LE PROCÈS DU BAISER

COMÉDIE-VAUDEVILLE EN DEUX ACTES.

REPRÉSENTÉE , POUR LA PREMIÈRE FOIS, SUR LE THÉÂTRE DES VARIÉTÉS, LE 7 NOVEMBRE 1829.

1829

PAR M. MASSON

PARIS. R. RIGA, éditeur, Faubourg Poisonnière, n°1

IMPRIMERIE DE DAVIS, Boulevard Poisonnière, n°6

Représentée , pour la première fois, sur le Théâtre des Variétés, le 7 novembre 1829.


Texte établi par Paul FIEVRE, décembre 2023.

Publié par Paul FIEVRE, janvier 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:11.


PERSONNAGES. ACTEURS.

ALFRED DE MALZEN. Monsieur DAUDEL.

PÉTERSTHAL, bourgmestre. Monsieur CLÉMENT.

MICHEL, son neveu. Monsieur SYLVESTRE.

MADAME ROMARIN. Mme MILEN.

MINA, sa nièce. Mme LAFOND.

GEORGETTE, fille d'auberge. Melle AUGUSTINE.

UN DOMESTIQUE, Monsieur GEORGE.

UN INVITÉ, M. BEGAT.

DAME INVITÉE, Mademoiselle COLINET.

DAME INVITÉE. Mademoiselle ANNETTE.

DAME INVITÉE. Mademoiselle PALMYRE.

GENS DE LA NOCE.

La scène est dans une petite ville du duché de Berg.


ACTE PREMIER

Le théâtre représente une salle ouverte au fond sur une galerie. Portes à droite et à gauche. Sur le premier plan, une fenêtre ; plusieurs quinquets sont attachés aux boiseries de la salle. Un lustre éclaire la galerie ; des chaises sont rangées de chaque côté du théâtre.

SCÈNE PREMIÈRE.
Alfred en habit de voyage, puis Georgette.

ALFRED.

Il sonne.

Ah ! Ça, mais on ne peut donc parler à personne dans cette auberge ?... Pas une servante qui veuille entendre deux paroles... Tous les gens que j'appelle se sauvent sans me répondre.

GEORGETTE.

Dam', Monsieur, aussi vous arrivez justement un jour de remue-ménage ; monsieur le bourgmestre a loué tous les salons pour un bal, on est à table dans ce moment-ci, et...

ALFRED, vivement.

Je vais le payer, son bal, et trois autres avec, si l'on veut ; mais qu'on me serve, ou du moins qu'on m'écoute !

GEORGETTE.

Eh bien ! Je vais vous écouter, moi, Monsieur, mais ne vous fâchez plus.

ALFRED.

Non, vous êtes trop gentille pour ça, ma petite, et vraiment, je ne me plaindrais plus de l'abandon auquel on me condamne, si vous vouliez le partager un moment.

GEORGETTE.

Tous les messieurs qui, comme vous, viennent en chaise de poste, me disent de ces choses là, mais je n'y fais pas attention, parce que, voyez-vous, Georgette Franck n'écoutera les compliments que de celui qui voudra l'épouser, et comme vous êtes comte, d'après ce que disent vos domestiques, que vous êtes riche, à en juger par votre voiture et votre dépense, vous n'avez pas, sans doute, l'intention de me demander en mariage.

ALFRED, galment.

Ma foi, je vous assure qu'il n'y aurait rien là de bien impossible depuis trois ans que je cherche une femme sans me décider, je n'en ai pas vu de plus jolie, et j'en ai vu beaucoup qui n'étaient pas de si bonne humeur...

GEORGETTE.

Comment, voilà trois ans que vous cherchez, et vous n'avez pas encore trouvé ?... Il faut que monsieur soit bien difficile !

ALFRED.

Mais, pas trop... Je me suis dit, en commençant mes voyages, il est temps de me marier ; qu'est-ce qu'il faut pour être heureux ?... Une femme jeune, riche, belle, musicienne , spirituelle et vaccinée... Eh bien ! Je n'ai jamais pu mettre la main dessus... et cette idée m'a déjà coûté bien des frais de poste.

GEORGETTE.

Ah ! Tenez, monsieur, vous me faites rire, et pendant ce temps là...

ALFRED.

Un moment, vous m'avez promis de m'écouter... Dites-moi donc un peu ce que je pourrais faire dans cette petite ville pendant qu'on raccommode ma calèche, car les routes de votre duché de Berg sont aussi mauvaises que ses auberges sont incommodes... les jours de bal, s'entend ; il n'y a pas moyen de lire avec le tapage de vos convives, qui va se renforcer tout à l heure de celui de vos musiciens... Voyons, indiquez-moi quelque curiosité.

GEORGETTE, faisant quelques pas pour sortir.

Mais il fait déjà nuit.

ALFRED, la retenant.

C'est, ma foi, vrai, et je n'aurai pas même la ressource du sommeil.

GEORGETTE, à part.

Mais, au fait... Eh ! Oui, c'est un moyen de m'en débarrasser.

Haut.

Nous allons chercher bien loin ce qui peut vous distraire, quand vous en avez ici même l'occasion... Venez au bal...

ALFRED.

Sans invitation... Vous plaisantez ?...

GEORGETTE.

Rien n'est plus simple, mon père est autorisé par Monsieur Pétersthal, le bourgmestre, à faire entrer les voyageurs dont il pourrait répondre, les gens comme il faut, et je crois qu'à cet égard là...

ALFRED.

Oh ! Je ne déparerais pas la société ; vous avez raison... C'est original de faire un tour de valse entre deux relais... Mais il faudrait une toilette.

GEORGETTE.

Votre malle a été détachée...

ALFRED.

Et puis, d'ailleurs, s'habiller, c'est un un moyen comme un autre de passer le temps, il y a des gens qui n'ont pas d'autre occupation...

GEORGETTE.

Allons, Monsieur, dépêchez-vous !

ALFRED.

Vous avez d'excellentes idées.

AIR : Mes amis, partons bien vite. (Semaine des Amours.)

ENSEMBLE.

Vite

Il faut que je profite

Du plaisir

Qui vient s'offrir

5   En vérité, ma petite,

Vous conseillez à ravir.

Il s'approche pour l'embrasser.

GEORGETTE.

Ah ! Dispensez-vous, de grâce,

D'empressements superflus,

Pour des conseils, encor passe...

10   Mais je n' donn' jamais rien d' plus.

ALFRED.

Vite

Il faut que je profite

Du plaisir

Qui vient s'offrir

15   En vérité, ma petite,

Vous conseillez à ravir.

GEORGETTE.

Allons, que monsieur profite

Du plaisir

Qui vient s'offrir.

20   Son doux attrait vous invite,

Sachez vite

Le saisir.

Alfred sort.

GEORGETTE, un moment seule.

Il voulait m'embrasser, ce monsieur !... Ces étrangers, qui ne connaissent pas nos lois, sont tous de même... Moi, qui ai été élevée dans la crainte des baisers, je ne sais pas où je me sauverais pour en éviter un.

SCÈNE II.
Georgette, Michel.

MICHEL, à la cantonade.

Ne faites pas attention à moi, mangez toujours, je vais voir si les violons sont arrivés.

Il descend la scène.

Il faut se multiplier, ici... Ah ! Georgette, te voilà, eh ! bien, et le bal ?

GEORGETTE.

L'auberge est illuminée du haut en bas ! les tables de jeu, les buffets, le punch et les musiciens, tout est prêt.

En ce moment on entend crier : À la santé de Monsieur Pétersthal.

MICHEL.

Voilà encore qu'ils boivent à la santé du nouveau bourgmestre il leur donne là une fameuse fête pour son installation !

Nouveaux cris.

Quel tapage ! Ils finiront par étourdir mon pauvre oncle, et en sa qualité de protecteur de la tranquillité publique, il sera forcé de se condamner à l'amende.

GEORGETTE, riant.

Aujourd'hui, c'est un extraordinaire ; aussi faut-il espérer qu'il fermera les yeux là-dessus.

MICHEL.

Fermer les yeux ! Mon oncle fermer les yeux sur un délit ! Georgette, vous êtes bien jeune !.. Nous avons des lois ! Nous en avons même une jolie collection de lois ! et d'uniques encore ! Aussi le nouveau bourgmestre doit mettre gloire à les maintenir !... En attendant, avertissez l'orchestre de donner le premier coup d 'archet ; moi je retourne au festin, lancer un dernier coup d 'oeil à ma fiancée.

GEORGETTE.

Mam'zelle Mina... Hein ! Comme elle est jolie ce soir... Dam', elle est riche celle-là... Vous ferez-là un bon mariage.

MICHEL.

Mais je ne crois pas qu'elle en fasse un mauvais.

GEORGETTE.

Il va pour sortir.

Dites donc, Monsieur Michel, que je vous dise... Vous aurez ce soir un danseur étranger... Oh ! Mais qui fera honneur à votre bal...

MICHEL.

Quelque voyageur sans doute, je ne sais pas où mon oncle a eu l'idée de permettre qu'on en laissât entrer ! Si on m'avait cru...

GEORGETTE.

Soyez tranquille, ce n'est pas un aventurier celui-là ; d'abord c'est un comte.

MICHEL.

Un comte ? C'est un conte... et puis on ne voit que cela dans ce pays-ci.

GEORGETTE.

Il a une voiture fort distinguée, et une tournure qui l'est encore davantage.

MICHEL.

Allons, c'est bon, va-t-en, car je crois que l'on sort de table ; justement voici mon oncle.

SCÈNE III.
Madame Romarin, Mina, Pétersthal, Michel.

Georgette sort.

MADAME ROMARIN, à Mina.

Venez par ici, ma nièce, il fait une chaleur là-dedans.

PÉTERSTHAL.

Ah ! Oui, respirons un peu, j'étouffe de joie !.. Les compliments de mes administrés et le vin du Rhin m'ont porté à la tête... Fait elle un bruit ma nomination !

MADAME ROMARIN.

Maintenant, cousin, que j'ai fait les honneurs de votre table, vous me permettrez de me retirer avec ma nièce.

MINA.

Mais, ma tante, on parle d'un bal.

MADAME ROMARIN.

C'est justement pourquoi nous ne pouvons pas rester ici, mon enfant.

AIR : Ah ! Si madame me voyait !

Les coeurs purs restent étrangers

À cet enivrement perfide.

MINA.

25   Pour qu'avec raison je me guide,

De ces plaisirs si passagers

Je dois connaître les dangers.

On pêche bien moins, je le pense,

Quand on voit l'exemple du mal.

30   Pour m'empêcher d'aimer la danse,

Il faut donc me conduire au bal.

MADAME ROMARIN.

Eh bien, voilà de jolies idées.

PÉTERSTHAL.

Cela m'arrangerait assez, cousine, car je ne pourrai jamais, seul, répondre à tout le monde.

MADAME ROMARIN.

Y pensez-vous, quand il y a tant de jeunes gens ici, et lorsque nos moeurs sont si sévères sur l'innocence des demoiselles ; un baiser pris équivaut chez nous à une promesse de mariage ; il faut, vous le savez, que la jeune fille qui se laisse dérober une telle faveur, épouse l'audacieux, où elle est déshonorée ; vous voyez bien que je ne peux pas exposer ma nièce...

MICHEL.

C'est juste, la cousine Romain a raison ; il y a même des exemples de procès pour des baisers pris sans conséquence, au bal, par des étrangers qui ne connaissaient pas les usages du pays... Leur ignorance ne les a pas sauvés, ils ont perdu.

MINA.

C'est-à-dire, ils ont épousé.

MICHEL.

Eh bien ! Qu'est- ce que je dis donc ?... C'est la même chose.

MADAME ROMARIN.

Oui, ma nièce ; ainsi, vois à quoi une action légère peut nous entraîner.

MICHEL.

Cela peut avoir des suites terribles pour les délinquants... car, grâce à cette bonne vieille loi sur le respect dû aux fiancées, les jeunes filles du duché de Berg sont toujours certaines d'avoir des maris.

AIR : Restez, restez troupe jolie.

Pour son honneur, aucune belle

Ne craint ici de sort fatal ;

Elle a, pour lui rester fidèle,

35   Sa sagesse et le tribunal,

Et l'on a peur du tribunal.

Cette loi, qui sait la défendre,

Dit, à qui veut se hasarder :

Vous êtes libre de la prendre,

bis.

40   Mais je vous force à la garder.

bis.

PÉTERSTHAL.

Un moment... J'ai une idée : vous restez au bal toutes deux, j'ai trouvé un danseur pour Mina.

MINA, avec joie.

Vraiment !

MADAME ROMARIN.

Mais...

PÉTERSTHAL.

Oh ! Celui-là ne compromettra pas la fiancée de Michel ; c'est mon greffier, Monsieur Stylmann !

MINA.

Il est bien vieux !

PÉTERSTHAL.

Soixante-deux ans, tout au plus ; c'est un homme qui m'est tout dévoué.

MICHEL.

Je vais l'avertir.

Il rentre dans la salle.

MADAME ROMARIN.

Pourvu que je ne m'en repente pas !

PÉTERSTHAL.

Il n'est pas dangereux.

MADAME ROMARIN.

AIR : Vos maris en Palestine.

Son grand âge me rassure ;

Tenez, je n'en voudrais pas ;

Je craindrais trop, je vous jure,

Pour elle quelque faux pas.

MINA.

45   Mais vous ne raisonnez pas.

Pour le danger que j'ignore,

Si l'on redoute en dansant

Un cavalier turbulent,

On doit bien plus craindre encore

50   Celui qui marche en tremblant.

PÉTERSTHAL, allant au fond.

On se lève de table... On vient par ici, Dieu me pardonne, il y a encore plus de monde que tout à l heure...

À la cantonnade.

Par ici, messieurs, par ici, mesdames.

MADAME ROMARIN, à sa nièce.

Asseyons nous là.

Elles vont s'asseoir à gauche.

SCÈNE IV.
Les mêmes, Invités.

CHOEUR des invités.

AIR : Contredanse de la Dame blanche!

De la cour jusqu'à vos salons

On se marche sur les talons ;

On se foule, on se porte

De la cour jusqu'à vos salons.

55   L'homme en place, il faut y songer,

Afin d'éviter maint danger,

Doit élargir sa porte

Et sa salle à manger.

Pendant le choeur, les dames viennent s'asseoir sur la banquette à gauche ; les hommes se tiennent debout au fond et à droite.

MADAME ROMARIN, à Mina.

Baissez les yeux, petite fille ; ne voyez-vous pas que les hommes nous regardent ?

PÉTERSTHAL, aux invités.

Allons, messieurs, invitez vos dames, le bal va commencer.

UN DOMESTIQUE, entrant, à Pétersthal.

On demande encore une table de jeu, l'aubergiste dit qu'il n'a plus de meubles à disposer.

PÉTERSTHAL.

Je vais voir cela, servez des rafraîchissements ici.

Il sort. Les hommes invitent des dames et sortent tour-à-tour, tandis que l'orchestre exécute une contredanse qui continue en sourdine jusqu'à la fin de la cinquième scène.

UN INVITÉ, à Madame Romarin.

Voulez-vous permettre, Madame ?

MADAME ROMARIN, d'un air aimable.

Monsieur, je ne danse pas sans ma nièce.

L'INVITÉ.

Je vous demande si vous voulez me permettre d'avoir l'honneur de danser avec mademoiselle votre nièce ?

MADAME ROMARIN, sèchement.

Ma nièce ne danse pas sans moi, et mon cavalier est sorti.

L'INVITÉ s'éloigne, dit à des hommes restés debout dans un coin à droite du spectateur.

Venez avec moi, les jolies sont de l'autre coté.

Les hommes sortent.

SCÈNE V.
Mina, Madame Romarin, Quatre dames, assises sur la banquette ; Michel, arrivant.

MICHEL, à la cantonade.

Je fais la huitième avec la cousine Romarin, ne prenez pas ma place.

MINA.

Eh bien votre greffier ?

MICHEL.

Il viendra dès qu'il sera décavé...   [ 1 Décaver : Terme de jeu. Gagner toute la cave d'un joueur, tout l'argent qu'il a devant lui. Il m'a décavé en deux coups. [L]]

MADAME ROMARIN.

Il est à la bouillotte ?   [ 2 Bouillotte : Sorte de jeu de cartes. [L]]

MICHEL.

Il a pris le jeu de sa femme parce qu'il prétend quelle se carre toujours.   [ 3 Se carrer : À la bouillotte, un joueur se carre, quand il s'assure de la priorité en doublant sa mise. [L]]

MADAME ROMARIN.

Tu vois, ma chère amie, que ce n'est pas ma faute si nous ne dansons pas.

MICHEL.

Un moment... Vous dansez, vous, cousine, et avec moi encore.

MADAME ROMARIN.

Du tout.

MICHEL.

Il n'y a pas de du tout... Votre place est retenue, j'ai promis que vous la rempliriez, et on y compte.

MINA.

Allez, ma tante, puisqu'il vous en prie.

MADAME ROMARIN se levant.

Te laisser, mon enfant, je ne le veux pas.

MICHEL.

Ces dames veilleront sur ma jolie fiancée.

LES DAMES.

Certainement... Avec plaisir.

MICHEL.

Venez... On commence ; le président des assises demande à être de votre quadrille.

MADAME ROMARIN.

Monsieur le président des assises veut danser à mon quadrille ? Ah ! Mon Dieu ! Si j'étais sûre que ces dames voulussent bien...

UNE DAME.

Nous ne la quitterons pas.

MICHEL, allant au fond.

Là ! Le premier avant-deux est fini, et voilà monsieur président qui n'a point de vis à vis.

Il vient lui prendre la main.

MADAME ROMARIN.

Nous n'en danserons qu'une, par exemple.

MICHEL, l'entraînant.

Allons donc, nous n'arriverons qu'au chassez.

En sortant il s'écrie :

Nous voilà ! Nous voilà !

Les dames causent entre elles.

MINA, à part.

Elle va danser ; ah ça ! Il n'y a donc pas autant de danger qu'elle me le disait... ou peut-être n'y en a-t-il plus à son âge... C'est étonnant, on a beau me faire peur du plaisir, jamais l'harmonie d'une contredanse n'a pu m'effrayer.

Pendant l'aparté de Mina, des messieurs sont entrés ; l'un d'eux invite une dame, qui accepte et se retourne vers la voisine en disant : Je vous recommande la jeune personne, ainsi de suite, jusqu'à la dernière dame qui se retourne du côté de Mina.

LA DAME, à Mina.

Je vous recomman...

MINA.

Plaît-il, madame ?

LA DAME.

Pardon, Mademoiselle, je ne peux pas refuser... mais je reviens à l'instant.

Elle sort avec son cavalier.

SCÈNE VI.

MINA, seule.

Eh bien ! On me laisse seule... Au fait, j'aime autant cela... du moins, je pourrai voir...

Elle va au fond.

Dieu ! Que c'est joli, un bal ! Les belles toilettes ! Quelles lumières éblouissantes !... Que ces danses légères ont de charmes pour moi !... Si j'osais... Personne ne peut me voir, répétons les pas que je leur vois faire.

AIR : Ah ! qu'ils sont heureux de danser (de Panseron).

C'est bien ainsi que l'on se place ;

60   Un cavalier vient sur vos pas,

On semble fuir, il vous enlace ;

Mais moi, l'on ne me poursuit pas !

Écoutons bien, faisons silence,

Et retenons cette cadence :

65   C'est ainsi qu'on doit traverser ;

Mais c'est à deux que l'on balance...

Ah ! qu'ils sont heureux de danser.

Si je l'osais ! ah ! sur leurs traces

Combien j'aimerais à valser :

70   Alors, pour admirer mes grâces,

En foule on viendrait se presser ;

Mais, écoutons, faisons silence,

Oui, l'on redit cette cadence :

Je suis prête à m'élancer ;

75   Mais, seule, il faut que je balance...

Ah ! Qu'ils sont heureux de danser.

SCÈNE VII.
Alfred, Mina.

ALFRED, entrant par la droite, et mettant ses gants.

À Mina.

Mademoiselle, si vous n'êtes pas invitée.

MINA.

Ah ! Mon Dieu, Monsieur, laissez-moi, vous vous trompez.

Elle va s'asseoir sur le banc.

ALFRED.

Remettez-vous, mademoiselle ; je ne croyais pas vous causer tant d'effroi... Mais quand on entre dans un bal, et que la première danseuse libre se trouve être si jolie...

MINA.

Monsieur !

ALFRED.

AIR : De l'innocence la plus pure ( la Marraine).

Ah ! Pardonnez si j'ai pu vous surprendre ;

Remettez-vous un peu de votre effroi,

Et croyez bien que lorsque j'osai prendre

80   La blanche main que vous tendiez vers moi,

C'était autant un plaisir qu'une loi.

Ainsi que moi, chacun ici l'eût prise ;

Eût-on d'ailleurs craint de vous irriter,

En regrettant d'obtenir par surprise

85   Ce qu'il serait si doux de mériter.

Si je l'obtins un instant par surprise,

Oui, je voudrais un jour la mériter.

À part.

On peut dire de ces choses là ; c'est poli, et cela n'engage à rien.

MINA.

C'est à ma tante, monsieur, que s'adressent ces sortes de demandes.

ALFRED.

Elle doit avoir souvent à répondre, car, jolie comme vous l'êtes...

MINA, à part.

Il s'exprime bien, ce monsieur.

Haut.

Je vous en prie, si vous la voyez, ma tante, ne lui dites pas que vous m'avez trouvé... occupée à danser, car elle se fâcherait.

ALFRED.

Voudrais-je vous causer même une peine légère ? Et puis comment pourrais-je parler à madame votre tante ? Étranger dans cette ville que je ne voulais que traverser, un accident arrivé à ma calèche m'y retient quelques heures ; l'aubergiste m'a offert, comme moyen de passer le temps, d'entrer dans le bal, et je cherchais la personne qui le donne pour prendre sa permission et lui adresser mes remerciements.

MINA.

Vous aurez beaucoup de peine à parler à monsieur Pétersthal, car il est si occupé aujourd'hui.

ALFRED.

Il paraît que les danseurs sont en grand nombre, car j'ai vu des quadrilles se former au rez-de-chaussée.

MINA.

Comment ! On danse en bas aussi...

ALFRED.

On danse partout, Mademoiselle, on valse même, et si j'osais...

MINA.

Oh ! Non, ma tante ne voudrait pas ; elle est si sévère sur cet article-là.

ALFRED.

Dites-moi où je pourrai la trouver, et je suis certain quelle permettra...

MINA, à part.

Pourtant si elle le voulait bien...

Haut.

Monsieur, ma tante est dans la salle voisine.

ALFRED.

Veuillez me la montrer, et je vais...

Revenant sur ses pas.

Mais il n'y a que des personnes qui dansent.

MINA.

Ma tante est une de ces personnes-là.

ALFRED.

Comment, cette tante sévère !...

MINA.

Oh ! C'est quelle n'a pas comme moi des dangers à éviter.

ALFRED.

Quels dangers ?

MINA.

C'est ce que je voulais lui demander, mais avec elle j'obéis et ne raisonne pas, car c'est la sagesse même.

AIR : Pour le trouver je vais en Allemagne.

Chacun ici, comme moi, la contemple.

Elle a nos respects, notre amour.

ALFRED.

90   Raison de plus pour suivre enfin l'exemple

Qu'elle vous donne dans ce jour.

Pourquoi tenir compte de sa défense

En l'imitant pourriez-vous l'offenser !

Mais puisque la sagesse danse,

95   L'innocence peut bien valser.

MINA.

Au fait, je n'avais jamais examiné la question sous ce point de vue.

ALFRED.

Vous voyez donc bien que vous ne pouvez pas vous dispenser, et puis, que pouvez-vous craindre ? Je pars dans quelques minutes... La valse terminée, je monte en voiture pour continuer mon tour d'Europe.

MINA.

Si j'étais bien certaine de votre départ après la valse.

ALFRED, la menant à la terrasse.

Voyez la voiture... et mon domestique qui attache les malles... Germain, tu vas envoyer chercher les chevaux... Êtes-vous convaincue, Mademoiselle ?...

MINA, vivement.

Ainsi, ma tante pourrait ne rien savoir ?

ALFRED.

Et lorsqu'elle vous parlerait des dangers du bal, vous sauriez au moins à quoi vous en tenir. L'heure m'appelle, mademoiselle, n'aurais-je pas l'honneur de vous donner la main ?... Eh bien ?

MINA, après un moment d'hésitation.

Eh bien ! J'accepte... parce que vous me l'avez dit : ce que fait ma tante ne peut être mal.

À part.

Et puis, il va partir.

AIR : Allons, viens au bal (de l'Orpheline).

Il faut nous presser

De danser.

Que je suis contente !

Mais quand mon désir

100   Va s'accomplir,

Je suis tremblante.

ALFRED.

Partons-nous ?

Mais, dites-vous,

Quoi ! votre tante

bis.

105   Par-là

Montrant sa droite.

  Danse aussi ?

MINA.

Oui, monsieur ; venez par ici.

ENSEMBLE.

Elle l'entraîne à gauche.

Il faut nous presser

De danser.

Que je suis contente !

110   Mais quand mon désir

Va s'accomplir,

Je suis tremblante.

ALFRED.

Oui, courons danser.

Je vais presser

115   Sa main tremblante.

Pour moi, quel plaisir

Vient de s'offrir !

Elle est charmante !

Ils sortent.

SCÈNE VIII.
Pétersthal, Un domestique.

PÉTERSTHAL.

Comment, le gouverneur de la province qui arrive, il veut être de la fête aussi... Dieu ! Que ça coûte cher les honneurs ! C'est fini, j'écris au ministre de ne plus penser à moi, car s'il m'accordait une faveur nouvelle, je serais un homme ruiné...

Le domestique sort.

SCÈNE IX.
Pétersthal, Madame Romarin, Michel.

MADAME ROMA[R]IN.

C'est charmant ! C'est charmant ! J'ai retrouvé mes jambes de vingt ans.

MICHEL.

Celles-là reviennent de loin !

MADAME ROMARIN.

Ah ! Ma nièce, si tu avais été là !... Eh bien ! Où est-elle donc ?

PÉTERSTHAL.

La petite cousine Mina ? Je ne l'ai pas vue.

MICHEL.

La ! Je vous le disais bien, Madame ! Romarin, en voilà assez, mais vous aviez le président pour vis à vis, et il n'y avait pas moyen de vous arrêter.

MADAME ROMARIN, à Pétersthal.

J'espère que vous allez m'aider à la trouver.

PÉTERSTHAL.

Sitôt que j'aurai reçu le gouverneur de la province qui vient me visiter.

Il sort.

MADAME ROMARIN.

Au moins, je compte sur vous, Michel.

MICHEL.

Certainement que vous pouvez y compter, mais je ne peux pas me dispenser d'aller danser celle-ci, je suis engagé...

Il sort.

MADAME ROMARIN.

Quel sang-froid ! Quelle indifférence !... Comme les jeunes gens d'autrefois sont changés... Mais ma nièce, cherchons-là !

SCÈNE X.

On voit au fond passer des valseurs. Quand le choeur est fini, Mina et Alfred se séparent de la chaîne qui se continue encore quelques instants.

CHOEUR.

AIR de la valse de Léocadie

Passons,

120   Valsons.

Le plaisir rapide

Nous guide

Encor.

Prenons notre essor.

MINA, ramenant Alfred.

En voilà assez... en voilà assez... Je n'y vois plus, ma tête se trouble... mes yeux sont éblouis... et mon coeur bat avec une rapidité.

S'asseyant.

Ah ! Je n'ai plus la force de me soutenir.

ALFRED.

Vous valsez comme un ange.

MINA.

Adieu, monsieur, je vous remercie, adieu.

ALFRED.

Comment, vous me renvoyez ?

MINA.

Mais ne deviez-vous pas partir après la valse ?... J'y comptais... c'est à cette condition que j'ai accepté... Ma tante n'aurait qu'à venir... j'ai besoin d'être seule pour rappeler mes idées... C'est étonnant, j'ai souvent valsé avec mes jeunes amies, mais jamais...

ALFRED, s'asseyant à côté d'elle.

Êtes-vous indisposée ? Dois-je appeler quelqu'un ?

MINA.

Oh ! Non... non... Cela va se passer, surtout quand vous ne serez plus là.

ALFRED.

Puisque vous l'exigez, je me retire, en emportant un bien doux souvenir du bonheur que je dus au hasard.

MINA.

Et moi aussi, je me le rappellerai longtemps.

ALFRED, à part.

Elle est d'une ingénuité charmante.

MINA.

Eh bien ! Monsieur, vous restez auprès de moi ? Ah ! Tenez, éloignez -vous : ma tante avait raison, le bal a des dangers.

ALFRED.

Ainsi, vous regrettez d'avoir satisfait un innocent désir ?...

MINA.

Pas autant que je le devrais...

ALFRED, l'embrassant.

On ne peut être ni plus naïve, ni plus jolie !

SCÈNE XI.
Les mêmes, Michel, ensuite Madame Romarin.

MICHEL, s'arrêtant au fond.

Qu'est-ce que je viens d'entendre ?

ALFRED.

Ah ! Bon Dieu ! Du scandale pour mon début ! Sauvons-nous.

SCÈNE XII.
Michel, Mina.

MICHEL, courant après Alfred.

Il sort.

Monsieur, monsieur... Il descend les escaliers quatre à quatre.

À Mina.

C'est très bien, Mademoiselle... nous le retrouverons... Je suis arrivé tout à point, j'espère.

MINA.

Mais, mon cousin...

MICHEL.

Cousin, tant que vous voudrez ; ce titre-là ne peut pas se ordre : quant à celui de futur, c'est une autre affaire.

SCÈNE XIII.
Les mêmes, Madame Romarin.

MADAME ROMARIN.

Ma nièce !... Est- elle ici ? Pauvre enfant ! Je t'ai bien cherchée.

À Michel.

Vous lui teniez compagnie ? Je suis tranquille, à présent.

MICHEL.

Ah ! Vous êtes tranquille, Madame Romarin ? C'est à merveille ; mais il y avait là quelqu'un qui ne l'était guère tout à l heure.

MADAME ROMARIN.

Que voulez-vous dire ?

MICHEL.

C'est bien assez d'avoir vu la chose sans être obligé de la raconter ; à mon oncle à la bonne heure, et je cours le chercher pour qu'il vienne vous retirer sa parole.

SCÈNE XIV.
Madame Romarin, Mina.

MADAME ROMARIN.

Qu'ai-je entendu, Mina ?

MINA.

Hélas ! Excusez moi ; un étranger... ma tante, il était si aimable !

MADAME ROMARIN.

Ah ! Bon Dieu ! Qu'est-ce que cela m'annonce !... Eh bien ! Cet étranger...

MINA.

M'a suppliée de faire un tour de valse, et ses manières étaient si distinguées, si pressantes, que je n'ai pu refuser.

MADAME ROMARIN.

Je respire !... C'est une légèreté, sans doute, de ta part, mais je trouve que Monsieur Michel a pris bien vivement cette étourderie.

MINA.

Il est arrivé pendant que ce monsieur prenait congé de moi...

MADAME ROMARIN.

C'est un petit mouvement de jalousie, cela se passera.

MINA, inquiète.

Mais, ma tante, comme il arrivait, l'étranger... Je ne sais comment cela s'est fait... m'a embrassée.

MADAME ROMARIN.

Ah ! Qu'allons-nous devenir ! Comment, Mademoiselle, vous vous exposez à de pareilles aventures !... Un inconnu !

MINA.

En vérité, il n'y a pas de ma faute.

AIR : À l'âge heureux de quatorze ans.

125   Je sais quel tort fait un baiser,

Je sais que l'honneur nous commande,

Ma tante, de le refuser

Lorsqu'un étranger le demande.

Mais aujourd'hui vous voyez bien

130   Que son audace est mon excuse.

Quand on ne nous demande rien,

Comment voulez-vous qu'on refuse ?

MADAME ROMARIN.

Vraiment, je ne sais que lui dire... impossible de la gronder... C'est ma faute, si je ne l'avais pas quittée !...

SCÈNE XV.
Les mêmes, Petersthal, Michel.

PÉTERSTHAL.

Il ne manquait vraiment plus que cela pour compléter ma mauvaise humeur.

MADAME ROMARIN.

Ah ! Monsieur Pétersthal, pourquoi me suis-je avisée de venir à votre fête !

PÉTERSTHAL.

Ah ! Madame Romarin, pourquoi me suis-je avisé d'en donner une !

MADAME ROMARIN.

Pourquoi aussi recevoir des gens dont on n'est pas sûr ?

PÉTERSTHAL.

Pourquoi aussi danser quand on a votre âge ?

MICHEL.

Mon oncle, la chose est connue je l'ai confiée à une vingtaine de personnes, sous le secret, il est vrai, mais je suis bien sûr que cela va se répandre.

MADAME ROMARIN.

Vous aviez bien besoin de faire tant de bruit ! Puisque vous étiez seul, cela se passait en famille.

MICHEL.

Bien obligé.

PÉTERSTHAL.

Enfin, cela te fait manquer un mariage très avantageux... Une femme que tu aimes.

MICHEL.

Mon oncle, on n'est pas maître de ces mouvements-là... et puis je ne veux pas qu'on me montre au doigt.

MADAME ROMARIN.

Allons, puisque le mal est fait, il faut le réparer... Qu'on cherche à l'instant le coupable et qu'il épouse.

PÉTERSTHAL.

Je cesse d'être oncle pour devenir magistrat ; mademoiselle reconnaîtra sans doute cet étranger... Va-t'en, Michel, dire dans le bal qu'on a dérobé quelque chose : comme je ne reçois que d'honnêtes gens, tout le monde viendra pour se justifier, et Mina pourra nous désigner l'audacieux.

MICHEL.

Vous me faites jouer là un singulier rôle... Mais enfin, si j'y perds une dot, je ne veux pas y gagner un ridicule.

MADAME ROMARIN.

Monsieur Pétersthal, si on ne le trouve pas, voilà ma nièce déshonorée !... Aidez -moi, je vous en supplie ; qu'on le trouve, qu'il se marie, sauf à divorcer après.

PÉTERSTHAL.

Reposez-vous sur moi, Madame Romarin.

SCÈNE XVI.
Les mêmes, d'abord Michel, puis toute la société.

ENSEMBLE.

CHOEUR entrant.

ENSEMBLE.

AIR :

Ah ! c'est vraiment abominable.

De nous voudrait- on s'amuser ?

135   Nous dénonçons comme coupable

Celui qui vient les accuser.

MADAME ROMARIN, PÉTERSTHAL, MICHEL.

Quel est celui qui fut coupable

De lui dérober un baiser ?

Quand on ignore le coupable,

140   La règle est de tout accuser.

MINA.

Grand Dieu ! quel tapage effroyable.

Fait-on du bruit pour un baiser.

Je n'aperçois pas le capable

Parmi ceux qu'on vient d'accuser.

MADAME ROMARIN.

145   À ma nièce, veuillez m'entendre,

Un baiser, messieurs, fut surpris.

LES HOMMES.

Nous sommes tous prêts à le rendre,

MINA, à sa tante.

Ce n'est aucun d'eux qui l'a pris.

LES HOMMES.

Chacun de nous, du crime aimable

150   Dont on vient de nous accuser,

Voudrait bien être le coupable,

Quitte à reprendre son baiser.

LES FEMMES.

Oui, chacun d'eux, du crime aimable

Dont on vient de les accuser,

155   Voudrait bien être le coupable,

Quitte à reprendre son baiser.

MADAME ROMARIN.

Je vous demande pardon, Mina ne reconnaît pas parmi vous l'insolent.

MICHEL.

Cependant, ça ne peut pas en rester là ; ce n'est pas pour le baiser, mais pour les conséquences et les suites...

PÉTERSTHAL.

Qu'on me mette sur les traces du ravisseur, et je réponds du succès de l'affaire.

MINA.

Je ne demanderais pas mieux.

MADAME ROMAIN.

Songez qu'il y va de l'honneur de toutes les demoiselles de la ville qui peuvent se trouver dans le même cas.

TOUS.

Certainement.

MADAME ROMARIN.

Il faut que ma nièce soit vengée !...

MICHEL, qui a réfléchi.

Et elle le sera, car je connais le monsieur.

TOUS.

Vous le connaissez ?

MICHEL.

Oui, c'est un inconnu... Je ne sais qui il est, mais Georgette nous le dira.

À part.

Pas de doute, c'est l'étranger quelle m'a annoncé.

Il appelle par la fenêtre.

Georgette !

PÉTERSTHAL.

Alors, consolez-vous, mon enfant, vous aurez un mari par arrêt de justice.

GEORGETTE, arrivant.

Monsieur !

MICHEL.

Cet étranger dont tu m'as parlé et qui habite l'auberge... Il est venu au bal ?

GEORGETTE.

Oui, Monsieur, et il l'a trouvé charmant.

PÉTERSTHAL.

Nous le tenons.

MADAME ROMARIN.

A-t-il un nom ?... Une naissance ?

GEORGETTE.

Je crois bien ; c'est monsieur le comte Alfred de Malzen.

MADAME ROMARIN, avec joie.

C'est un comte !

MINA, à part.

Il se nomme Alfred.

MICHEL.

Va vite le chercher.

GEORGETTE.

Monsieur, il monte en voiture pour partir.

MADAME ROMARIN.

Courez vite, au nom du ciel.

On entend le fouet des postillons et le roulement d'une voiture.

GEORGETTE.

Il n'est plus temps !

MICHEL, à la fenêtre, pendant que la société couvre la terrasse, et agite des mouchoirs.

Postillon !... Quatre chevaux qui vont comme le vent.

FINAL.

AIR du premier acte de la Lune de miel.

MICHEL.

Arrêtez... Il ne peut m'entendre.

PÉTERSTHAL.

Courez tous.

MADAME ROMARIN.

Il faut s'empresser.

GEORGETTE, à part.

Que j'ai bien fait de me défendre

160   Quand il a voulu m'embrasser.

MICHEL, revenant.

Il a dépassé l'avenue.

Nos efforts seraient superflus.

MINA, tombant sur une chaise.

Ah ! Ma tante, je suis perdue,

Car nous ne le reverrons plus.

PÉTERSTHAL.

165   Nous saurons punir son audace,

Grâce au bon arrêt qu'on rendra.

Oui, ce mari nous reviendra.

En attendant ce moment-là,

Condamnons-le par contumace.

MINA, à part.

170   Non, c'en est fait, je perds courage.

Eh ! Que m'importe le succès

S'il faut, malgré lui, qu'on l'engage ;

C'est moi qui perdrai le procès.

MADAME ROMARIN.

Ma pauvre enfant, reprends courage ;

175   On nous promet un prompt succès.

Si nous manquons un mariage,

Du moins il perdra son procès.

GEORGETTE, à part.

Je montrerais plus de courage,

Lorsqu'on lui promet le succès.

180   C'est si gentil, un mariage,

Le dût-on même à des procès.

PÉTERSTHAL.

Ma chère enfant, prenez courage,

Je vous promets un prompt succès.

Si vous manquez un mariage,

185   Du moins il perdra son procès.

MICHEL.

Allons, Mina, plus de courage,

Songez bien à votre succès.

Vous manquez notre mariage,

Et vous gagnerez un procès.

LE CHOEUR.

190   Consolez-vous de cet outrage ;

Chacun vous promet le succès.

Si vous manquez un mariage,

Du moins il perdra son procès.

ACTE SECOND

Le théâtre représente un salon. Portes latérales et au fond.

SCÈNE PREMIÈRE.

MINA, seule, assise.

Seule ! Toujours seule ! Que le temps est long ! Il est parti, celui que je n'ai vu qu'un moment... Voilà près d'une année. C'était un éclair de bonheur !

AIR : Polonaise de Panseron.

Pour moi plus de bal, plus de fête !

195   Non, rien ne peut plus me toucher !

Il n'est pas là ! Pourquoi chercher

bis.

L'éclat brillant de la toilette ?

bis.

Me confiant à l'avenir,

Chaque matin, au retour de l'aurore

200   Je me dis : Il va revenir.

Et le soir je le dis encore.

bis.

Oui, tous les jours ainsi j'attends.

L'espoir encor soutient ma vie...

bis.

Reviendra-t-il à son amie ?

205   L'espoir encor soutient ma vie.

Reviendra-t-il à son amie.

S'il veut la retrouver jolie,

Pourquoi tarde-t-il si longtemps ?

Ah ! ah !

210   Pour moi plus de bal,

etc.

SCÈNE II.
Mina, Michel, Pétersthal, Madame Romarin.

MICHEL, entrant avec Madame Romarin, et Pétersthal.

Non, non ! Je ne vous dirai la nouvelle que devant ma cousine !... Ça l'intéresse encore plus que vous, car il y va de son bonheur et du mien.

MINA.

Me voilà !... Expliquez-vous.

PÉTERSTHAL et MADAME ROMARIN.

Oui, parle !

MICHEL.

La famille est-elle au complet ?... Oui !

À Mina.

M'aimez-vous beaucoup ? Oui... Voulez-vous être ma femme ! Oui.

PÉTERSTHAL.

Tu fais les demandes et les réponses.

MICHEL.

C'est pour que ça aille plus vite...

À Mina.

Soyez heureuse... Je serai votre mari... Figurez-vous que je viens de l'auberge du Grand-Canard... Vous savez, cette malheureuse auberge du bal et du baiser... Tout-à-coup une chaise de poste entre dans la cour, et j'en vois descendre un jeune homme... fort bien ma foi... Manteau écossais, col noir, barbe de sapeur, chemise bleue... Jolie tenue de voyage... Il demande avec empressement la demeure du major de Muldorff... Je m'avance pour lui répondre... Que vois-je ! Le Comte de Malzen !

TOUS.

Grand Dieu !

MINA.

Se peut-il ?

MICHEL.

Je ne sais pas si ça se peut, mais ça est... À cette vue je ne peux pas me retenir... Je suis nerveux... Je lui mets la main sur le collet.

PÉTERSTHAL.

Tu l'as arrêté ?

MICHEL.

Oui... Mais il a cru que je voulais lui ôter son manteau, et il me l'a jeté sur le bras en disant : « Tiens, mon ami. »??

PÉTERSTHAL.

Il t'a pris pour un domestique ?

MICHEL.

J'en ai peur... Alors, avec ma présence d'esprit naturelle, je lui ai dit poliment : « Monsieur, je sais où demeure le major que vous demandez, et, si vous voulez, je vais vous y conduire. Non, répond-il, il faut que je m'habille ; mais donne-moi l'adresse. » Et moi, savez-vous l'adresse que je lui ai donnée ?... La vôtre, madame Romarin, et dans un quart d 'heure il sera ici.

PÉTERSTHAL.

Ah ! Nous le tenons, enfin !

MINA, avec joie.

Je vais donc le revoir !

MADAME ROMARIN.

Quel air de joie quand on te parle de l'homme qui t'a offensée !

MINA.

AIR : J'en guette un petit de mon âge.

Vous le savez, pendant un an d'attente,

Gardant pour lui le plus juste courroux,

Combien de fois vous m'avez dit, ma tante,

Que la vengeance est un plaisir bien doux.

215   Sur le plaisir de punir une offense

Assez longtemps, si j'ai pu m'abuser,

Quand il revient pour m'épouser,

Je sens que j'aime la vengeance.

PÉTERSTHAL.

Grâce au jugement, il ne peut plus sortir du duché sans avoir épousé... Aujourd'hui même la noce.

MADAME ROMARIN.

Et demain, le divorce.

MICHEL.

Et huit jours après, mon mariage... Voilà l'ordre et la marche !

PÉTERSTHAL, qui pendant le couplet a écrit sur un papier.

Michel, cours bien vite chez nos parents et amis, pour qu'ils aient à se rendre ici.

MADAME ROMARIN.

Allons, ma nièce, allons, ma chère Mina, sèche tes pleurs, va t'habiller, reçois-le avec un air sévère, et tâche que rien ne manque à ta toilette.

PÉTERSTHAL.

Voici le moment du triomphe.

ENSEMBLE.

AIR : Mon coeur à l'espoir s'abandonne.

Enfin, malgré sa longue absence,

220   Pour notre barreau quel succès.

Il va, dans cette circonstance,

Payer les frais du procès.

MADAME ROMARIN, à Mina.

Bientôt chacun te nommera madame.

Songe au maintien qu'il faut te composer.

MINA.

225   Enfin je vais être sa femme !

MICHEL.

Alors vous pourrez m'épouser !

À part.

Aspire-t-elle à m'épouser !

PÉTERSTHAL, MICHEL, MADAME ROMARIN.

Enfin, malgré sa résistance,

etc.

MINA, à part.

ENSEMBLE.

Ah ! Si, malgré sa résistance,

230   Mon coeur eût plaidé ce procès,

Nous remportions tous deux, je pense,

Un plus prompt et plus doux succès.

Madame Romarin entraîne sa nièce par la porte de côté. Michel va pour sortir par la porte du fond.

SCÈNE III.
Pétersthal, Michel.

PÉTERSTHAL, rappelant Michel.

Ah ! Michel ! Michel !... Un instant !... Il ne faut pas perdre la tête ici !...

Lui donnant le papier.

Porte cet ordre au poste voisin.

Michel va pour sortir.

Michel !

Michel revient.

Il est arrivé seul ?

MICHEL.

Seul...

PÉTERSTHAL.

Que l'on tienne cinquante hommes à ma disposition, et que la maison soit cernée dès que monsieur le comte y sera entré.

MICHEL, partant.

C'est bon !

PÉTERSTHAL.

Ah !

MICHEL, revenant.

Quoi ?

PÉTERSTHAL.

Rien !

MICHEL.

Ça sera exécuté.

Il sort en courant.

SCÈNE IV.
Pétersthal, ensuite Michel.

PÉTERSTHAL.

Toutes mes dispositions sont faites, l'ennemi peut paraître.

MICHEL, rentrant épouvanté.

Le voilà qui monte l'escalier !

PÉTERSTHAL.

Diable ! Tu me laisses surprendre ! sors bien vite par cette porte, et sois prompt.

Michel sort par la porte à gauche.

PÉTERSTHAL, seul.

Du sang-froid, Pétersthal, du sang-froid !

SCÈNE V.
Pétersthal, Alfred.

ALFRED, entrant.

Le major Muldorf, Monsieur ?

PÉTERSTHAL, à part.

C'est bien lui !

Haut.

Monsieur le comte, votre présence était vivement désirée dans cette maison.

Il va fermer la porte du fond.

ALFRED, à part.

On m'attendait.

Voyant le bourgmestre fermer la porte.

Que faites-vous donc, Monsieur ?

PÉTERSTHAL.

Ne faites pas attention, c'est une petite formalité.

ALFRED.

Veuillez avertir Monsieur de Muldorf.

PÉTERSTHAL.

Monsieur, vous souvenez-vous d'un bal auquel vous avez assisté, il y a un an, à l'auberge du Grand-Canard ?

ALFRED.

Oui, monsieur, il était fort bien composé.

À part.

Quel original est-ce là ?

Haut.

Le major Muldorf est chez lui ?

PÉTERSTHAL, sans l'écouter.

Monsieur, à ce bal se trouvait une jeune et jolie personne que vous avez embrassée.

ALFRED.

Comment, on en parle encore depuis ce temps ?... Mais permettez, je ne suis pas venu ici pour subir un interrogatoire.

PÉTERSTHAL.

Ce n'est pas non plus un interrogatoire, c'est un arrêt que vous allez écouter.

ALFRED, impatienté.

Un arrêt ! Ah ! Je suis fatigué enfin !...

PÉTERSTHAL, lui avançant une chaise.

Donnez-vous la peine de vous asseoir... Monsieur le Comte ne connaît pas notre pays ?

ALFRED.

Je sais qu'on y trouve des routes détestables et des personnages très fâcheux.

PÉTERSTHAL.

On y trouve aussi une loi qui condamne tout célibataire, convaincu d'avoir fait manquer le mariage d'une jeune fille en l'embrassant publiquement, à épouser sa victime.

Il tire un livre de sa poche.

Voyez, article 215 ; et comme vous êtes précisément dans ce cas, un arrêt du tribunal suprême vous enjoint d'épouser, en bonne et due forme, Mademoiselle Mina Romarin, sous peine de prison.

ALFRED.

Qui, moi, le Comte de Malzen ?

PÉTERSTHAL.

Est-ce que le Comte de Malzen ne se marierait pas comme les autres ? Je vous ferai remarquer que vous parlez ici à un bourgmestre qui n'est pas un sot.

ALFRED.

C'est incroyable !

PÉTERSTHAL.

J'ai pris toutes les précautions, et vous ne pouvez éviter le mariage.

ALFRED.

Mais c'est un guet-apens !

PÉTERSTHAL.

Du reste, vous n'aurez pas le temps de faire mauvais ménage, car vous divorcez demain.

ALFRED, avec joie.

Je divorce demain ?... Mais c'est bien différent alors, et vous dites Mademoiselle... Comment appelez-vous ma femme ?

PÉTERSTHAL.

Mina Romarin.

ALFRED.

Que Mademoiselle Mina Romarin est jeune et jolie !... Parbleu ! Je l'épouserai. Vingt-quatre heures de mariage !... C'est très piquant, et puisque je dois jouer bientôt au sérieux le rôle de mari, cette noce me servira de répétition.

PÉTERSTHAL.

Ah ! Monsieur le Comte a des projets de mariage ?

ALFRED.

Je vous avouerai même que je venais dans ce pays pour les réaliser ; je dois épouser la soeur du major Muldorf : c'est une dette sacrée qu'il faut que j'acquitte.

PÉTERSTHAL.

Il paraît que Monsieur le Comte a beaucoup de créanciers de ce genre... Mais nous devons être les premiers payés, ainsi pressons la cérémonie, et dépêchez-vous de prendre un engagement pour être plutôt libre... La maison du pasteur est ici près... Je vais hâter l'exécution.

Revenant au Comte.

Je dois vous prévenir que cette maison est entourée par la force armée.

ALFRED.

Allez au diable !

PÉTERSTHAL, saluant.

Au revoir, Monsieur le Comte.

Il sort.

SCÈNE VI.

ALFRED, seul.

Il sort.

Où me suis-je fourré ?... L'aventure est piquante !... Je vais donc être marié... marié jusqu'à demain !... C'est tout au plus si je reconnaîtrai ma femme !... à peine si je l'ai vue à ce bal !... et depuis un an... Je crois pourtant qu'elle n'était pas mal... J'ai une idée confuse... Obéissons à la loi qui fait faire de si singuliers mariages.

AIR : Notre armée était bien malade.

C'est au tribunal qu'on désigne

Ici les tendres rendez -vous ;

235   Car je reçois, de celle qui m'assigne,

Un jugement au lieu d'un billet doux.

Contre moi l'on requiert la force ;

J'aime par arrêt de la cour.

J'ai pour contrat un projet de divorce,

240   Et des huissiers pour messagers d'amour.

Bis.

SCÈNE VII.
Alfred, Michel, tous les invités a la noce, ensuite Pétersthal, Madame Romarin, Mina.

MICHEL, ouvrant la porte du fond.

Entrez tous, le futur condamné est ici.

À part.

Je vais chercher la mariée.

Au comte.

C'est votre noce.

Il s'enfuit chez Madame Romarin.

ALFRED.

Mais, c'est le monsieur qui m'a donné cette adresse.

Il l'appelle.

Monsieur ! Monsieur !

CHOEUR des invités qui entrent.

AIR : Final de Simple Histoire.

Chantons le jour propice

Où l'Hymen, à son tour,

Va faire enfin justice

Des torts faits à l'Amour.

ALFRED, qui, pendant ce choeur, a salué et a cherché parmi les dames.

À part.

Impossible de la reconnaître !

Haut.

Laquelle de vous, Mesdames, dois-je épouser ?

PÉTERSTHAL, donnant la main à Mina, qui est en mariée.

La voilà !

Michel donne la main à Madame Romarin, qui est parée. Ces quatre personnages entrent sur une ritournelle du Muletier.

ALFRED, après avoir salué Mina, qui lui fait la révérence en baissant les yeux.

Serait-ce vous, Mademoiselle, qui devez être ma femme ?

MINA, avec timidité.

Je crois qu'oui, Monsieur.

À part.

Il ne se rappelle pas mes traits !... Moi, je l'ai bien reconnu.

MADAME ROMARIN.

Oui, Monsieur le Comte, voilà l'épouse que le tribunal vous a destinée.

ALFRED.

Le tribunal a fait pour moi un choix bien flatteur.

MICHEL, à Alfred.

Merci, cousin.

ALFRED.

Comment, cousin ?

MICHEL.

Dame ! Je suis le cousin de votre femme ; et, comme c'est moi qui épouse après vous, je suis flatté que ma fiancée vous flatte.

PÉTERSTHAL.

Monsieur le Comte veut-il qu'avant de partir, je lui donne lecture du jugement ?

ALFRED.

Je vous en dispense.... On m'attend, je suis pressé de terminer.

MINA, à part.

Il ne m'aime pas.

ALFRED, à Mina.

Voulez-vous me permettre, Mademoiselle, de vous donner la main ?

MINA, hésitant.

Monsieur...

ALFRED.

C'est pour si peu de temps.

MINA, avec timidité.

La voilà, Monsieur !

PÉTERSTHAL et les invités.

Partons ! Partons !

CHOEUR d'Adam.

245   Pour un jour qu'Hymen les engage,

Leur sort sera plein de douceur !

Il faut ici, selon l'usage,

Chanter l'Amour et leur bonheur.

ALFRED, à Mina, en lui mettant un diamant au doigt.

Ce jour va vous rendre comtesse,

250   Et cet anneau vous le rappellera.

MINA.

Ah ! Je m'en souviendrai sens cesse !

MICHEL, à part.

Le diamant est assez beau pour ça.

CHOEUR.

Pour un jour qu'hymen les engage, etc.

Tout le monde sort comme dans une cérémonie de mariage. Michel reste le dernier.

SCÈNE VIII.

MICHEL, seul.

Il a été jusqu'à la porte et revient vivement.

Eh bien ! Qu'est-ce qui me prend donc ? C'est plus fort que moi, je ne puis pas assister à la cérémonie !... J'ai beau me dire que je ne pouvais pas épouser ma cousine avant qu'on ne lui ait fait une réparation... Quand j'ai vu mon rival prendre sa main, ça m'a donné un coup.... Bah ! Bah ! Il faut s'étourdir là-dessus !

AIR : J'ai d'l'argent.

Ça va bien !

bis.

255   Après ce lien,

Le mien !

Ça va bien !

Je vois bien

Que tout se fait pour mon bien.

260   Mina ne peut refuser

De se laisser épouser,

Et ce jeune homme, après tout,

Ne s'y prend pas mal du tout...

Ça va bien !

Etc., etc.

bis.

UN DOMESTIQUE, en livrée.

Monsieur, c'est une lettre pour Monsieur le Comte Alfred de Malzen.

MICHEL.

Pour mon cousin le Comte !.. Donnez.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur, je ne puis la remettre qu'à lui-même.

MICHEL.

Je suis un autre lui-même ! Que diable, dans ce moment, il épouse ma femme, et je ne souffrirai pas qu'on le dérange.

LE DOMESTIQUE, donnant la lettre.

C'est différent !

À part en sortant.

C'est drôle !

On entend un grand bruit en dehors.

MICHEL.

Je crois que je les entends !.. Oui, ce sont eux !

SCÈNE IX.
Michel, Pétersthal, Madame Romarin, Alfred, Mina

Pétersthal entre le premier, Madame Romarin ensuite. Alfred donne la main à Mina.

PÉTERSTHAL.

Victoire ! Victoire ! Mina est vengée !

ALFRED.

Il ne me reste plus qu'à signer un acte nécessaire au bonheur de Madame la Comtesse de Malzen.

PÉTERSTHAL.

Oui, le consentement au divorce.

MADAME ROMARIN.

Je suis pourtant la tante d'une comtesse !

MICHEL.

Et moi je serai son mari...

PÉTERSTHAL, présentant un papier à Alfred.

Voici cet acte.

MICHEL, lui présentant la lettre.

Ah !.. Et voici une lettre.

ALFRED, qui a ouvert la lettre vivement.

De Mademoiselle de Muldorf !

Il lit.

MINA.

De celle qui doit être sa femme !

MICHEL.

Mais j'y pense... Nous sommes là comme des ignorants... Tranchons le mot, comme des imbéciles, à faire et à casser des mariages.

MADAME ROMARIN.

Eh ! Bien... après.

ALFRED, à part.

Ah ! Diable, voilà qui change bien les choses.

MICHEL.

Vous êtes des femmes, vous croyez que cela se pratique comme ça ; mais mon oncle, qu'on n'a pas mis en place pour faire des bêtises, à ce que je présume du moins, doit savoir qu'on ne séparera pas les époux s'ils n'ont pas des torts graves à se reprocher mutuellement.

PÉTERSTHAL.

C'est juste.

ALFRED, après avoir lu la lettre.

Oui, Monsieur Michel a raison, on nous demandera des torts.

MINA, à Alfred.

Il ne vous coûtera pas beaucoup d'en avoir de nouveaux envers moi.

PÉTERSTHAL.

Allons, allons, quand on est convenu de se détester, et qu'on est marié, ça va tout seul, je vais verbaliser.

Il va à la table.

MADAME ROMARIN.

Qu'est-ce qui va avoir le premier tort ?

MICHEL, à Alfred.

Un homme galant doit céder le pas aux dames.

ALFRED, à Mina.

Alors, Madame la Comtesse...

MINA, à Alfred.

Non... Je préfère qu'ils viennent tous de vous.

MADAME ROMARIN.

Cette douceur est très déplacée, ma nièce ; on vous a réunis pour une séparation.

MICHEL.

Ah ! Une idée ! Que mon cousin, monsieur le comte, réponde à la lettre de Mademoiselle de Muldorf... Cela donnera de la jalousie à sa femme... Aussitôt, brouille dans le ménage, incompatibilité d'humeur, et coetera, et coetera.

ALFRED.

Il est inutile que j'écrive... On sait tout ce qu'on peut à une femme...

MINA, piquée.

Qu'on aime !... Je m'en rapporte à vous !

MADAME ROMARIN.

Et ma nièce vous avouera à son tour qu'elle aime son cousin Michel.

MICHEL.

Présent !

ALFRED.

Je le savais !... Et je m'en félicite !

MICHEL.

Et moi aussi, je m'en félicite.

PÉTERSTHAL.

La dispute va venir !

ALFRED.

Je ne demande plus qu'une chose : c'est d'entendre ma femme me répéter qu'elle aime Monsieur Michel.

MADAME ROMARIN, avec joie.

Répète ! Répète ! Ma chère comtesse.

Regardant Mina.

Ah ! Mon Dieu ! Ma nièce est tout en larmes !

ALFRED, à part.

Il se pourrait ?

MINA, bas à sa tante.

Ah ! Ma tante, ne lui dites rien !...

ALFRED.

Je vois ce qui cause sa peine... Monsieur le bourgmestre et vous surtout, Monsieur Michel, votre présence l'intimide, et je ne puis devant vous la contraindre.

PÉTERSTHAL.

Quoi ! Monsieur le Comte !...

ALFRED, montrant l'appartement de Madame Romarin.

Ici près, vous serez à même de paraître quand il en sera temps.

MICHEL.

C'est juste... Nous paraîtrons quand la querelle sera bien en train.

MINA, à part.

Que fait-il donc ?

MADAME ROMARIN, à Alfred.

Comment, vous les renvoyez ?

ALFRED.

Non, je les prie de s'éloigner...

Michel et Pétersthal entrent chez Madame Romarin.

MADAME ROMARIN.

Dans le fait, pourvu que je reste...

ALFRED, revenant auprès de la tante.

Et quant à vous, Madame, je compte sur votre complaisance....

MADAME ROMARIN.

Plaît-il ?

MINA, à part.

Est-ce qu'il va mettre ma tante à la porte, à présent ?...

ALFRED, à Madame Romarin.

Elle est ma femme, et c'est le seul moyen d'en finir.

MADAME ROMARIN.

Eh bien ! C'est à ma nièce à décider si je dois me retirer.

MINA, à sa tante.

Ma bonne tante, si c'est le seul moyen ?

MADAME ROMARIN.

Tu le veux ? Mais songe qu'il y va de ton honneur !... Une bonne querelle... À ta place, j'irais jusqu'au geste.

Elle montre sa chambre.

ALFRED, lui présentant la main.

Pardon, de vous interrompre.

Il la conduit à la porte.

MADAME ROMARIN, à part, en sortant.

À sa place, quel soufflet!...

ALFRED.

Donnez-vous la peine d'entrer.

Madame Romarin entre.

SCÈNE X.
Mina, Alfred.

ALFRED, fermant la porte du fond.

Ah ! L'on veut que je fasse le mari !

MINA, à part.

Me voilà seul avec lui !...

ALFRED.

Vous voyez, Madame la Comtesse, que notre séparation marche bien ?

MINA.

Vous lui avez fait faire un chemin si rapide en si temps !

ALFRED.

Oh ! Vous m'avez bien aidé un peu.

MINA.

Moi, monsieur... Je vous ai laissé faire...

ALFRED.

Avec joie, sans doute ?

MINA.

Vous y preniez tant de plaisir !... Tout nous a prouvé votre peu de indifférence !

ALFRED.

Vous vous trompez !... En exécutant mon arrêt, il y avait dans mon coeur de la colère, de l'indignation... et ce n'est pas la même chose que de l'indifférence.

MINA.

Et pourquoi de la colère, de l'indignation contre moi ?... Est-ce ma faute ?

AIR : Anglais.

265   Ils plaidaient ; et moi, sans cesse,

Toute à la tristesse,

Je disais,

Dans mes regrets :

« Ah ! qu'on le laisse ! »

270   Toute à la tristesse,

Je disais,

Dans mes regrets :

« Ah ! qu'on le laisse ! »

« Il vaut mieux un jour,

275   S'il est de retour,

Le devoir à sa tendresse. »

Ils parlaient d'honneur!

Moi, d'après mon coeur,

Je pleurais, priais sans cesse,

280   Je disais : « Ah ! Qu'on le laisse

Puisqu'il me délaisse !

Je ne veux, quelque jour,

Oui, son retour

Qu'à sa tendresse. »

ALFRED, ému.

Comment, votre coeur me défendait ?

MINA.

Oui, alors... Mais à présent votre cause est perdue... Je ne veux... Je ne dois plus vous entendre... Vos paroles...

ALFRED, vivement.

Elles vous déplaisent... Ah ! Il faut me le dire.

MICHEL, paraissant à la porte de la chambre.

Ça va bien ; allons chercher les témoins.

Il sort par la porte du fond.

ALFRED.

Entre mari et femme on ne se gêne pas ; quand ce que l'un déplaît à l'autre, on parle tous les deux en même temps... Oh ! Il y a en ménage une foule de petits moyens très variés pour ne pas s'entendre.

MINA.

Et vous considérez cette entrevue comme un ménage ?

ALFRED.

Parfaitement établi ; il n'y manque rien : d'abord, un couple bien d'accord...

MINA.

Pour se désunir !

ALFRED.

N'importe pourquoi ! L'accord y est, c'est le principal... Ensuite une parente un peu vive qui donne des conseils...

MINA, vivement.

Monsieur, ma tante ne veut que me voir heureuse !

ALFRED.

Eh ! Ne vous conseillait-elle pas de cacher vos chagrins ? Ne me faisait-elle pas le plus grand tort en vous obligeant de déguiser, sous des dehors peu favorables, un caractère dont, malgré vous, j'ai deviné toute la bonté.

MINA.

Mais, monsieur, vous ne m'avez jamais parlé ainsi !

ALFRED.

C'est que ces choses-là se disent en petit comité. Quand il n'y a plus là un tiers fâcheux qui force un mari comme je le suis, par arrêt du tribunal, qui le force, dis-je, d'être impoli, sous peine de passer pour un sot... Comme j'avais à choisir, j'ai pris le parti de l'impolitesse, aimant mieux blesser le coeur de celle qui recevait mon nom, que la faire rougir pour moi.

MINA, à part.

Ce mari-là me rend très malheureuse, il faudra le quitter.

ALFRED.

En agissant ainsi, d'ailleurs, je ménageais l'amour-propre de Monsieur Michel.

MINA.

De Monsieur Michel !

ALFRED, avec intention.

Il doit vous épouser... Vous l'aimez, je le sais, on me l'a dit ; et vous allez me le confirmer, parce qu'entre époux on ne doit rien se cacher.

MINA.

Voilà pourquoi vous m'avez si bien déclaré votre tendresse pour mademoiselle de Muldorf.

ALFRED.

On me tyrannisait pour que j'eusse un premier tort avec vous, j'ai fait choix du plus facile.

MINA, piquée.

C'est vrai, il vous a été bien facile d'avouer cet amour.

ALFRED.

Parce qu'il ne m'engageait à rien auprès de Mademoiselle de Muldorf.

MINA.

Comment cela ?

ALFRED.

Elle est engagée à tout envers un autre.

MINA, vivement.

Elle est mariée ?

ALFRED.

Secrètement ; je viens de l'apprendre par cette lettre.

MINA.

Comment, monsieur, vous voulez vous séparer de moi quand vous ne devez épouser personne ?

ALFRED.

Au moins, vous n'êtes pas dans le même embarras.

MINA.

Mais, pour me parler ainsi, vous ne savez donc pas que mon cousin Michel est un imbécile !

ALFRED.

Si fait... Je m'en suis aperçu, mais je n'en disais rien... Il a de ces vérités...

MINA.

Apprenez qu'il l'est encore plus que vous ne croyez...

ALFRED.

C'est beaucoup trop, alors...

MINA.

Oui, de croire que j'ai pu l'aimer après vous avoir connu !

ALFRED.

Mais c'est une déclaration.

MINA.

Dame ! Vous me l'avez dit, entre époux on ne doit rien se cacher ! Vous le voyez, Mina est toujours la même : petite fille... Elle suivait les leçons de sa tante... Grande dame, elle profite des leçons de son mari.

ALFRED, transporté.

Ah ! Puisqu'un baiser a fait le procès, qu'un baiser le termine.

MINA.

Plus de procès !

ALFRED, après l'avoir embrassée.

Ah ! Je suis le plus heureux des hommes.

Il tape dans ses mains.

Monsieur le bourgmestre !

MINA, appelant.

Ma tante ! Ma tante !

SCÈNE XI.
Les mêmes, Madame Romarin, Pétersthal, Michel, entrant avec les choeurs.

CHOEUR.

AIR Honneur et Gloire.

285   Ah! bravo ! quelle

Querelle.

Un soufflet a fait cette fois

Triompher la plus belle

Et la meilleure de nos lois.

MADAME ROMARIN, PÉTERSTHAL, MICHEL, entrant.

Bravo ! Bravo ! Quelle dispute !

MADAME ROMARIN.

Oui, monsieur, je déclare avoir entendu le bruit du soufflet ; il a été bien donné !

MINA, joyeuse.

Oui, ma tante, oui, ma tante, et celui-là m'a fait un plaisir...

PÉTERSTHAL.

Alors, je vais lire le procès-verbal.

ALFRED.

Vous nous le lirez demain, au château de Malzen, où Madame la Comtesse vous invite à déjeuner.

TOUS.

Est-il possible !

MADAME ROMARIN.

Ma nièce !

MINA.

Mon mari le permet.

PÉTERSTHAL.

Monsieur, est-ce une mystification ?

ALFRED.

Je me suis trouvé trop bien d'avoir fait le mari, pour ne pas continuer.

MICHEL.

Mon mariage est manqué !

MADAME ROMARIN.

Tu lui pardonnes... Tu n'as pas de caractère !

MINA.

Ma tante, j'ai de l'amour.

À Alfred.

AIR : Vaudeville d'Elle et Lui.

290   À vous punir, avec courage

En vain j'ai voulu m'obstiner.

Au moment de venger l'outrage,

Un doux baiser me l'a fait pardonner.

C'est un baiser qui m'a fait pardonner.

ALFRED.

295   Loin de regretter son audace,

Lorsqu'une offense aura pu vous blesser,

Par un baiser si l'on obtient sa grâce,

Chacun voudra vous offenser.

CHOEUR.

AIR du Coureur de Veuves.

Que l'Hymen paraisse,

300   On voit la tendresse

À son dernier jour.

bis.

Mais, contre l'usage,

Oui, leur mariage

Oui, notre mariage

305   Finit par l'amour.

 



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Notes

[1] Décaver : Terme de jeu. Gagner toute la cave d'un joueur, tout l'argent qu'il a devant lui. Il m'a décavé en deux coups. [L]

[2] Bouillotte : Sorte de jeu de cartes. [L]

[3] Se carrer : À la bouillotte, un joueur se carre, quand il s'assure de la priorité en doublant sa mise. [L]

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