai dû souffrir et tout ce que je souffre encore.

LE COMTE.

Soit, Madame, je partirai après vous avoir écoutée.

Ils prennent des sièges.

LA COMTESSE.

Il y a six mois que je quittai le couvent.

LE COMTE, à part.

Elle a fait du chemin depuis. - Oh ! Ces pensionnaires, avec leur mine sournoise !

Haut.

Six mois seulement, Madame.

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur.

Avec émotion.

Oh ! Je n'oublierai jamais cette date mémorable. Le même soir, il y avait bal paré et masqué chez la Marquise d 'Arfeuille.

LE COMTE, à part.

Oui, j'étais à ce bal ; - je me souviens.

LA COMTESSE.

Mon tuteur voulut à tout prix me conduire chez la Marquise. On me fit abandonner ma modeste robe du couvent, on jeta sur moi un domino, on mit un loup sur mon visage, et l'on m'entraîna...

LE COMTE, avec intérêt.

Poursuivez, Madame.

LA COMTESSE.

Je fus bientôt éblouie, moi, pauvre pensionnaire de couvent, au milieu de cette société curieuse, vêtue d'habits étranges, se livrant à tous les écarts tolérés par une aristocratie indulgente.

LE COMTE, à part.

Il m'arriva une aventure, cette nuit là.

LA COMTESSE.

Je m'étais réfugiée dans l'angle d'un grand salon, toute confuse de me trouver dans le monde, et cherchant à m'en isoler, lorsque je m'aperçus que je n'étais pas seule, et qu'un cavalier vêtu en Marquis me considérait avec attention.

LE COMTE, à part.

Mais, c'était moi, ce Marquis là ! Où va-t-elle en venir ?

LA COMTESSE.

Ce Marquis me regardait à travers les trous de son masque avec une persistance singulière. « Mademoiselle, me dit-il enfin, je suis sûr que vous vous ennuyez beaucoup ici. » - Je n'osai d'abord répondre à cet inconnu ; mais, peu à peu je me sentis pleine de trouble et d'émotion et je l'écoutai avec plaisir, avec bonheur. Sa voix était d'une douceur pénétrante, et son regard, qui lançait des flammes, était toujours rivé sur le mien.

LE COMTE, à part.

C'est toujours moi !

LA COMTESSE.

Il m'offrit son bras, nous traversâmes les salons, et nous allâmes nous asseoir dans un boudoir plein de parfums.

LE COMTE.

Votre récit m'intéresse au plus haut degré.

LA COMTESSE.

Nous dansâmes ensemble une partie de la nuit ; et, lorsque l'heure de la séparation sonna, je sentis que mon coeur tremblait d'émotion, et qu'une nouvelle vie allait s'ouvrir devant moi. Mon cavalier me tendit une main dans laquelle je mis la mienne sans hésiter.

LE COMTE, d'une voix tremblante.

Et alors... Oh ! Continuez, Madame.

LA COMTESSE.

Tout à coup, je sentis qu'il glissait une bague à mon doigt. - Que faites-vous, lui demandai-je ? - Oh ! me répondit-il mon coeur s'est déclaré pour vous cette nuit : Cette bague me rappellera à votre souvenir. Je vous aime, aimez-moi. - Je le jure ! m'écriai-je ; et, toute frémissante, je détachai mon bracelet, et je l'offris comme le gage de mon serment.

LE COMTE, à part.

C'était moi !... Oh ! Le ciel m'a fait rencontrer un ange sur cette terre !

LA COMTESSE.

À ce moment, mon tuteur m'aperçut et m'entraîna vers notre voiture. À la lueur d'une bougie vacillante, je laissai tomber mon loup ; mon cavalier en fit autant ; nous ne fîmes que nous envisager : nous ne devions plus nous revoir.

Elle ouvre le coffret et prend la bague.

LE COMTE, à part.

Quel merveilleux hasard ! Ah ! Je sens que le bonheur revient : ce que l'époux n'a pu obtenir, l'amant l'obtiendra.

LA COMTESSE, présentant la bague.

Voici l'émeraude que me donna l'inconnu. Je vous ai tout dit, Monsieur le Comte.

LE COMTE, à part.

Il prend l'émeraude.

Il faut déguiser son bonheur.

Haut.

Madame, j'ai besoin de réfléchir à cette étrange aventure. - Confiez-moi cette émeraude. - Je reviens dans un instant.

Il sort.

SCÈNE X.

LA COMTESSE.

Mon aveu est fait. J'ai laissé échapper ce grand secret qui me causait des tortures indicibles. Ah ! Dieu sait ce qu'il coûtait à mon coeur. - Maintenant que le Comte a tout appris, je me trouve plus calme et plus rassurée.

Après un silence.

Mon mari est un noble coeur ; et comme je me sentirais disposée à l'aimer si je le pouvais sans remords ! Pauvre comte ! Quelle triste vie sera la sienne désormais ! Il m'aime tant, il a l'air si bon. Comme il était ému en écoutant mon récit ! -

Elle rêve.

Pourquoi mon tuteur m'a-t-il conduite chez la Marquise d 'Arfeuille ? - Au couvent, on voit passer, dans les songes, de beaux cavaliers vêtus d'habits magnifiques, et ces beaux cavaliers vous parlent d'espérance et d'amour ! - Dans cette nuit délicieuse, je rencontrai cet idéal caressé si longtemps, - et mon âme s'abandonna tout de suite ! - Si j'avais eu ma mère, elle m'eût conseillé. Je n'avais que mes illusions et mon coeur. - J'ai tout donné !

SCÈNE XI.
Le Comte, sous un costume de Marquis avec un loup sur le visage, et déguisant sa voix.

LA COMTESSE.

Que vois-je ?

LE COMTE.

Je vous aime et je viens...

LA COMTESSE, chancelante.

Comment, Monsieur, vous venez ? Et de quel droit ? - Je suis mariée, Monsieur ! -

LE COMTE.

Vous avez donc oublié votre serment ?

LA COMTESSE.

Ne me le rappelez pas.

LE COMTE.

J'ai bravé tous les obstacles pour vous revoir.

LA COMTESSE.

Monsieur !

LE COMTE, faisant un pas vers la Comtesse.

Vous êtes à moi ; je vous aime.

LA COMTESSE.

N'approchez pas, monsieur ! Oublions un rêve irréalisable ! J'ai trahi un serment que je ne pouvais tenir ! - Je suis la femme d'un généreux et vaillant gentilhomme.

LE COMTE.

Madame !

LA COMTESSE.

Et depuis un instant, Monsieur, je sens que je l'aime de toute mon âme.

LE COMTE.

Il est impossible que votre coeur ait oublié cette nuit radieuse, pleine de rêves enchanteurs et de parfums enivrants !

LA COMTESSE.

Monsieur, votre présence dans cette maison au milieu de la nuit, me glace de terreur. Oh ! Qui que vous soyez, - vous aurez pitié de moi, vous comprendrez la situation affreuse dans laquelle je me trouve... vous fuirez...

LE COMTE.

Jamais ! Madame. Vous avez juré d'être à moi ; je viens vous rappeler ce serment.

LA COMTESSE, joignant les mains.

Mais, je suis mariée, et je ne m'appartiens plus !

LE COMTE.

Je vous aime !

LA COMTESSE.

... C'était la première fois que j'allais dans le monde, Monsieur, je venais de quitter le couvent...

LE COMTE.

Vous avez juré !

LA COMTESSE, avec dignité.

Je suis la femme du Comte de Fréry, Monsieur, j'attends mon mari !

LE COMTE.

Votre mari !... Je le tuerai !

LA COMTESSE, avec vivacité.

Eh bien tuez-moi aussi, puisque je l'aime ! Monsieur, je suis seule coupable ; le Comte est innocent, je vous le jure !

LE COMTE.

Oh ! Que votre regard m'éblouit et me fascine.

Il lui prend la taille.

LA COMTESSE, avec effroi.

À l'aide ! Au secours ! À moi ! Comte, à moi !

LE COMTE, faisant tomber son loup et reprenant sa voix naturelle.

Vous m'avez appelé, me voici.

Il ploie le genou.

LA COMTESSE.

Quoi ! Monsieur c'était vous ? Ô bonheur !

Avec crainte.

Et l'autre ?

LE COMTE, se relevant.

Et l'autre, - c'était encore moi !

Il lui présente le bracelet.

Reconnaissez-vous ce bijou ?

LA COMTESSE.

Mon bracelet ! Oh ! Je suis bien heureuse, mon ami ; je vais vous aimer pour vous deux.

LE COMTE.

Marguerite, vous êtes aussi bonne que belle.

Il lui prend la main et glisse la bague à un doigt.

L'amant vous avait offert une émeraude, et c'est l'époux qui vous supplie aujourd'hui de l'accepter !

14 Février 1873.

 



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