EN VERS BURLESQUES
COMÉDIE
M. DC. LX.
AVEC PRIVILEGE DU ROI.
PAR Mr SOMAIZE.
À PARIS, Chez ESTIENE LOYSON, au Palais, à l'entrée de la Galerie des Prisonniers, au Nom de Jésus.
Établi à partir de l'édition critique établie par Léa Delourme sous la direction de Georges Forestier (2013-2014)
publié par Paul FIEVRE, mai 2015, revu novembre 2017
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:01:08.
À MADAME MADAME LA MARQUISE DE MONLOY.
MADAME,
Après avoir quelque temps douté si je différerais les preuves de mon respect pour vous en donner de plus considérables, ou si je me hasarderais de vous le témoigner par l'offre d'une bagatelle : je me suis enfin laissé persuader que je ne pouvais avec trop d'empressement chercher les moyens de vous en donner des marques ; mais comme il me semblait presque impossible qu'elles vous fussent considérables sortant de mes mains ; j'ai cherché dans les agréments d'un style burlesque de quoi réparer mon peu de mérite, et ne me sentant pas assez fort pour vous plaire par la beauté de mes pensées, j'ai voulu vous empêcher de songer à ma faiblesse, et réparer ce défaut par la plaisanterie de mes imaginations : En un mot, MADAME, je me suis résolu de vous offrir une Comédie, n'osant pas vous présenter un Ouvrage sérieux. Dans cette entreprise je n'ai point d'autre but que celui de vous divertir, et de vous faire connaître que je me souviens de ce que je vous dois. J'avoue que c'est me charger d'une nouvelle obligation que de vouloir m'acquitter ainsi ; mais il est bien malaisé de n'être pas toujours redevable à celles qui vous ressemblent ; aussi me fondai-je entièrement sur votre bonté. C'est une de vos vertus, MADAME, et vous n'avez pas acquis moins de réputation dans la Cour par elle, que par toutes vos autres bonnes qualités. Je m'abuserais moi-même si je prétendais en faire ici le dénombrement. Trop de choses vous ont rendue recommandable durant que vous avez été auprès de la plus auguste et plus vertueuse Reine qui ait jamais porté la Couronne pour me laisser le moyen de l'oser entreprendre ; aussi ne m'y hasarderai-je pas ; et tout le témoignage que je veux rendre à une vertu connue de tout le monde, c'est que dans ce lieu où votre naissance vous avait appelée ; dans ce lieu dis-je où la médisance n'épargne personne, votre vertu lui a si bien fermé la bouche que les plus médisants ne l'ont jamais ouverte que pour publier que vous étiez la plus sage et la plus vertueuse personne de la Cour ; et dans ce lieu ce n'est pas peu de chose de conserver tant d'estime avec tant de beauté. Cependant ce qui pour lors était vrai ne l'est pas moins à présent, au contraire on peut dire que vos vertus brillent avec plus d'éclat : mais dans cette estime générale de tous ceux qui vous connaissent souvenez-vous de cette générosité par où vous l'avez acquise. C'en est une bien grande, MADAME, de regarder de bon oeil les choses qui sont au dessous de nous, et c'est celle dont je vous prie de vous servir en mon endroit, me permettant de me dire avec respect,
MADAME,
Votre très humble et très obéissant serviteur, SOMAIZE.
AU LECTEUR.
Je te donne ici un Procès, dont le sujet est si nouveau, que malgré toute l'antiquité de la chicane, on n'en avait point encore vu de semblable au Palais : il s'y est fourré comme en son pays natal, et bien qu'il soit né dans un lieu fort tranquille, il n'a pas laissé de passer dans celui du trouble et de l'embarras. En vain j'ai tâché par raison de le retenir, la démangeaison d'avoir ton jugement m'a forcé de l'exposer à recevoir de toi un Arrêt moins favorable que celui que mes amis en ont porté. Je n'en appellerai point, et ne croirai pas même que tu me fasses d'injustice en le condamnant : mais comme tu peux lui être contraire par plusieurs raison, il me semble assez juste de te dire ce que la liberté du Poème Burlesque y a rendu raisonnable ; qui est premièrement l'expression qui dans ces sortes de Comédies, fait une partie du plaisant, et reçoit toutes sortes de façons de parler. Le sujet ensuite qui dépend entièrement de l'imagination, et qui n'a besoin pour être reçu que du passeport de la vraisemblance. Il serait besoin ici de faire un long discours pour expliquer ce que c'est que vraisemblance ; mais pour te le dire en deux mots, c'est tout ce qui, bien qu'extraordinaire par sa nouveauté, tombe néanmoins assez dessous les sens pour persuader à l'esprit que cela peut arriver sans renverser l'ordre établi dans le cours des choses. Ce qui dépend souvent bien plus de l'arrangement des actions, que des actions même. Peut-être m'accuseras-tu d'y avoir manqué précipitant en un jour un procès, qui selon la coutume des Modernes dure pour l'ordinaire des six mois : mais le Théâtre peut bien donner cette licence, puisque la raison et l'utilité voudraient qu'ils ne fussent pas plus longs, outre que ceci étant plutôt un arbitrage en forme, qu'un jugement réglé. Il ne faut pas s'étonner qu'il aille si vite, aussi n'est-ce pas là de quoi je veux le plus me défendre, et les scènes déliées qui sont présentement tout à fait condamnées dans les pièces régulières, et que j'ai laissé passer dans cette Comédie, me fourniraient une ample matière, d'apporter quantité d'excuses, ce que je ne ferai pourtant pas, croyant qu'elles ne sont pas tout à fait condamnables dans une pièce burlesque, qui est proprement un ouvrage ou tout est permis, pourvu qu'il fasse rire. Comme je te l'ai donné pour te divertir, je te pris si tu ne le trouves pas assez plaisant de te donner quelque jour de patience, j'en exposerai un autre à ta censure qui pourra réparer les défaut de celui-ci ? Ce sera la Pompe funèbre d'une Précieuse, avec toutes les cérémonies de ce fameux Convoi ; que ces termes de lugubres et funestes ne t'épouvantent point, car je puis t'assurer que cet enterrement n'aura rien de triste que son nom.
ACTEURS
RIBERCOUR, Gentilhomme Manceau et député de ce Païs.
ROGUESPINE, son valet.
THEOCRITE, Professeur és langues Espagnole, Italienne et Françoise.
PANCRACE, Professeur de la langue Pretieuse.
ERGASTE, écuyer de Madame_la_Duchesse de …
UN GREFFIER.
PATRICE, Juge se disant de l'Academie Françoise.
ANAXARITE, Juge se disant de l'Academie Françoise.
ARISTIME, Juge se disant de l'Academie Françoise.
EPICARIE, Deputée du Corps des Pretieuses.
SA SUIVANTE.
RODOGINE, écolière, qui vient apprendre à parler Pretieux.
La Scène est à Paris
Texte établi à partir de l'édition critique de Léa Delourme Pour Paris-Sorbonne et de l'exemplaire numérisé de Gallica, cote Rés. Yf-4128 de la BnF.
SCÈNE PREMIÈRE.
Patrice, Epicarie.
EPICARIE, en appelant Patrice.
Hem, ou courez-vous de ce pas ?
PATRICE.
Ma foi, je ne vous voyais pas,
Et j'allais chez vous pour vous dire,
De vous apprêter à bien rire.
5 | Notre homme, enfin arriva hier, |
Et m'est déjà venu prier
De lui répondre sa requête,
Regardez si vous êtes prête,
Et si vous avez aujourd'hui
10 | Le temps de plaider contre lui ? |
EPICARIE.
Oui j'ai toujours le temps de rire ;
Mais il ne saura que nous dire,
Il le faut laisser reposer
Si nous voulons l'ouïr jaser ;
15 | Car je crois qu'il aura sans doute |
Tout oublié pendant sa route.
PATRICE.
Croyez-moi, si l'on le surprend
Le plaisir en sera plus grand,
Et nous le verrons se confondre
20 | Sans savoir par où nous répondre. |
Mon Dieu ! Qu'il sera tantôt sot ;
Tous nos gens ont déjà le mot,
Et je vous donne ma parole
Que chacun jouera bien son rôle,
25 | Et que professeurs, et sergents |
Ne paraîtrons pas négligents ;
Mais marchons je le vois paraître.
SCÈNE II.
Ribercour, Roguespine.
ROGUESPINE.
Parbieu c'est bien avoir mon maître,
De plaider la démangeaison,
30 | Qu'en poste quitter sa maison |
Pour venir à Paris, se rendre
Avecque dessein d'entreprendre
Contre des femmes un procès,
(Dont j'augure mal du succès)
35 | Et cela dites-vous à cause |
Que leur bouche, n'est jamais clause,
Et qu'elles parlent que je crois
Le langage des des… ma foi
Ce mot n'est plus dans ma mémoire,
40 | Il n'est plus dessus mon grimoire, |
Et ce nom, ce diable, de nom,
Qu'on dit avoir tant de renom,
À retenir fait tant de peine,
Que je l'ai laissé dans le Maine ;
45 | Mais sans doute qu'il nous viendra |
Quand vos chapons, l'on enverra ;
Car l'on doit dans cette occurrence
Vous en envoyer pour la panse
De Monsieur, votre procureur ;
50 | Puisqu'enfin il faut qu'un plaideur, |
S'il craint de son procès la perte,
Ait sans cesse la bourse ouverte.
RIBERCOUR.
Les Nobles du Mans par bonté
M'ayant dans Paris, député
55 | Pour empêcher dedans la langue, |
Par une belle et bonne harangue,
L'hérésie qui va passer,
Et qui commence à se glisser
Dedans tout le pays du Maine ;
60 | Prendront assurément la peine |
De m'envoyer force présents,
Qui seront plus que suffisants
Pour me faciliter l'entrée
Auprès des directeurs d'Astrée [ 1 Astrée : Dans la mythologie grecque, fille de Zeus et de Thémis avec qui elle représente la Justice. C'est aussi un roman fleuve inachevé d'Honoré d'Urfé paru de 1607 à 1633.]
65 | Et qui me donneront moyen |
De mener mon procès à bien
Et d'avoir (puisque je m'en pique)
Un arrêt célèbre, authentique,
Contre ces jaseuses enfin
70 | Que je hais plus que le lutin, |
Et que l'on nomme Précieuses ;
Mais non pas pour être amoureuses.
ROGUESPINE.
Ah ! Voilà justement ce mot
Qui si longtemps a fait le sot,
75 | Et qui pour moi, chose nouvelle, |
M'a fort embrouillé la cervelle ;
Mais puisque je le tiens enfin
Monsieur, sans attendre à demain,
Malgré toute la procédure
80 | Apprenez-moi, je vous conjure |
Pour quelle importante raison
L'on les appelle de ce nom,
Et pourquoi ? Par toute la terre
On aime à leur faire la guerre ?
RIBERCOUR.
85 | Ah ! Je vois bien que tu seras |
Curieux, tant que tu vivras,
Et que même en la sépulture
Tu le seras encor, je jure.
ROGUESPINE.
Mon Dieu ! Qui ne le serait pas
90 | L'on l'est bien pour un moindre cas : |
Depuis six ans, le monde en cause,
Je n'entends rien dire autre chose,
Ce mot en Province a grand cours,
De lui les Dames, tous les jours
95 | En disent toutes des plus belles, |
Et dés lors que quelques unes d'elles
S'en vont faire un tour à Paris,
Aussitôt, aux plus favoris,
De même qu'aux plus favorites
100 | Dedans des lettres bien écrites |
Elles protestent que Paris,
Charme tous les plus grands ennuis,
Que l'on y rit des Précieuses,
Qu'elles n'y sont pas fort heureuses,
105 | Que l'on en a pour cent raisons |
Imprimé de toutes façons ;
Enfin dans Paris, dans le Maine ;
Dans Lyon, dans Turin, dans Gênes,
Et dans seize mille autres lieux
110 | Précieuses et Précieux |
Font l'entretien de maintes-belles,
Des Suivantes, des Demoiselles,
Et le vieux, le jeune, et le sot,
Veut là-dessus dire son mot.
115 | Ne serait-ce point quelque fable, |
La chose me paraît croyable,
J'ai souvent le goût raffiné ;
Et je crois avoir deviné ;
Car l'on n'imprime point des femmes.
RIBERCOUR.
120 | Ce sont les Mots, que font les Dames, |
Que l'on imprime aussi, lourdaud. [ 2 Lourdaud : Personne lourde d'esprit et de corps. [L]]
ROGUESPINE.
Hé bien, quoique je sois rustaud, [ 3 Rustaud : Terme familier Qui tient du paysan, de la campagne. [L]]
Dites ? Comment sont-elles faites ?
Sont-ce des femmes ? Fort parfaites,
125 | Qui n'ont rien des autres en tout ? |
Sont-elles point à votre goût ?
Portent-elles, des hauts de chausses ? [ 4 Haut de chausses : en fait d´habit, on appelle haut-de-chausse la partie de l'habillement de l'homme qui est depuis la ceinture jusqu'aux genoux (...). [F]]
Sont-ce pièces bonnes, ou fausses ?
Quoi Monsieur, vous ne parlez pas,
130 | Vous font-elles, de l'embarras ? |
Sont-elles, point hermaphrodites ?
Ont-elles, des juste-au-corps ! Dites ? [ 5 Juste au corps : Espèce de veste qui va jusqu'aux genoux, qui serre le corps, montre la taille, et qui a des poches tantôt plus hautes et tantôt plus basses, selon que la mode change. [F]]
Ont-elles, le visage beau ?
Ont-elles, un vilain museau ?
135 | Sont-elles, tant soi peu camuses ? |
Chantent-elles, comme les muses ?
Ont-elles, le nez aquilin ?
Ont-elles, l'esprit fort malin ?
Sont-ce des beautés, sans secondes ?
140 | Sont-elles, brunes, grandes, blondes, |
Petites, jeunes, vieilles, ou
Hideuses, comme un loup-garou ?
Ne sont-ce point quelques sorcières ?
Sont-elles, douces, ou bien fières,
145 | Ont-elles, des maris ou non ? |
N'auraient-elles, point de surnom ?
Des galants, en endurent-elles ?
Ne feraient-elles, point les belles ?
Sont-elles, riches à foison ?
150 | Sont-elles, de pauvre maison ? |
En un mot, dites-moi ? Sans fraude,
Monsieur, sont-elles à la mode ?
RIBERCOUR.
Oui, oui sans doute elles y sont ?
ROGUESPINE.
Elles ont donc des souliers ronds ; [ 6 v. 154, dans l'édition originale, on lit dont au lieu de donc.]
155 | Car d'en porter c'est la grande mode. |
RIBERCOUR.
Va, de cela ne t'incommode,
Je t'en veux faire voir bientôt.
Mes affaires sont comme il faut,
Et je n'ai fait dans cette Ville
160 | Rien qui ne me soit fort utile ; |
Déjà plein d'animosité
J'ai ma Requête présenté
À Messieurs, de l'Académie,
Que certes je n'oublierai mie, [ 7 Mie : s'employait autrefois pour une particule négative. Il a demandé cette fille en mariage, mais il ne l'aura mie. [F]]
165 | Tu sais, dont je suis fort content, |
Qu'on l'a répondue à l'instant.
ROGUESPINE.
Mais si faisant les Damoiselles,
Un Procureur, venait pour elles
Monsieur, je ne les verrais point ;
170 | C'est pourquoi, je crois sur ce point |
Qu'il vaudrait bien mieux, ce me semble,
Leur donner à toutes ensemble
Un personnel ajournement.
RIBERCOUR.
Tu raisonnes fort justement.
ROGUESPINE.
175 | Vous vous croyez donc bien habille, |
Et s'il en venait plus de mille,
Et que dans ce beau jugement
Il fallut personnellement
Agir avec toutes, je jure,
180 | Que dans une telle aventure |
Je vous trouverais pas ma foi
Fort embarrassé.
RIBERCOUR.
Va, tais toi ;
Car quoi que tu me puisses dire,
Je ne suis point d'humeur à rire,
185 | Et je me ressouviens fort bien |
Que je n'ai fait encore rien,
Quoi que je voie ma requête
À signifier toute prête,
Puisque je ne sais point du tout
190 | Ou pouvoir d'une voir le bout. |
ROGUESPINE.
Il faut qu'un secret, je vous die,
Pour qu'à cela l'on remédie.
RIBERCOUR.
Que me veux-tu dire de bon ?
ROGUESPINE.
Prenez-les au Petit Bourbon, [ 8 Petit-Bourbon : Ancine Hôtel du XIVème siècle, qui devint le lieu où se produisirent les comédiens Italiens et la troupe de Molière. Ce théâtre fut démolie le 11 octobre 1660.]
195 | L'on les dit au pays, plaisantes |
Et même assez divertissantes
RIBERCOUR.
Tu ne sais pas ce que tu dis,
À Bourbon, va tu t'es mépris
Ce ne sont que comédiennes.
ROGUESPINE.
200 | Ah ! Je viens sans beaucoup de peines |
De trouver un expédient.
RIBERCOUR.
Dis ! Car je suis impatient.
ROGUESPINE.
Il faut les faire avecque pompe
Monsieur, crier à son de trompe.
RIBERCOUR.
205 | Voila justement le moyen |
Pour ne rencontrer jamais rien ;
Puisque toutes les Précieuses,
De se cacher sont curieuses,
Qu'elles ne veulent du tout pas
210 | Qu'on connaisse rien à leur cas, |
Et que les plus grandes d'entre-elles
Disent qu'elles ne sont point telles.
ROGUESPINE.
J'en veux voir quelqu'une pourtant,
Et j'ai des moyens tant et tant,
215 | Qu'en quelque endroit que ce puisse être |
Je vous en ferai voir, mon maître ;
Par exemple, j'en tiens un bon.
J'ai ouï dire avecque raison
Que quand l'on a dans cette ville,
220 | Perdu quelque chienne gentille, |
L'on fait afficher des billets
De tous les côtez au Palais,
Et qui promettent récompense
À ceux, qui plains de vigilance
225 | La rapporteront. Vous pourrez |
Faire de même, et vous verrez
Sans doute que quelque suivante,
Avide de la paraguante [ 9 Paraguante : Présent qu'on fait par honnêteté à celui qui s'entremet pour nous faire faire quelque traité, quelque affaire qui nous procure de l'avantage.]
Ne pourra sa langue tenir.
RIBERCOUR.
230 | Mais quoi ne vois-je pas venir |
Mon vieil ami, Monsieur Pancrace,
Vraiment il faut que je l'embrasse.
SCÈNE III.
Ribercour, Pancrace, Roguespine.
PANCRACE.
Cher ami, que je suis joyeux
De vous rencontrer en ces lieux :
235 | Il faut pourtant que je vous fasse |
Des plaintes, quand je vous embrasse
Et que je demande pourquoi
Vous n'êtes pas venu chez moi,
En arrivant en cette ville,
240 | Établir votre domicile |
Sachant avec combien d'ardeur
Je suis votre humble serviteur.
RIBERCOUR.
Un procès, est ce qui m'amène
Et les plaideurs font trop de peine,
245 | Le boire, et le manger chez eux |
Tantôt, faute d'une heure ou deux,
Ils n'ont que procès à la bouche,
L'on ne sait point quand on s'y couche
Et quand on s'y lève encor moins,
250 | Cent chicaneurs font tous leurs soins, |
Un Clerc, aujourd'hui les visite,
Un Procureur arrive en suite,
Le lendemain un avocat,
Vient dire un nouvel altercat, [ 10 Altercat : Débat, constellation entre deux personnes qui ont ensemble de la familiarité. [F]]
255 | Après vient un homme d'affaires, |
Apporter quelques formulaires,
Et tous les jours un tas de gens
Affamés, comme des Sergents,
Viennent, non pas, avec main morte,
260 | Heurter, rudement, à leur porte, |
Pour dire, quatre méchants mots
Qui sont souvent hors de propos.
PANCRACE.
Et quel procès donc vous amène ?
RIBERCOUR.
Pour le public, j'ai cette peine
265 | Et je suis authentiquement |
Député des Nobles du Mans,
Comme de la Province entière,
Qui s'intéresse en cette affaire,
Afin de plaider en ces lieux
270 | Contre le parler précieux |
Et ces pestes de Précieuses,
Que je vais rendre malheureuses ;
J'ai déjà par précaution
Pour intenter mon action
275 | Fait tantôt un coup de ma tête |
Et j'ai présenté ma requête
À l'Académie, et voici
La teneur que j'en tiens ici.
Il lit.
À Messieurs de l'Académie.
280 | Humblement Messieurs, vous supplie |
Le Sieur de Ribercour, du Mans
Gentilhomme qui point ne ment,
Et député de la Noblesse
D'où l'on voit des pommes la presse.
285 | Disant, que depuis quelque temps |
Il s'épend d'instants en instants
Dans leur pays certain langage,
Ou plutôt un baragouinage,
Qui leur est à tous inconnu,
290 | Ne sachant pas s'il est venu |
Par eau, ou sur quelque haridelle [ 11 Haridelle : Terme familier. Mauvais cheval maigre. [L]]
Et que précieux l'on appelle :
Lequel, comme la nouveauté
Plaît avecque facilité,
295 | Est reçu dans notre Province, |
De gens, dont la cervelle est mince,
Sujets à prendre en cent façons
Mille folles impressions,
Et qui je crois Messieurs, sous ombre
300 | Que ce langage était fort sombre |
Et qu'il était né dans Paris,
Et s'est fourré jusqu'à leurs huis,
Ont crû, qu'ils seraient fort célèbres
Et que pour sortir des ténèbres,
305 | C'était un cas sûr à chacun |
Pour les distinguer du commun,
S'ils s'attachaient tous à le suivre
Et s'ils pouvaient le faire vivre.
Néanmoins cela fait grand tort
310 | À la Province et lui nuit fort ; |
Tant à cause Messieurs, du trouble
Qui de temps en temps se redouble,
Et qui met le commerce à bas,
Que du grand nombre de ducats, [ 12 Ducat : Monnaie d'or fin dont la valeur varie de dix à douze francs, selon les pays ; il porte ordinairement d'un côté la tête du prince dans les États duquel il a été frappé, et de l'autre côté ses armes. [L]]
315 | Dont tous les jours l'on fait dépense, |
Non sans grande condoléance,
Pour avoir à chaque moments
Avec soi quelques truchements. [ 13 Truchement : Interprète nécessaire aux personnes qui parlent diverses langues pour se faire entendre les unes aux autres. [F]]
Ce considéré, qu'il vous plaise,
320 | Pour que ce désordre on apaise, |
Faire appeler par devant vous
Pour qu'on lui donne du dessous,
Tout ce grand corps des Précieuses,
Pour se voir comme factieuses,
325 | Condamner d'abord à laisser, |
Abjurer, quitter, renoncer,
Un si pernicieux langage,
Et qui peut causer du carnage,
Et que défenses à l'instant,
330 | Leur soient par vous faites s'entend |
De ne s'en plus servir à peine
De ne jamais lire Artamène, [ 14 Artèmène : Roman précieux de Madeleine de Scudery publié entre 1649 et 1653.]
Ni même aucun autre roman ;
Ou pour un plus dur châtiment
335 | Que le lit, desdites femelles, |
Soit des deux côtés sans ruelles,
Et qu'il soit mêmement placé
Sans être du tout exaucé ;
Et vous ferez bonne Justice.
PANCRACE.
340 | La réponse est-elle propice ? |
RIBERCOUR.
Oui : prêtez donc attention
La voici : Qu'assignation
Soit donnée, à ces Précieuses,
Qui sont si fort contentieuses ;
345 | Fait justement le vingt et trois |
De Mai, le plus fleuri des mois.
Hé bien ? Mon cher Pancrace,
Croyez-vous que je les terrasse
Et que j'aie fort avancé ?
PANCRACE.
350 | Tout à fait ; car enfin je sais |
Que ces Messieurs, à forte tête
En répondant votre requête,
Avecque tant d'agilité
Ont fait un coup en vérité,
355 | Qui par sa grande vigilance |
Doit être à tous en évidence ;
Puisqu'un mot souvent leur suffit
Pour embarrasser leur esprit
Plus de dix, ou douze semaines ;
360 | Mais je vous veux donner mes peines, |
Et solliciter avec vous :
Aussi bien je suis en courroux
Contre toutes ces orgueilleuses,
Pour dire plus ces Précieuses,
365 | Que j'allais perdre, Dieu le sais, |
Si vous n'aviez pas commencé ;
Vous savez bien que dix années,
Favorisé des destinées,
J'ai suivant ma profession,
370 | Enseigné dedans la maison, |
Avec honneur, et dans la ville,
D'une manière fort facile,
La langue Italienne, avec
L'Espagnole, sans nul échec,
375 | Et pareillement la Française ; |
Cependant je vois qu'on dégoise
Aujourd'hui pour me ruiner
Un jargon, qu'on doit condamner.
Que mes écoliers se dépitent,
380 | Qu'il s'en faut peu qu'ils ne me quittent. |
Et que lorsqu'à quelque étranger,
Qui me fait souvent enrager,
J'ai bien souvent donné mes peines
L'espace de quelques semaines ;
385 | Mais non pas sans bien me fâcher, |
Afin de lui faire écorcher,
Le Français, qu'il tâche d'apprendre,
Il me vient dire, pis que pendre
Et crier d'un ton outrageant
390 | Que je lui vole son argent, |
Et qu'il s'est vu parmi des femmes,
Des illustres, des belles âmes,
Qui parlaient un patois, sa foi,
Qui ne s'apprenait point chez moi.
395 | Que même il avait fait dépense |
Et qu'il dit être d'importance,
Achetant des livres nouveaux,
Que tout le monde trouve beaux,
Intitulés, les Précieuses,
400 | Précieuses, pour lui fâcheuses, |
Puisqu'il n'y peut connaître rien.
RIBERCOUR.
Je crois que vous ferez fort bien,
Pour exterminer ces femelles,
De vous joindre avec moi, contre elles
405 | Car enfin s'il faut qu'une fois |
Voulant imiter les Français,
Qu'en Espagne, et dans l'Italie,
Ce diable de nom, se publie
Et qu'il vienne à naître en ces lieux
410 | Quelque langage précieux, |
Vous n'auriez bientôt, que je pense,
Qu'à rengainer votre science.
ROGUESPINE, à part.
Je crois que mon maître aujourd'hui
A rencontré plus fou que lui.
RIBERCOUR.
415 | Mais j'oubliais de vous apprendre, |
Que je ne sais pas où les prendre,
Pour les pouvoir faire assigner.
PANCRACE.
Ah ! Sans y longtemps ruminer,
Je trouve la chose facile
420 | Tout en est plein dans cette ville |
Et puis, je sais bien à peu prés
Où quelqu'une loge ici prés.
RIBERCOUR.
Allons-y donc, dès tout à l'heure.
ROGUESPINE.
Ils perdent l'esprit, ou je meure,
425 | Mais je pense qu'avec lent soin |
Ils auraient encor grand besoin,
Pour que leurs action éclate
De la lanterne de Socrate,
Afin de chercher à leur tout
430 | Une Précieuse, en plein jour |
Comme il faisait jadis un homme ;
Pour moi je crois que l'on m'assomme,
Disant, que tout en est farci ;
Puisque je n'ai pu jusqu'ici
435 | Par mon adresse, non commune |
Jamais en découvrir aucune,
Moi qui depuis trois jours entiers
Faits résidence en ces quartiers.
Ribercour et Pancrace ayant fait trois ou quatre pas, aperçoivent au dessus d'une porte, une affiche et lisent.
Les Lecteurs, qui sont curieux
440 | Sauront que le Sieur Theocrite, |
Dedans cette maison habite
Et montre à parler Précieux.
PANCRACE.
Nous ferons ici notre affaire
Monsieur, et nous n'avons que faire
445 | D'aller en d'autre lieux courir : |
Nous le ferons bien discourir
Si nous pouvons avec adresse
Malgré le courroux, qui nous presse
Cacher, ce qui nous fait venir.
RIBERCOUR.
450 | Entrons donc pour l'entretenir. |
SCÈNE IV.
ROGUESPINE, seul.
Ah ! Puisque je sais la demeure
Il me prend envie : ou je meure,
De venir sans en dire mot
De peur de passer pour un sot,
455 | Pour un campagnard, pour un rustre, |
Apprendre cette langue illustre,
Qui met le monde en grand crédit.
Aussi bien en Province, on dit
Que dans Paris, toutes les femmes,
460 | Et même les plus grandes Dames, |
Reçoivent jusques aux laquais
Quand ils sont bien vêtus, bien faits,
Et qu'enfin ils ont l'avantage
De savoir un peu ce langage.
SCÈNE V.
Roguespine, Rodogine.
ROGUESPINE.
465 | Mais où va cette fille-là ? |
Montrant la porte de Theocrite.
Elle va de ce côté là,
Oui, ses pas font assez connaître
Qu'elle va tout droit chez ce maître ;
Pour nous désennuyer un peu
470 | Arrêtons-là, dedans ce lieu |
Madame, ou bien Mademoiselle ;
Car il faut que vous soyez telle,
Vous ne sauriez que faire là ;
Car...…
RODOGINE.
Le beau début que voila !
475 | Que vous avez l'âme grossière, |
La forme avant, dans la matière ;
Ah ! Mon cher que vous este dur,
Et qu'il fait dans votre âme obscur.
ROGUESPINE, à part.
Qu'est-ce que celle-là veut dire ?
480 | Je ne sais pas si j'en dois rire, |
Car n'entendant point ce jargon
Elle peut m'appeler fripon ;
À Rodogine.
Songez mieux à ce que vous faites
Impertinente, que vous êtes
485 | Je suis valet, de probité |
Et de Monsieur le Député,
Et si vous me chantez injures,
Sachez, que ce sont impostures.
RODOGINE.
Et quel est donc ce député ?
ROGUESPINE.
490 | Ah ! Vous raillez en vérité, |
Chacun le doit déjà connaître ;
Car qui ne sait pas que mon maître,
Est ici député du Mans,
Afin d'obtenir promptement
495 | Contre ces langues venimeuses, |
Que l'on appelle Précieuses,
Un arrêt, qui casse tout net
Le langage qu'elles ont fait.
RODOGINE.
Justes Dieux ! Que je suis surprise
500 | De cette maudite entreprise ; |
Mais encore, est-ce tout de bon ?
ROGUESPINE.
Peste de la commission,
J'en avais ma foi, bien affaire,
La selle m'en tient au derrière,
505 | Et les sauts que tous les chevaux, |
Qui n'étaient certes, bons ni beaux,
M'ont (sans qu'il fut fort nécessaire),
En courant la poste, fait faire,
Dans un superlatif degré
510 | Le ventre m'ont plus écuré, [ 15 Écurer : Nettoyer la vaisselle, la batterie de cuisine. [F] Débarrasser de toute ordure. [L]] |
Que n'auraient, je le dis sans feintes,
Jamais pu faire quatre pintes [ 16 Pinte : Vaisseau qui sert à mesurer les liqueurs, et quelquefois des choses sèches. Une pinte de vin, d'eau, d'huile. La pinte contient deux chopines, ou la moitié d'une quarte. La pinte de Paris est environ la sixième partie du congé Romain, et contient le poids de deux livres d'eau commune. [F]]
De ce vin bien et mal faisant,
Qu'on nomme émétique à présent.
RODOGINE.
515 | J'ai donc en vain vidé ma bourse, |
Et mon pauvre argent sans ressource
Est donc pour tout jamais perdu.
Ah ! Je voudrais qu'il fut pendu
Ce chien, cet enragé, ce traître,
520 | En un mot, ce diable de maître, |
Qui m'a si souvent assuré,
Et qui m'a tant de fois juré,
Que ce magnifique langage
Aurait le puissant avantage
525 | De ne pouvoir mourir jamais. |
ROGUESPINE.
Mais nos gens sortent satisfaits,
Et je donnerais ma parole
Qu'ils viennent d'attraper le drôle. [ 17 Drôle : Se dit d'un homme ou d'un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d'exciter quelque inquiétude, et sur lequel d'ailleurs on s'attribue quelque supériorité. [L]]
SCÈNE VI.
Ribercour, Pancrace, Theocrite, Roguespine, Rodogine.
RIBERCOUR, en sortant de chez Théocrite.
Je vous suis obligé Monsieur,
530 | D'une si notable faveur, |
Et si vous passez d'aventure
Par le pays, je vous conjure
De venir loger droit chez moi ;
Vous y mangerez sur ma foi
535 | Des chapons ; mais en abondance |
Qui seront bons par excellence.
PANCRACE.
Et moi de mon côté Monsieur,
Je vous rends grâces de bon coeur.
THEOCRITE.
Vos civilités sont plus grandes
540 | Que n'ont pas été vos demandes, |
Et dedans cette occasion
Il n'est point d'obligation,
Qui pour des gens d'un tel mérite,
Ne soit de nature petite.
THEOCRITE, pendant que Rodogine parle bas à Roguespine.
545 | Enfin notre homme est attrapé, |
Et c'est un député dupé ;
Mais il aurait tort de ses plaindre,
Bien d'autre sans les y contraindre
Du depuis que pour l'attraper,
550 | Ou pour mieux dire le duper, |
J'ai mis sur ma porte une affiche,
Sans prétendre leur faire niche, [ 18 Niche : Malice que l'on fait à quelqu'un. (L]]
Me sont venus trouver céans,
Et par des discours obligeants
555 | M'ont conjuré de leur apprendre, |
Ce qu'encor j'ai peine d'entendre,
Savoir à parler Précieux.
Apercevant Rodogine.
Mais quoi vous trompez-vous mes yeux ?
Non certes, et c'est l'écolière
560 | Qui me vient trouver d'ordinaire ; |
Voyons donc de quelle façon
Elle a retenu sa leçon.
SCÈNE VII.
Theocrite, Rodogine.
THEOCRITE.
Bonjour, entrons dans cette salle.
RODOGINE.
Vous n'êtes qu'un maître de balle,
565 | Qu'un impertinent, qu'un jaseur, |
Qu'un traître, ni qu'un imposteur,
Je ne viendrai pas davantage,
L'on va casser votre langage.
THEOCRITE.
Qui sont donc les perturbateurs !
Au beau style, si fort contraires
Et de la raison adversaires,
Dont le sens emberliquoqué [ 20 Emberliquoqué : mot valise composer avec emmberlificoter qui est un terme populaire qui signifie embarraser [L] et emberlucoquer qui est aussi un terme populaire (non précieux) : Se coiffer d'une opinion [F]. ]
Vous a dans l'esprit inculqué,
575 | Par une injuste jalousie, |
Cette bizarre fantaisie.
RODOGINE.
Ce que je dis est assuré,
Car enfin l'on me l'a juré,
Et sur ce qu'on m'a dit, je gage
580 | Qu'on cassera votre langage. |
THEOCRITE.
Est-ce ainsi que mes documents,
Mes leçons, mes enseignements,
Sont en des terres infertiles
Où mes peines sont inutiles
585 | Ou de tout ce qu'on peut planter |
Rien ne peut jamais profiter.
Ah ! C'est donc en vain terre ingrate,
Que l'on vous bêche, et qu'on vous gratte,
Puisque mes soins n'ont pour tout prix
590 | Qu'un regret d'en avoir trop pris. |
Quoi donc s'énoncer de la sorte,
Ah ! Cela m'étonne et m'emporte.
« Ce que je dis, est assuré,
Car enfin l'on me l'a juré
595 | Et sur ce qu'on m'a dit, je gage |
Qu'on cassera votre langage, »
Examinez cette oraison,
Elle pèche en la diction,
L'on n'y voit que de la rudesse
600 | Les mots en sont pleins de faiblesse. |
Et…
RODOGINE.
J'ai bien un autre souci,
Et si vous me voyez ici,
Ce n'est que pour vous faire rendre
L'argent, que vous voulûtes prendre
605 | Alors que je vins en ces lieux |
Pour apprendre le Précieux :
Car enfin puisque ce langage
Doit être bientôt hors d'usage,
Il est raisonnable qu'enfin
610 | Vous me rendiez mon Saint-Crépin. [ 21 Saint Crépin : on appelle aussi Saint Crépin tous les outils du cordonnier. [F]] |
THEOCRITE, sans l'écouter.
Certes la langue Précieuse
Est une chose merveilleuse ;
Car enfin l'on parle de ceux
Qui savent parler Précieux,
615 | D'une si nouvelle manière… |
RODOGINE.
Ah ! Ce n'est pas là notre affaire,
Tout cela n'est ni beau, ni bon,
L'argent, fait notre question ;
Mais quoi donc ? Vous branlez la tête,
620 | Et vous n'avez pas la main preste |
À m'en avindre promptement. [ 22 v. 621 Le verbe advindre n'existe pas, il s'agit d'advenir.]
Ah ! Je m'en vais présentement,
Afin de vous être contraire
Plaider de la belle manière,
625 | Et me joindre dans mon courroux |
À ces Messieurs, qui de chez vous
Viennent de sortir tout à l'heure :
Car de leur valet, ou je meure,
J'ai su qu'un d'eux n'était ici
630 | Qu'afin de prendre le souci, |
De faire par toute la Terre
Une longue, et mortelle guerre
À toutes celles, et tous ceux
Qu'on prendra parlant Précieux.
Elle sort.
SCÈNE VIII.
THEOCRITE, seul.
635 | Ce divertissement est drôle, |
Et je joue assez bien mon rôle.
Ils sont pris pour dupes ma foi.
Voyant entrer Ergaste.
Mais que désirez-vous de moi !
SCÈNE IX.
Ergaste, Théocrite.
ERGASTE.
Je viens vous prier d'une grâce.
THEOCRITE.
640 | Il n'est rien pour vous qu'on ne fasse. |
Mais Monsieur, parlez s'il vous plaît !
ERGASTE.
Pour vous dire donc ce que c'est.
Je viens ici par ordre expresse
D'une incomparable Duchesse,
645 | Vous prier que de votre mieux |
Vous tourniez en vers Précieux,
Ce Madrigal là tout à l'heure.
THEOCRITE, à part ouvrant le Madrigal.
Que l'on voit de fous, où je meure,
Il n'importe pour leur argent,
650 | Paraissons à tous obligeant ; |
Mais dans une pareille affaire,
Il faut que le Dictionnaire
Que l'on a fait tout à propos,
Me fournisse beaucoup de mots,
Il lit.
MADRIGAL.
655 | L'autre jour, un Mari, tenant divers discours |
À sa femme, lui dit, au Cours. [ 23 Cours de la Reine : voie arbor?e qui longe la Seine ? l'ouest de la place de la Concorde de Paris. ]
Je vois que vous cherchez à faire des conquêtes,
Elle lui répondit sans y songer du tout,
Ah ! Ne paraissez plus si surpris que vous êtes ;
660 | Puis qu'enfin d'un mari les baisers sont sans goût. |
Lui contre elle, d'abord se mettant en colère
Comme a de coutume un jaloux,
Lui dit, sans hésiter d'un visage sévère,
Le Cours ne sera plus pour vous.
Après avoir lu, il dit.
665 | Dieux ! Que ces vers ont de faiblesse, |
Qu'on y voit même de rudesse,
Que les derniers sont peu pointus,
Vous ne les reconnaîtrez plus.
Alors qu'en langue Précieuse
670 | Par une version heureuse, |
Je les aurez mis,
ERGASTE.
Mot à mot.
THEOCRITE.
Non certes, je serais un sot
Si j'avais osé le promettre,
Puisque je ne les y puis mettre :
675 | À cinq ou six mots près, pourtant |
Ils seront faits dans un instant.
ERGASTE.
Mais…
THEOCRITE.
Mais la Précieuse langue,
Sans vous faire une longue harangue,
Et pour vous parler en ami,
680 | N'est encor faite qu'à demi. |
ERGASTE.
Mais l'on vend un Dictionnaire,
Qui la doit contenir entière.
THEOCRITE.
Il n'est pas mauvais, mais l'auteur,
En fait imprimer un meilleur.
685 | On y verra des Précieuses, |
Toutes les guerres périlleuses,
Ensemble les descriptions
De leurs plus grandes actions ;
L'on y verra leur poétique,
690 | L'on y verra leur politique, |
Leur cosmographie y sera,
Et de plus l'on y trouvera
Un grand narré, de leurs histoires,
Leurs conquêtes, et leurs victoires,
695 | Leurs origines, leurs progrès, |
Et par un discours fait exprès
L'on verra leur chronologie,
Et tout ce que l'astrologie,
Pendant leur règne prédit.
700 | De plus encore l'on m'a dit, |
Que les villes les plus fameuses
Du Royaume, des Précieuses,
Avec leurs coutumes et moeurs,
Leurs actions, et leurs humeurs,
705 | Y seront amplement décrites ; |
Et que celle dont les mérites
Éclatent jusques sur le front.
Leurs éloges y trouveront.
Outre cela leurs poésies,
710 | Un traité de leurs hérésies, |
Et leur géographie aussi,
S'y rencontreront, dieu merci ;
Avecque leur philosophie,
De leurs mots l'étymologie,
715 | Et cent histoires, que je crois |
Qui plairont fort en bonne foi.
Mais ce qu'il faut que chacun prise,
C'est qu'on y verra la devise
De celles qui par leur esprit
720 | Sont dans le Monde en grand crédit ? |
De plus, et c'est sans railleries,
L'on y verra leurs armoiries,
Et ceux qui savent le blason,
S'y divertiront tout de bon,
725 | Et pourront voir de cette sorte |
Ce que chacune d'elles porte.
ERGASTE.
Qu'on aura de contentement
À lire un livre si charmant.
THEOCRITE.
Ce livre sera d'importance
730 | Et les Précieuses de France, |
Aussitôt qu'elles le liront
Sans doute s'y reconnaîtront.
ERGASTE.
Bon Dieu ! Qu'on aura de quoi rire.
THEOCRITE.
Tellement, que l'on peut bien dire
735 | Que quand la clef on en aura |
Beaucoup, on s'y divertira.
ERGASTE.
Ah ! Je crois que chacun sans doute,
Ou par ma foi je n'y vois goutte,
Pour sa rate bien dilater
740 | Viendra promptement l'acheter. |
THEOCRITE.
Aux gens curieux il doit plaire
Mais retournons à notre affaire
Et voyons notre madrigal.
ERGASTE.
Ma foi nous ne ferons pas mal.
THEOCRITE.
745 | Ça prenez donc cette écritoire, |
J'ai quelques vers en ma mémoire,
Qu'en parlant à vous, j'ai trouvés
Je crains de les perdre, écrivez.
Attendez, que rien ne vous presse,
750 | Il faut un titre à cette pièce. |
Mettez ce titre spécieux.
Madrigal en vers Précieux.
C'est fait, continuez d'écrire,
Naguère un mari, dans l'empire……
755 | Ouais, je me suis embarrassé, |
Que ce vers là, soit effacé.
Un mar… non je rêve sans doute,
Rien que le premier vers ne coûte,
Et dés que je l'aurai trouvé
760 | Nous aurons bientôt achevé. |
Je le tiens sans doute, ou je meure,
Écrivez donc et tout à l'heure.
« L'autre jour un mari, causait
Avec sa femme, et lui disait
765 | Dedans l'empire des oeillades. » |
Que ces paroles sont mignardes ? [ 24 Mignard : Qui a une beauté délicate, qui a les traits doux et agréables. [F]]
Certes de semblables discours
Expriment tout à fait le Cours.
Dans ce lieu soit belle ou camarde, [ 25 Camard : Qui a le nez plat et écrasé. [L]]
770 | Chacun de son côté regarde. |
Et l'on voit chacun, accorder
Qu'on n'y va que pour regarder.
Il est donc, quoi qu'on puisse dire,
Bien dit des oeillades l'empire.
Il poursuit de dicter.
775 | « Je vois que vous cherchez à faire assauts d'appas, |
Elle sans songer dit, ne t'en étonne pas,
Car les baisers permis son fades.
............................
Lui d'abord, tout comme un Argus… »
780 | Mes discours seraient superflus |
Pour pouvoir ici vous d'écrire
Ce que ce mot d'Argus, veut dire ;
Puisqu'il est déjà su de tous
Qu'Argus, signifie un Jaloux,
785 | « Et sans aucune incertitude |
Lui dit, vous n'y reviendrez plus
Et contre elle d'abord poussa le dernier rude. »
Ces vers sont faits avec étude.
Je puis aisément le prouver,
790 | Puisqu'on ne peut jamais trouver |
De façon de parler plus claire,
Pour dire se mettre en colère.
Mais c'est fait, lisez.
ERGASTE.
Je le veux.
MADRIGAL EN VERS PRÉCIEUX.
L'autre jour un mari causait
795 | Avec sa femme, et lui disait |
Dedans l'empire des oeillades.
Je vois que vous cherchez à faire assauts d'appas.
Elle, sans songer dit, ne t'en étonne pas,
Car les baisers permis sont fades.
800 | Lui d'abord tout comme un Argus, |
Et sans aucune incertitude
Lui dit vous n'y reviendrez plus,
Et contre elle aussitôt poussa le dernier rude.
THEOCRITE.
Que ces vers ont de plénitude.
ERGASTE.
805 | Les derniers ont je ne sais quoi |
Qui n'est pas dans les miens.
THEOCRITE.
Je vois
Ce que par là vous voulez dire,
Et je m'en vais vous en instruire.
C'est qu'on y voit dessus la fin
810 | Par un tour délicat et fin, |
Sans qu'elle y paraisse forcée,
Une manière de pensée.
ERGASTE.
Vous avez raison en effet.
Pour moi j'en suis très satisfait
815 | Et la personne qui m'envoie, |
N'aura tantôt pas peu de joie
De voir ses vers selon ses voeux
Si bien tournés en Précieux.
En lui offrant de l'argent.
Mais Monsieur, s'il vous plaît de prendre.
THEOCRITE.
820 | Certes je ne puis m'en défendre |
Tant vous m'en priez de grand coeur.
ERGASTE.
Adieu jusqu'au revoir Monsieur.
SCÈNE X.
THEOCRITE, seul.
Bon Dieu ! Sans le Dictionnaire
Qu'on a fait et que l'on doit faire,
825 | J'étais ma foi pris comme un sot ? |
Car je ne sus jamais un mot
De cette langue que j'enseigne,
Mais il ne faut plus que je craigne,
Puis qu'avecque quatre grand mots
830 | L'on dupe souvent bien des sots ; |
Mais allons savoir si nos drôles
Ont joué comme moi leurs rôles,
Et si Monsieur, le député
À force ducats apporté.
SCÈNE XI.
Pancrace, Ribercour.
RIBERCOUR.
835 | Enfin notre affaire s'avance |
Au moins si j'en crois l'apparence,
Et le bonhomme bien et beau
A donné dedans le panneau,
Nous indiquant une demeure
840 | Où l'on trouverait tout à l'heure |
Des Précieuses de renom,
Tenant leur conversation ;
C'est pourquoi j'ose me promettre
Que sans doute on leur pourra mettre
845 | Ma requête bientôt en main, |
Et que devant qu'il soit demain
À ces superbes Précieuses,
Nous verrons faire les pleureuses.
PANCRACE.
Au moins, je vous puis assurer
850 | Et puis mêmement vous jurer, |
Que votre sergent, ou je meure,
Vous expédiera tout à l'heure ;
Car je connais cet homme-là
Et je l'ai choisi pour cela,
855 | Et maintenant je vous annonce |
Que vous aurez bientôt réponse,
Et qu'il aura fait son devoir.
RIBERCOUR.
Ah ! Je m'attends bien de savoir
Jusqu'à la moindre circonstance
860 | De cette affaire d'importance ; |
Car depuis l'un à l'autre bout
Roguespine, me dira tout.
C'est le plus curieux peut-être
Que le Ciel ait jamais vu naître
865 | Et qui soit, point je ne vous mens, |
Depuis Paris jusques au Mans.
Il doit suivre jusqu'à la porte
Le Sergent qui mon exploit porte ;
Mais je gagerais tout de bon
870 | Qu'il entrera dans la maison, |
Qu'il aura même l'assurance
D'y faire quelque connaissance,
Et que de tout ce qu'il verra
Aussitôt il s'enquerra.
PANCRACE.
875 | C'est sans doute bien le connaître |
Que de…
RIBERCOUR.
Mais je le vois paraître.
SCÈNE XII.
Ribercour, Roguespine, Pancrace.
RIBERCOUR.
Eh bien qu'as-tu vu ? Qu'as-tu fait ?
Dis nous donc es-tu satisfait ?
ROGUESPINE.
Ce que j'ai vu, que vous importe
880 | Une maison, où sur la porte |
L'on avait mis un écriteau.
RIBERCOUR.
Si je me jette sur ta peau
Je te ferai bien rendre compte…
ROGUESPINE.
Oh, oh ! Vous avez l'âme prompte ?
RIBERCOUR.
885 | Ah ! Coquin je t'estropierai. |
ROGUESPINE.
Nouferay Monsieur, nouferay,
Vous ne sauriez jamais pis faire.
RIBERCOUR, le battant.
Je veux pour t'apprendre à te taire…
ROGUESPINE.
Pourquoi diable tant s'emporter.
PANCRACE, retenant Ribercour.
890 | Arrêtez il va tout conter. |
ROGUESPINE.
Ouida, cela pourrait bien être,
Apprenez donc Monsieur, mon maître,
Que je parlais avec raison ;
Puisque dedans cette maison
895 | L'on ne voit plus de Précieuses, |
Et que ces races, et ces gueuses,
Par un endiablé de hasard
Logent maintenant autre-part.
RIBERCOUR.
Sans doute, quelqu'un tout à l'heure
900 | T'auras pu dire leur demeure. |
ROGUESPINE.
Il n'est point de gens de métier
Qui la sachent dans ce quartier,
D'autant que par un trait habille
Avant terme elles ont fait gille. [ 26 Gille : personnage du théâtre de la foire, le niais. Jouer les rôles de Gille, ou, elliptiquement, jouer les Gilles. Faire gille, loc. populaire qui signifie se retirer, s'enfuir (gille ne prend point de majuscule en ce sens). [L]]
905 | Mais je pense que l'on m'a dit, |
Oui c'était un homme d'esprit,
Et ses discours sont fort croyables
Que du Marais, aux Incurables [ 27 Marais : Le théâtre du Marais est un des lieux de représentations à Paris crée en 1634 par l'acteur Mondory. Il se situait rue Vieille du Temple dans l'actuel 3ème arrondissement.]
Elles n'avaient rien fait qu'un saut.
RIBERCOUR.
910 | Hélas ! Je suis pris comme il faut, |
Et toujours le sort m'est contraire
Quand je veux faire quelque affaire.
Peste…
ROGUESPINE.
Cessez de tant pester,
Et de plus vous inquiéter,
915 | Ce que je dis, n'est que pour rire |
Et je m'en vais tout vous redire,
RIBERCOUR.
Quoi maraud…
ROGUESPINE.
Cessez vos clameurs,
Puis qu'enfin les vieux serviteurs
Ont toujours quelque privilège.
RIBERCOUR.
920 | Tu m'as fait donner dans le piège. |
Mais…
ROGUESPINE.
Mais écoutez à loisir,
Puisque selon votre désir
J'ai réussi dans votre affaire.
PANCRACE.
Écoutons, sans plus le distraire.
ROGUESPINE.
925 | Avecque Monsieur le Sergent |
Homme, tout à fait diligent,
Quand je vous quitté, nous allâmes
Tout droit au Marais, et trouvâmes
La rue assez facilement
930 | Dans laquelle est le logement |
Des babillardes Précieuses,
Qui sans doute ne sont pas gueuses.
Un vénérable savetier,
Qui loge en ce noble quartier,
935 | D'une façon toute civile |
Nous indiqua leur domicile,
Quoi qu'enfin, par un heureux cas,
Nous n'en fussions qu'à quatre pas.
À la porte, là nous heurtâmes
940 | Et le heurtoir que nous trouvâmes |
Était de linge emmailloté.
La chose est rare en vérité,
Et de même qu'en ma mémoire,
Mérite une place en l'histoire,
945 | Elle est faite avecque raison, |
Car c'est une précaution
Dont bien souvent elles se servent
Et qu'entre-elles, elles observent,
Pour que, leur conversation
950 | N'ait jamais d'interruption. |
Il vint à la susdite porte,
Une cale, ou laquais, n'importe
Qui nous ouvrît civilement.
Nous sans un long raisonnement
955 | A l'instant même nous entrâmes |
Et puis après nous le priâmes,
Que sa maîtresse, put savoir
Que nous désirions fort la voir.
Droit à la porte de sa chambre,
960 | Où l'on sentait le musc et l'ambre |
Le susdit laquais nous mena,
Puis après il s'en retourna
Nous quérir certaine suivante,
Que je trouvai fort obligeante,
965 | Laquelle, je ne sais pourquoi, |
Commune, il nomma devant moi ; [ 28 Commune en précieux veut dire suivante. [NdA]]
Cette fille, je la crois telle,
Vêtue, en jeune Damoiselle,
Après deux mille questions
970 | Sans les interrogations, |
Allait avec grande vitesse
Dans la chambre de sa maîtresse,
Afin de la faire venir
Pour pouvoir nous entretenir :
975 | Lorsque de cette Précieuse, |
L'impatience merveilleuse
Fut cause qu'on nous fit entrer.
Notre sergent sans différer
Voyant cette femme savante
980 | D'abord, votre exploit lui présente. |
Pendant le temps qu'elle le lut,
Et qui certes un longtemps fut,
Sans y trembler en aucun membre,
Je considérai fort la chambre
985 | Dans laquelle à loisir je vis |
Des Précieuses de Paris,
Une longue et nombreuse bande.
RIBERCOUR.
Et ta joie alors fut bien grande
D'être entré si heureusement ;
990 | Mais faits nous le dénombrement |
De ce que dedans cette chambre,
Qui sentait tant le musc et l'ambre,
Tu vis de beau, de surprenant.
ROGUESPINE.
Vous l'allez savoir, maintenant.
995 | Car je commence et sans encombre. |
Cette chambre était assez sombre,
Le grand jour, n'y pouvant entrer
A cause qu'elles font tirer
Pour l'empêcher de trop paraître
1000 | Des rideaux, devant la fenestre |
Sachant, que la grande clarté
Efface un peu de la beauté.
J'y remarqué de plus, en suite
Quoi que la chambre, fut petite,
1005 | Que depuis la porte on voyait |
Un paravent qui s'étendait
Jusqu'au près de la cheminée.
Pour répondre à ma destinée,
Qui m'avait fait heureusement
1010 | Entrer dans cet appartement ; |
De ladite chambre le reste
Sincèrement je le proteste,
Je n'examine nullement
Pour ne pas perdre le moment
1015 | Que j'avais de lorgner ces belles, |
Dedans l'une de leurs ruelles.
Seize environ elles étaient,
De plus toutes elles avaient
Au moins, ne s'en fallait-il guère,
1020 | Assis sur leurs manteaux par terre |
Paraissant fort humiliés,
Un homme, chacun à leurs pieds,
Sans ceux qui très fort à leur aise
Étaient assis dans une chaise,
1025 | Et faisaient peu les courtisans. |
Elles avaient tant de rubans,
Que je dis, sans dire sornettes,
Que comme mulets de sonnettes
Elles étaient, et croyez moi,
1030 | Toutes chargées, par ma foi. |
La plupart encore d'entre-elles
Soit des laides, ou soit des belles,
Tenaient avec un air badin,
Chacune une canne à la main,
1035 | La faisant brandiller sans cesse, |
Et sans mentir je vous confesse
Que je n'osais ouvrir le bec
Et que j'allais mourir illec, [ 29 Illec : Vieux mot qui signifiait autrefois En ce lieu-là. Il est hors d'usage [au XVIIème]. [F]]
Tant de peur j'avais l'âme émue,
1040 | Si je n'eus point jeté la vue |
Dessus le sergent, qui d'abord
Parût me rassurer bien fort.
Mais sans vous parler davantage
Du sergent, ni de mon courage,
1045 | De peur de paraître poltron, |
Reprenons la description.
Beaucoup sans attendre aux Dimanches,
Avaient mis des coiffures blanches
Qui toutes en pointe étaient.
1050 | Beaucoup d'autres, encore avaient |
Des coiffures, à la paysanne,
Et non pas à la courtisane ;
Si depuis un temps à la Cour
La mode n'a joué son tour.
1055 | Celles qui restaient… Ah ! Sans rire, |
Je ne sais si je le puis dire,
Avaient tout au tour du museau
De toile jaune, un grand morceau
Si gras, que sans être prophète,
1060 | On l'eut pris pour une omelette. |
Si je ne me trompe voila
Comme ces Précieuses-là,
Qui ma foi, sont assez jolies
Étaient par la tête bâties.
1065 | Or voyons tout présentement |
Comme était leur habillement.
Les unes, sans que je vous mente,
Avaient une très longue fente
À leurs habits, cela s'entend,
1070 | Et qui se rejoignait pourtant |
Par des galants, que devant elles, [ 30 Galand : Anciennement. Ruban noué, noeud de rubans. [L]]
Avaient fait attacher ces belles.
Je puis dire que ces habits
Étaient faits de fort beaux tabis, [ 31 Tabis : Étoffe de soie unie et ondée, passée à la calandre sous un cylindre qui imprime sur l'étoffe les inégalités onduleuses gravées sur le cylindre même. [L]]
1075 | Et d'autres étoffes très rares : |
Ces habits sont nommés simarres, [ 32 Simarre : Habillement long et traînant dont les femmes se servaient autrefois. Ce mot se dit encore présentement [XVIIème] d'une espèce de robe de chambre que les prélats, et les magistrats mettent quelquefois par dessus la soutane. [F]]
D'autres avaient des juste-au-corps
Et d'autres avaient par le corps,
Des robes tout au tour plissées, [ 33 Des manteaux dont se servent les femmes grosses. [NdA]]
1080 | Parce qu'elles sont plus aisées. |
Ceux qui s'y fort humiliés
Étaient abaissés à leurs pieds
Et montraient un coeur plein de flambes, [ 34 Flambe : Vieux mot, qui signifiait autrefois la flemme du feu. Il est hors du bel usage [au XVIIème]. [F]]
N'avaient point presque tous de jambes,
1085 | Du moins, ne les voyait-on pas |
Tant le rond, et grand embarras
De leurs canons à tous étages [ 35 Canon : Est aussi une ornement de toile rond fort large, et souvent rné de dentelle qu'on attache au dessous du genou, qui pend jusqu'à la moitié de la jambe pour le couvrir : ce qui était il y a quelque temps fort à la mode ; c'est dont Molière se raille. [F]]
À leurs jambes faisait d'ombrages.
Leur estomac assurément,
1090 | Et leurs épaules mêmement |
Étaient j'en ose jurer certes,
De grands cheveux toutes couvertes
Et pour avoir plus de beauté
Leur visage était moucheté.
1095 | Ils avaient selon leurs coutumes |
Des chapeaux, tous chargés de plumes,
Et des rabats tout à fait beaux [ 36 Rabat : Pièce de toile que les hommes mettent autour du collet de leur pourpoint, tant pour l'ornement que pour le propreté. [F]]
Qui jusqu'à l'épine du dos
Descendaient à tous par derrière ;
1100 | Et j'appris de la chambrière, |
Qui dans la chambre, en ce moment
Se trouva fortuitement,
Qu'ils étaient, non Anabaptistes, [ 37 Anabaptiste : Sectaire ; C'est un nom formé de leurs erreurs touchant au Baptême. Ils tiennent qu'il fait rebaptiser les enfants quand ils sont en âge de raison. Cette secte a fait beaucoup de bruit et de ravages en Allemagne dans le derniers siècle (1500) surtout en Westphalie. [F]]
Mais bien des galants Alcovistes [ 38 Alcoviste : Nom donné chez les précieuses à celui qui remplissait l'office de chevalier servant, et qui les aidait à faire les honneurs de leur maison et à diriger la conversation ; ainsi dit de l'alcôve contenant la ruelle où les précieuses recevaient. [L]]
1105 | Ou bien pour vous l'expliquer mieux, |
Des galants, nommés Précieux.
Je fus encor instruit d'icelle,
Je la crois pourtant Damoiselle ;
Mais cela vous importe peu,
1110 | Pourquoi ceux qui dedans ce lieu |
Comme j'ai dit, très à leur aise
Étaient chacun dans une chaise,
Avaient tous les yeux fort battus,
De plus étaient de noir vêtus,
1115 | Avaient la mine rechignée, [ 39 Rechigné : Qui a l'air maussade. [L]] |
Avaient la tête mal peignée,
Avaient de si petits rabats,
Qu'on ne les voyait presque pas,
Et dont la toile telle quelle,
1120 | N'avait point du tout de dentelle. |
Auteurs, elle les appela
Et me dit, que comme cela
D'une sérieuse manière
Ils s'habillaient tous d'ordinaire,
1125 | Pour pouvoir avec équité |
Mieux soutenir la gravité,
La beauté, le crédit, le lustre,
De leur profession illustre.
Je sus d'elle encore de plus
1130 | En discours, non pas ambigus, |
Que quand pour chercher un bon terme
Ils étudiaient de pied ferme
Et que leurs têtes ils grattaient
Leurs cheveux souvent se mêlaient,
1135 | Et c'est pour cela que les poètes, |
Qui bien souvent sont les Prophètes,
Et que sans droit vous dédaignez,
Paraissent souvent mal peignés.
Voila le récit très fidèle
1140 | De tout ce que m'apprit la belle. |
RIBERCOUR.
Je trouve qu'en voila beaucoup.
PANCRACE.
C'est très bien pour le premier coup.
RIBERCOUR.
Et tant que j'ai peine à le croire.
ROGUESPINE.
Mais attendez, si ma mémoire
1145 | Pouvait un peu me revenir, |
Je pourrais vous entretenir
Encor de quelque circonstance
Qu'elle m'a dit et que je pense
Avoir oubliée, ah ! Vraimy
1150 | Je m'en ressouviens à demi. |
Oui c'est sans tarder davantage
Qu'elle divisa par étage
Tous les auteurs, illec présents,
Si mornes et si suffisants.
1155 | Les uns font en vers héroïques |
Des poèmes qu'on appelle épiques
Et de ces livres si charmants
Que nous appelons des romans.
Les autres, sans être des Comtes,
1160 | Se mettent de faire des Contes |
Pour rire, je l'entends ainsi,
Et d'y bien réussir aussi.
Un seul d'entre-eux ai-je ouï dire,
Se pique d'y bien faire rire,
1165 | Et je crois que c'est un abbé, |
Dont le nom commence par B. [ 40 L'Abbé B. est difficile à identifier : Bensérade, Boileau, Boirosbert, Boursault (...) qui ne sont pas tous abbés ?]
Les derniers font des comédies,
Des madrigaux, des élégies
Des chansons, sonnets, et portraits
1170 | Dessus de différents sujets. |
J'en aurais appris davantage ;
Mais le sergent, de quoi j'enrage,
Sortit dans ce même moment
Et je le suivis promptement.
RIBERCOUR.
1175 | Ce discours a de quoi nous plaire. |
Mais ce n'est pas là notre affaire
Dis nous ! Si d'un air fier ou non,
Elle a vu l'assignation.
ROGUESPINE.
Dés aussitôt qu'elle l'a vue,
1180 | Elle l'a prise et puis l'a lue, |
Et dit fort sérieusement
Qu'elle s'y rendrait promptement.
RIBERCOUR.
Elle y montrera sa faiblesse.
PANCRACE.
Allons vite, l'heure nous presse.
RIBERCOUR.
1185 | Allons Monsieur, j'en suis d'accord, |
Voir ce qu'ordonnera le sort.
SCÈNE XIII.
ROGUESPINE, seul.
Dieux ! Qu'ils ont le jugement mince ;
J'ai su dedans notre province
La moitié de ce que je dis ;
1190 | Que je les ai bien étourdis : |
Mais allons ouïr leurs harangues, [ 41 Harangue : Discours qu'un orateur fait en public. Se dit aussi ne mauvaise part, des discours trop longs, fréquents et ennuyeux, ou de ceux qui contiennent quelque réprimande, quelque reproche. [F]]
Allons voir remuer leurs langues ;
Car j'en jurerais bien ma foi,
Ce doit être un plaisir de Roi.
On lève une toile, les Juges paraissent avec un greffier.
SCÈNE XIV.
Patrice, Anaxarite, Aristime.
Un Greffier.
PATRICE.
1195 | Enfin nous voici tantôt Juges. |
ARISTIME.
Nous pourrons servir de refuges
À ceux qui n'ont besoin de rien.
ANAXARITE.
Mais encore savez-vous bien
Si notre homme ici se doit rendre
1200 | Et s'il ne fera point attendre. |
PATRICE.
Il viendra, car je lui dis hier
Aussitôt qu'il me vint prier
De lui répondre sa requête ;
Que l'Académie était prête
1205 | De lui servir en tout d'appui, |
Et que de son corps aujourd'hui
Elle en choisirait trois ou quatre
Qui viendraient l'entendre combattre
À force de raisonnement
1210 | Sa partie, et qu'assurément |
Il aurait l'honneur, et la gloire
D'emporter une ample victoire.
ARISTIME.
Attendons-le donc à loisir,
Puisque nous aurons un plaisir
1215 | Qui certes, n'est pas ordinaire. |
Mais quelqu'un vient, il nous faut taire.
ANAXARITE.
C'est déjà notre Député.
PATRICE.
Tenons donc notre gravité.
SCÈNE XV.
Patrice, Anaxarite, Aristime, Un Greffier, Ribercour, Pancrace, Roguespine.
RIBERCOUR.
Messieurs, j'en veux aux Précieuses,
1220 | À ces femmes pernicieuses, |
Qui troublent le repos public,
Qui causent dedans le trafic
Par des mots, inintelligibles,
Des révolutions terribles,
1225 | Et je demande là-dessus |
Que leur langage ne soit plus
Aux mêmes fins de ma Requête.
Quoi ! Personne ne me tient tête.
Ah ! Messieurs n'étant point ici
1230 | Jugez s'il vous plaît. |
PATRICE.
Les voici.
SCÈNE XVI.
Patrice, Anaxarite, Aristime, Un Greffier, Ribercour, Pancrace, Epicarie, Roguespine, Une Suivante.
RIBERCOUR.
Approchez-vous belle jaseuse,
Vraiment pour une Précieuse,
Vous ne vous pressez pas trop fort.
EPICARIE.
C'est signe que je n'ai pas tort.
RIBERCOUR.
1235 | Ah ! Sans chercher tant de finesses |
C'est que vous faisiez voir vos pièces
Sans doute, à quelque homme savant.
EPICARIE.
Peut-être !
RIBERCOUR.
Et bien dorénavant
Du procès verra-t-on l'issue ?
EPICARIE.
1240 | Pour le finir je suis venue. |
RIBERCOUR.
Dans votre consultation
Faite dessus mon action,
Aviez-vous vos pièces en ordre !
EPICARIE.
Assez pour sûr vous pouvoir mordre ?
RIBERCOUR.
1245 | Avez-vous ? Consulté souvent….. |
EPICARIE.
Vous voulez être trop savant.
Mais pour mieux pousser sa partie,
Pour la rendre sans répartie
Tout du moins je crois qu'il faudrait…
RIBERCOUR.
1250 | Quoi ! Vous montrer que j'ai bon droit. |
EPICARIE.
Ne l'ayant pas pu voir encore,
Vous voulez bien que je l'ignore.
RIBERCOUR.
Bien, bien, nous vous le montrerons,
Puis après cela nous verrons
1255 | Lequel des deux perdra sa cause. |
EPICARIE.
Je crains, mais c'est pour autre chose.
ARISTIME.
Cessez ce débat entre vous,
Il faut du respect devant nous.
Pensez bien à ce que vous faites
1260 | Et songez aux lieux où vous êtes. |
PATRICE.
Cessez donc la vexation,
Nous faisant exhibition
Chacun à part de votre cause.
RIBERCOUR.
Messieurs, je vous dirai, si j'ose
1265 | Que j'ai droit de la chicaner, |
Que vous la devez condamner ;
Puisque mes pièces qu'on a vues
Ont paru tout à fait congrues,
Mon procès fort bien intenté,
1270 | Et que c'est une vérité |
Que le droit que quoi je me fonde
Passe pour le meilleur du monde.
C'est ce qui fait qu'enfin je crois
Que ma partie en désarroi
1275 | Considérant toutes ces choses, |
Plus vraies que Métamorphoses,
Sans attendre à l'extrémité
Se rangera de mon côté ;
Puis qu'enfin toutes ses défenses
1280 | Étant de nulles conséquences |
J'aurais de vous assurément
Un favorable jugement
Et celui que je sollicite
Contre cette langue maudite,
1285 | Ou Messieurs, pour m'expliquer mieux |
Contre le parler Précieux,
Qui s'y bientôt, l'on n'y met ordre
Va faire un terrible désordre.
EPICARIE.
Messieurs, je m'en vais en deux mots
1290 | Mettre son esprit en repos, |
Faites qu'on me donne audience.
PATRICE.
Non, l'affaire est trop d'importance,
Il faut l'entendre tout du long.
EPICARIE.
Mais au moins Messieurs, songez donc
1295 | Que bon droit vous me devez faire. |
PATRICE.
Nous examinerons l'affaire.
Mais parlez, nous vous écoutons.
RIBERCOUR.
Pour vous déduire mes raisons
Sans vous faire une longue harangue
1300 | Je dis Messieurs, que notre langue |
Se trouve en un piteux état
Depuis le surprenant éclat
Qu'a fait celle des Précieuses.
Dans les Cités les plus fameuses,
1305 | Pour s'entendre présentement |
Il faut avoir un truchement,
Ou le nouveau Dictionnaire,
Que ces femmes viennent de faire.
Quelle conclusion pour nous,
1310 | Ah ! Messieurs, à quoi songez-vous ; |
Les femmes, oui Messieurs les femmes,
Nous couvrent aujourd'hui de blâmes
Et viennent de faire en effet
Ce que jamais vous n'avez fait
1315 | Au moins, si ce n'est en idée ; |
Pour notre bien par trop gardée,
Mais pour leur réputation
Par un beau désir de renom,
Elles ont un Dictionnaire
1320 | Tout fraîchement mis en lumière, |
Auquel chacun court comme au feu,
Et nous en promettent dans peu
De leur façon encore un autre :
Cependant hélas ! Que le vôtre
1325 | Depuis si longtemps commencé, |
N'en est pourtant encor qu'au C.
Ah ! Je vois bien que c'est l'ouvrage
De Penelopes, et je gage
Que dans ce livre l'Omega,
1330 | Jamais place ne trouvera. |
De plus j'ose vous dire encore
Que si ce parler que j'abhorre
Et que l'on nomme Précieux,
S'enracine dans tous les lieux
1335 | Où l'on sait qu'il a pris naissance |
Vous devez Messieurs, que je pense,
Et vous agirez comme il faut,
À l'Alpha remettre bientôt
Votre fameux Dictionnaire
1340 | Que vous commençâtes de faire |
En l'an deux cent cinquante-deux [ 42 v. 1336-1345, sans soute allusion à la lenteurs de l'élaboration du dictionnaire de l'Académie française.]
Et qui devait selon nos voeux,
Et selon notre juste attente,
Dedans l'an mil six cens quarante
1345 | Être dans sa perfection. |
Songez donc Messieurs, tout de bon
À me faire bonne justice
Me donnant un arrêt propice ;
Mais j'ai tort de vous y pousser
1350 | Ne devez-vous pas embrasser ? [ 43 v. 1350, dans l'édition originale, le point d'interrogation est entre PAS et EMBRASSER.] |
Ô Sénat mille fois auguste,
Un intérêt si grand, si juste,
Et qui par mon heureux destin
N'est autre que le vôtre enfin.
1355 | Cependant si ces factieuses, |
Ces hérétiques Précieuses,
Parlent encore ce jargon,
La Tour de Babel tout de bon,
Dans ce siècle va renaître
1360 | Et dans la France, va paraître, |
Malheur plus à craindre cent fois
Pour les nobles, pour les bourgeois,
(Mais non pas pour les éminences)
Que les maudites influences
1365 | Du Capricorne. Néanmoins |
Si vous n'y mettez tous vos soins,
Le désordre s'en va paraître
Que la susdite Tour fit naître
Alors que l'on la bâtissait.
1370 | Cependant hélas ! Ce n'était |
Que la quantité des langages
Qui causa de si grands ravages,
Qui fit diviser les mortels,
Qui fit piller jusqu'aux autels,
1375 | Bref qui parmi toute la Terre, |
Fît naître pour jamais la guerre.
Je vous adresse donc mes voeux
Messieurs, pour que le Précieux,
Afin qu'en cette conjoincture [ 44 Conjoincture : barbarisme pour conjecture. ]
1380 | J'empêche pareille aventure, |
Soit cassé, brisé, mis à mort
Dans les lieux de votre ressort
Comme étant fatal au commerce,
Que partout il trouble et renverse,
1385 | Et qu'expresse inhibition |
Soit faite par provision
À tout le corps des Précieuses,
Des inventrices périlleuses
Des mots, qui par leur nouveauté
1390 | Troublent notre félicité, |
De ne s'en plus servir, à peine
De ne jamais lire Artamene,
Ni même aucun autre roman ;
Ou pour un plus dur châtiment
1395 | Que le lit, desdites femelles, |
Soit des deux côtés sans ruelles
Et qu'il soit mêmement placé
Sans être du tout exaucé.
ROGUESPINE, à part.
Peste il a retenu sans peine
1400 | Tout ce qu'un avocat du Maine, |
Lui dit, avant que de partir.
PATRICE, à Epicarie.
Avez-vous de quoi repartir ?
EPICARIE.
Oui je suis prête de répondre
Et mêmement de le confondre,
1405 | Et sans parler hors de propos |
Je m'en vais Messieurs, en deux mots,
Afin de défendre ma cause
Donner dans le vrai de la chose.
RIBERCOUR.
Ah ! Quelle perturbation
1410 | Voyez son obstination, |
Voyez avec quelle assurance,
Avec quel front, quelle insolence,
Elle ose jusques dans ces lieux
Parler devant vous Précieux.
ANAXARITE.
1415 | N'interrompez point sa harangue, |
Et que devant nous votre langue
Se tienne un peu plus en repos.
EPICARIE.
Je dis donc, Messieurs, en deux mots
Qu'il n'a rien dit de pathétique
1420 | Qu'on ne voit rien de plus inique |
Rien même, qui selon mon sens,
Soit plus contre le droit des gens
Que de vouloir ôter aux femmes,
La langue, puisqu'enfin sans âmes
1425 | Elles vivraient assurément |
Plutôt que sans langue un moment.
L'on sait de science certaine
Que c'est là leur vrai patrimoine,
Que pour en amoindrir les droits
1430 | L'on n'a point encor fait de lois |
Dedans villages, bourgs, ni villes,
Puisqu'elles seraient inutiles.
Cette seule raison pourrait
Prouver suffisamment mon droit ;
1435 | Mais je ne puis encor me taire |
Et je poursuis. Sa cause entière
S'étend sur les troubles passés
Dont il nous croit fort menacés,
Par la confusion des langues.
ROGUESPINE, à part.
1440 | Elle fait fort bien des harangues. |
EPICARIE, poursuit.
Comme si Paris maintenant
Craignait quelque mal surprenant,
Parce qu'a présent l'on y parle
Comme on fait au Maine, et dans Arles,
1445 | Et qu'on y parle aussi Gascon, |
Normand, Bas-Breton, Bourguignon,
Hollandais, et de plus encore,
Italien, Grec, Latin, More,
Espagnol, Polonais, Flamand,
1450 | Persan, Turc, Hébreux, Allemand, |
Picard, Chaldéen ; pour le reste
J'en dis et cetera.
ROGUESPINE, à part.
La peste,
Elle en a bien dit à la fois,
Quoi qu'elle ait oublié l'Anglais.
EPICARIE, continue.
1455 | Je crois Messieurs, par cet exemple |
Aussi puissant comme il est ample,
Avoir prouvé suffisamment
Et même intelligiblement,
Que la quantité de langages
1460 | Ne saurait causer de dommages |
À Paris, ni dans d'autres lieux :
Reste à voir si le Précieux,
Qui maintenant est en usage
Est un bon, ou mauvais langage.
1465 | Or si nous prétendons le voir |
Il faut auparavant savoir,
De quels gens il a pris naissance.
RIBERCOUR, à part.
Juste Dieux qu'entends-je, je pense
Qu'ici je ne gagnerai rien
1470 | Tant cette femme jase bien. |
EPICARIE, continue.
Il naquit l'an six cens cinquante,
Et de chacun trompa l'attente ;
Car j'ai de notables témoins
Que l'on ne songeait à rien moins.
1475 | Des femmes, enfin l'enfantèrent |
Et trente-neuf ans, le portèrent ;
Mais voyez quelles elles sont,
Quel est le renom qu'elles ont.
Elles ressemblent aux abeilles
1480 | Hormis que c'est par les oreilles |
Qu'elles ont pendant tout le temps
Des sus-notés trente-neuf ans,
Succès tous les discours des poètes,
Des cervelles les plus parfaites,
1485 | De tous ceux qui par leur esprits |
Sont dans le Monde en grand crédit,
Des plus galants portes soutanes,
Des courtisans, des courtisanes,
Des gens d'épée, et de barreau.
ROGUESPINE, à part.
1490 | Elle n'a rien dit du bourreau. |
EPICARIE, continue.
Des Messieurs de l'Académie,
De qui la gloire est infinie,
Et dont vous êtes aujourd'hui
Afin de me servir d'appui ;
1495 | Jugez donc Messieurs, si ces femmes ; |
Si ces belles et grandes âmes,
Après avoir le suc tiré
Et tout le jus bien pressuré
De maint illustre personnage
1500 | Ne pouvaient pas faire un langage |
Et si loin de les condamner
Vous ne devez pas ordonner
Que Ribercour, quoi qu'il demande,
Quoique contre nous il prétende,
1505 | Soit et sans prorogation |
Débouté de son action,
Comme étant frivole et inepte.
Les Juges opinent.
ROGUESPINE.
Écoute un peu jeune soubrette. [ 45 Soubrette : Terme de théâtre. Suivante de comédie. [L]]
LA SUIVANTE.
Qu'est-ce ?
ROGUESPINE.
Ma foi, plaidons nous deux,
1510 | Car je me trouve assez joyeux |
Et même en état de te faire
Pour ne point traîner notre affaire
Déjà communication
De…
LA SUIVANTE.
Moi, pour changer l'action
1515 | J'insinuerais bien sur ta joue |
Un soufflet. [ 46 Soufflet : est aussi un coup donné à plat ou du revers de la main sur la joue. [F]]
ROGUESPINE.
Va c'est que je joue,
Mais pourtant si nous nous plaidions
Si tous deux nous nous chamaillions
Il vaudrait ma foi mieux je pense
1520 | Pour obvier à la dépense [ 47 Obvier : Prévenir un mal, un inconvénient. [L]] |
Grossoyer ensemble à loisir [ 49 Grosse : Se dit également de certaines écritures dont les unes sont des copies et les autres des originaux. Pour les procès-verbaux, la grosse est la copie ; pour les requêtes, elle est l'original. [L]] [ 48 Grossoyer : Faire la grosse d'un acte. [L]]
Nos pièces, peste quel plaisir.
PATRICE, prononce.
Ouï le différend des parties,
Leurs défenses et réparties
1525 | Nous ordonnons selon vos voeux |
Que le langage Précieux,
Par arrêt célèbre, authentique
Et de plus encor juridique,
Soit cassé, brisé, mis à mort
1530 | Dans les lieux de notre ressort : |
Faisons même en cette séance
Aux Précieuses de la France,
Très expresse inhibition,
De ne plus parler ce jargon,
1535 | Ni de s'en plus servir à peine |
De ne jamais lire Artamène,
Ni même aucun autre roman,
Ou pour un plus dur châtiment
Que le lit, desdites femelles
1540 | Soit des deux côtés sans ruelles, |
Et qu'il soit mêmement placé
Sans être du tout exaucé.
Le Siège se lève.
RIBERCOUR.
Enfin je suis couvert de gloire,
Car j'ai remporté la victoire.
PANCRACE.
1545 | Vous devez être fort joyeux |
D'avoir détruit le Précieux,
Et d'avoir pu dessus tant d'âmes
Sur tant d'opiniâtres femmes
Remporté le dessus.
EPICARIE.
Donnant une lettre à Ribercour.
Tout doux
1550 | Peut-être aurez vous le dessous, |
Et ceci me fera justice
En dépit de Monsieur Patrice,
Elle sort avec sa suivante.
Qui sans trop bien savoir pourquoi
Vient de prononcer contre moi.
RIBERCOUR.
Prend la lettre et lit.
Cher ami,
Je te conseille de laisser là ton procès, et de revenir dans notre Province, car j'ai appris depuis que tu en es parti que c'est un tour que l'on t'a joué, et que ceux de ce pays qui t'ont envoyé s'entendent avec trois ou quatre personnes de Paris, qui doivent contrefaire les Juges, et les Précieuses, pour se divertir de toi, je te donne cet avis ; et suis, Ton Serviteur, Fontenay.
Ribercour continue.
1555 | Quoi l'on m'a joué de la sorte |
Cher ami, le courroux m'emporte,
Par la mort, je m'en vengerai.
ROGUESPINE.
Et moi, par ma foi, j'en rirai.
RIBERCOUR.
Mais celui qui ceci m'avance
1560 | N'est-il point de l'intelligence. |
PANCRACE.
Peut-être, mais je vois enfin
Que vous n'êtes pas le plus fin,
Que ce n'est que vous qu'on ballotte
Et qu'on fait servir de marotte. [ 50 Marotte : Ce que les fous portent à la main pour les faire reconnaître. C'est un bâton duquel il y a une petite figure ridicule en forme de marionnette coiffée d'un bonnet de différentes couleurs. [F]]
RIBERCOUR.
1565 | Cependant à des gens d'honneur |
Cet affront doit tenir à coeur ;
Mais je saurai je vous le jure,
Tirer raison de cette injure,
Et vais…
ROGUESPINE.
En poste vitement
1570 | Regagner le pays du Mans, |
Car je crois qu'on vous y prépare
Une entrée tout à fait rare,
Et qui doit répondre au succès
D'un si favorable procès.
PRIVILÈGE DU ROI.
LOUIS par la grâce de Dieu, Roi de France, et de Navarre ; à nos amés et féaux conseillers le sgens tenants nos Cours de Parlement, Prévôt de Paris ou son lieutenant, et à tous autres nos Officiers qu'il appartiendra. Salut notre bien amé, Anthoine Baudeau Sieur de Somaize, nous a fait remontrer qu'il a composé le Procès des précieuses, qu'il désirerait faire imprimer, et lettre en public, s'il nous plaisait lui vouloir permettre ; Et par ce que 'autres personnes pourraient aussi faire imprimer le Procès sans son consentement, et par ce moyen le frustrer de son travail et des frais qui lui convient faire à son préjudice, il nous a fait supplier lui vouloir sur ce pourvoir des nos lettres nécessaires. À CES CAUSES désirant favorablement traiter l'exposant. Nous lui avons permis et permettons par les présentes, de la faire imprimer, vendre et distribuer en tels volumes et caractères que bon lui semblera, pendant le temps de cinq années ; faisant cependant inhibitions et défenses à tous imprimeurs, libraires et autres personnes que ce soit, de faire imprimer, vendre et distribuer le dit Procès sous prétexte d'augmentation, ni même servir des mots contenus en icelui sans le consentement dudit exposant, ou ceux qui auront droit de lui, à peine de quinze cents livres d'amende, moitié applicable au Grand Hôpital, et l'autre à son profit ; à la charge de mettre deux exemplaires desdites oeuvres en notre bibliothèque publique, une autre en celle du Louvre, et ne en celle de notre très cher et féal Chevalier et Commandeur de nos ordres de Sieur Séguier Chancellier de France. Si vous mandons et ordonnons à chacun de vous registrer les présentes, et de leur contenu jouir ey user ledit exposant pleinement et paisiblement : Et au premier notre Huissier ou sergent faire pour l'exécution des présentes tous exploits requis et nécessaires, sans demander autre congé ni permission : CAR tel est notre plaisir. DONNÉ à Paris le troisième jour de Mars l'an de grâce mille six cent soixante. Et de notre règne le dis-septième. Par le Roi en son conseil. COUPEAU.
Et ledit Sieur Somaise a cédé et transporté son privilège à Jean Ribou, Jean guignard, Etienne Loyson, marchands libraires à Paris, selon l'accord fait entre eux.
Registré sur le livre de la Communauté le 8 avril 1660. Suivant l'Arrêt du Parlement en date du 9 avril 1653. Signé JOSSE.
Les Exemplaires ont été fournis.
Achevé d'imprimer le 12 juillet 1660.
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Notes
[1] Astrée : Dans la mythologie grecque, fille de Zeus et de Thémis avec qui elle représente la Justice. C'est aussi un roman fleuve inachevé d'Honoré d'Urfé paru de 1607 à 1633.
[2] Lourdaud : Personne lourde d'esprit et de corps. [L]
[3] Rustaud : Terme familier Qui tient du paysan, de la campagne. [L]
[4] Haut de chausses : en fait d´habit, on appelle haut-de-chausse la partie de l'habillement de l'homme qui est depuis la ceinture jusqu'aux genoux (...). [F]
[5] Juste au corps : Espèce de veste qui va jusqu'aux genoux, qui serre le corps, montre la taille, et qui a des poches tantôt plus hautes et tantôt plus basses, selon que la mode change. [F]
[6] v. 154, dans l'édition originale, on lit dont au lieu de donc.
[7] Mie : s'employait autrefois pour une particule négative. Il a demandé cette fille en mariage, mais il ne l'aura mie. [F]
[8] Petit-Bourbon : Ancine Hôtel du XIVème siècle, qui devint le lieu où se produisirent les comédiens Italiens et la troupe de Molière. Ce théâtre fut démolie le 11 octobre 1660.
[9] Paraguante : Présent qu'on fait par honnêteté à celui qui s'entremet pour nous faire faire quelque traité, quelque affaire qui nous procure de l'avantage.
[10] Altercat : Débat, constellation entre deux personnes qui ont ensemble de la familiarité. [F]
[11] Haridelle : Terme familier. Mauvais cheval maigre. [L]
[12] Ducat : Monnaie d'or fin dont la valeur varie de dix à douze francs, selon les pays ; il porte ordinairement d'un côté la tête du prince dans les États duquel il a été frappé, et de l'autre côté ses armes. [L]
[13] Truchement : Interprète nécessaire aux personnes qui parlent diverses langues pour se faire entendre les unes aux autres. [F]
[14] Artèmène : Roman précieux de Madeleine de Scudery publié entre 1649 et 1653.
[15] Écurer : Nettoyer la vaisselle, la batterie de cuisine. [F] Débarrasser de toute ordure. [L]
[16] Pinte : Vaisseau qui sert à mesurer les liqueurs, et quelquefois des choses sèches. Une pinte de vin, d'eau, d'huile. La pinte contient deux chopines, ou la moitié d'une quarte. La pinte de Paris est environ la sixième partie du congé Romain, et contient le poids de deux livres d'eau commune. [F]
[17] Drôle : Se dit d'un homme ou d'un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d'exciter quelque inquiétude, et sur lequel d'ailleurs on s'attribue quelque supériorité. [L]
[18] Niche : Malice que l'on fait à quelqu'un. (L]
[19] Ruelle : se dit aussi de l'espace qu'on laisse entre le lit et la muraille. Se dit aussi des alcôves, et en général les lieux parés où les dames reçoivent leurs visites, soit dans leurs lits, soit sur des sièges. [F]
[20] Emberliquoqué : mot valise composer avec emmberlificoter qui est un terme populaire qui signifie embarraser [L] et emberlucoquer qui est aussi un terme populaire (non précieux) : Se coiffer d'une opinion [F].
[21] Saint Crépin : on appelle aussi Saint Crépin tous les outils du cordonnier. [F]
[22] v. 621 Le verbe advindre n'existe pas, il s'agit d'advenir.
[23] Cours de la Reine : voie arborée qui longe la Seine à l'ouest de la place de la Concorde de Paris.
[24] Mignard : Qui a une beauté délicate, qui a les traits doux et agréables. [F]
[25] Camard : Qui a le nez plat et écrasé. [L]
[26] Gille : personnage du théâtre de la foire, le niais. Jouer les rôles de Gille, ou, elliptiquement, jouer les Gilles. Faire gille, loc. populaire qui signifie se retirer, s'enfuir (gille ne prend point de majuscule en ce sens). [L]
[27] Marais : Le théâtre du Marais est un des lieux de représentations à Paris crée en 1634 par l'acteur Mondory. Il se situait rue Vieille du Temple dans l'actuel 3ème arrondissement.
[28] Commune en précieux veut dire suivante. [NdA]
[29] Illec : Vieux mot qui signifiait autrefois En ce lieu-là. Il est hors d'usage [au XVIIème]. [F]
[30] Galand : Anciennement. Ruban noué, noeud de rubans. [L]
[31] Tabis : Étoffe de soie unie et ondée, passée à la calandre sous un cylindre qui imprime sur l'étoffe les inégalités onduleuses gravées sur le cylindre même. [L]
[32] Simarre : Habillement long et traînant dont les femmes se servaient autrefois. Ce mot se dit encore présentement [XVIIème] d'une espèce de robe de chambre que les prélats, et les magistrats mettent quelquefois par dessus la soutane. [F]
[33] Des manteaux dont se servent les femmes grosses. [NdA]
[34] Flambe : Vieux mot, qui signifiait autrefois la flemme du feu. Il est hors du bel usage [au XVIIème]. [F]
[35] Canon : Est aussi une ornement de toile rond fort large, et souvent rné de dentelle qu'on attache au dessous du genou, qui pend jusqu'à la moitié de la jambe pour le couvrir : ce qui était il y a quelque temps fort à la mode ; c'est dont Molière se raille. [F]
[36] Rabat : Pièce de toile que les hommes mettent autour du collet de leur pourpoint, tant pour l'ornement que pour le propreté. [F]
[37] Anabaptiste : Sectaire ; C'est un nom formé de leurs erreurs touchant au Baptême. Ils tiennent qu'il fait rebaptiser les enfants quand ils sont en âge de raison. Cette secte a fait beaucoup de bruit et de ravages en Allemagne dans le derniers siècle (1500) surtout en Westphalie. [F]
[38] Alcoviste : Nom donné chez les précieuses à celui qui remplissait l'office de chevalier servant, et qui les aidait à faire les honneurs de leur maison et à diriger la conversation ; ainsi dit de l'alcôve contenant la ruelle où les précieuses recevaient. [L]
[39] Rechigné : Qui a l'air maussade. [L]
[40] L'Abbé B. est difficile à identifier : Bensérade, Boileau, Boirosbert, Boursault (...) qui ne sont pas tous abbés ?
[41] Harangue : Discours qu'un orateur fait en public. Se dit aussi ne mauvaise part, des discours trop longs, fréquents et ennuyeux, ou de ceux qui contiennent quelque réprimande, quelque reproche. [F]
[42] v. 1336-1345, sans soute allusion à la lenteurs de l'élaboration du dictionnaire de l'Académie française.
[43] v. 1350, dans l'édition originale, le point d'interrogation est entre PAS et EMBRASSER.
[44] Conjoincture : barbarisme pour conjecture.
[45] Soubrette : Terme de théâtre. Suivante de comédie. [L]
[46] Soufflet : est aussi un coup donné à plat ou du revers de la main sur la joue. [F]
[47] Obvier : Prévenir un mal, un inconvénient. [L]
[48] Grossoyer : Faire la grosse d'un acte. [L]
[49] Grosse : Se dit également de certaines écritures dont les unes sont des copies et les autres des originaux. Pour les procès-verbaux, la grosse est la copie ; pour les requêtes, elle est l'original. [L]
[50] Marotte : Ce que les fous portent à la main pour les faire reconnaître. C'est un bâton duquel il y a une petite figure ridicule en forme de marionnette coiffée d'un bonnet de différentes couleurs. [F]