COMPLIMENT pour l'ouverture du Théâtre Italien, le 7 Avril 1750.

MERCURE DE FRANCE, 1750.


Texte établi par Paul FIEVRE, avril 2019.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:24:28.


PERSONNAGES

MONSIEUR MIRACLE.

LA MARQUISE.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

Extrait du Mercure de France, juin 1750, premier volume. pp 200-207.


COMPLIMENT DU 7 avri...

Ce Compliment, ainsi que celui qui se trouve dans le dernier Mercure, a été composé par M. Roy.

SCÈNE PREMIÈRE.
La Marquise, Monsieur Miracle.

MONSIEUR MIRACLE.

D'un comique pareil se peut-on affoler ?

LA MARQUISE.

À mes goûts passagers ne mettez point d'obstacle.

MONSIEUR MIRACLE.

Les miens qui m'ont mis au pinacle

Sont fixes, sont des lois. Voulez-vous exceller ?

5   Êtes-vous mon élève ? Il faut me ressembler.

LA MARQUISE.

Quand je dois composer, vous êtes mon Oracle.

Pour mes amusements, mon cher Monsieur Miracle,

Mon choix, fantasque ou non, vaut-il de quereller ?

MONSIEUR MIRACLE.

Le bon air jusques-là peut il se ravaler ?

10   Après un mois d'absence, affamé de spectacle,  [ 1 La relâche des spectacles durait du carême à Pâques. En 1750, la relâche dura du 17 mars au 7 avril.]

Est-ce aux Italiens qu'on vient se régaler ?

LA MARQUISE.

Voulant me réjouir, où fallait-il aller ?

MONSIEUR MIRACLE.

Chez les Français, morbleu : le succulent Tragique,

Farci de sentiments, et fort de politique ;

15   Le haut Comique assaisonné

De morale et de pathétique,

Voila des aliments pour un goût raffiné.

Ici quel est le mets délicat, ou solide ?

C'est l'ombre d'un repas ; on en sort toujours vide,

20   C'est du sec, c'est du vent, de la mousse, des riens.

LA MARQUISE.

Soit, j'ai moins d'appétit que vous, je soutiens

Que ce que vous nommez le plus léger service,

Est celui qui souvent amène la gaîté.

MONSIEUR MIRACLE.

Ici le fruit est mal monté.

25   Qu'ils sont gauches vos gens d'office !

LA MARQUISE.

Vous en voulez de loin à ces pauvres acteurs.

MONSIEUR MIRACLE.

Souvent j'ai pris contre eux la défense des moeurs,

Car j'en ai.

LA MARQUISE.

Sur ce point chacun vous rend justice.

MONSIEUR MIRACLE.

N'a t'on pas vu souvent ces ineptes farceurs,

30   Mauvais singes en tout, par leurs froids batelages  [ 2 Batelage : Emploi métaphorique. Allées et venues incessantes.]

Dégrader, disloquer les plus grands personnages,

Des Grecs et des Romains, des Rois, des Empereurs ;

Avec de fausses couleurs

Défigurer les ouvrages

35   Des plus célèbres auteurs,

Dont le public devrait encenser les images ?

LA MARQUISE.

Mais de ces illustres rimeurs

La parodie a-t-elle excité les clameurs ?

En ont-ils éprouvé du déchet à leur gloire ?

40   Non, l'Agnès de Chaillot chez plus d'un curieux  [ 3 Agnès de Chaillot, comédie de Biancollelli (1723). C'est la parodie d'Inès de Castro d'Antoine Houdard de la Motte.]

De la tragique Inés rafraîchit la mémoire :

C'est Castor et Pollux, ces jumeaux si fameux

Immortels l'un par l'autre.

M. AMiracle.

Ah ! Quel blasphème affreux !

LA MARQUISE.

Calmez-vous : à présent on fait des tragédies

45   Portant en soi leurs parodies ;

Et le Théatre Italien

Chargerait sans ajouter rien.

Mais son silence aux auteurs dramatiques

Épargne-t'il les plus âpres critiques ? .

50   Qu'y gagnent ces Messieurs ? Au fond des cabinets,

Des feuilles périodiques

Vont remplacer les sifflets :

Un instant, au théâtre, eût fait couler ces traits :

Mais le lecteur, à tête reposée,

55   Savoure l'analyse avec art composée ;

Il y voit relever jusqu'aux moindres erreurs :

Le public détrompé, rétracte des suffrages

Mendiés à genoux chez tant de protecteurs,

Ou payés par avance à des clients à gages.

MONSIEUR MIRACLE.

60   Mais on peut riposter à ces malins écrits ;

On arme sa cabale, on partage Taris :

L'Italien déclare une plus rude guerre ;

Plaide-t-on contre le parterre ?

LA MARQUISE.

Un Phénix tel que vous ne craindra rien de lui

MONSIEUR MIRACLE.

65   Je le sais, mais enfin ce lieu choque ma vue.

LA MARQUISE.

C'est pour le Compliment que j'y viens aujourd'hui.

MONSIEUR MIRACLE.

J'ai tant d'aversion pour ce séjour d'ennui,

Que j'évite toujours de passer dans la rue.

Mais le Compliment fait, je sors.

LA MARQUISE.

70   Quoi, vous me laisseriez ?

MONSIEUR MIRACLE.

  Je pars, ou je m'endors.

Commence-t-on bien tôt ?

LA MARQUISE.

Oui, l'Orateur s'avance.

MONSIEUR MIRACLE.

Comment ? C'est une fille !

LA MARQUISE.

Oui : la jeune Astraudy.

MONSIEUR MIRACLE.

Vous vous moquez. Quoi, l'Éloquence.

Ici tombe en quenouille !

LA MARQUISE.

Un peu de patience :

75   Un pareil choix est souvent applaudi.

SCÈNE II.
Mademoiselle Astraudy, La Marquise, Monsieur Miracle.

LA MARQUISE.

Bonjour, ma chere enfant, je vous donne audience ;

Et Monsieur, qui n'a rien de comparable à lui.

MONSIEUR MIRACLE, à Mademoiselle Astraudy.

Comment ! Elle a des yeux, un fort joli visage.

Avez-vous de l'esprit ?

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

Monsieur, c'est notre usage

80   D'emprunter celui d'autrui.

MONSIEUR MIRACLE.

  Le vôtre vaut mieux, je gage.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

Vous me flattez.

MONSIEUR MIRACLE.

Non, c'est de bonne foi.

Ce qu'on vous a prêté sera, comme je crois,

De quelque auteur chétif le doucereux langage.

Mignonne, viens demain me haranguer chez moi.

Il sort.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

85   À quelle heure, Monsieur ?

SCÈNE III.
La Marquise, Mademoiselle Astraudy.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

  Oh ! le plaisant visage !

Il fait mal le Seigneur.

LA MARQUISE.

Vous savez donc qui c'est ?

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

Qui ne le connaît pas ?

LA MARQUISE.

C'est un grand personnage,

Il a quelques écarts, et c'est par là qu'il plaît.

Je crois qu'il est parti.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

J'apprêtais son éloge.

LA MARQUISE.

90   Pour moi je demeure ici.

Comme Muse, Dieu merci,

Je pourrai figurer seule dans une loge.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

Vous êtes Muse : Eh bien, Madame, donnez-nous

Dans vos moments perdus quelque nouvelle pièce.

LA MARQUISE.

95   Ce théâtre est joli, mais déroge à noblesse :

Les auteurs sont honteux de travailler pour vous ;

Ils semblent se cacher sous terre ;

Contents que de l'ouvrage on sente la valeur,

Ils ne font point crier du milieu du parterre,

100   L'auteur, qu'on nous montre l'auteur !

Elle sort.

SCÈNE IV.

MADEMOISELLE ASTRAUDY.

Messieurs, soit écrivains connus, soit anonymes,

Qui pourront réussir à votre amusement,

Tous les choix également

Nous paraîtront légitimes.

105   Je suis encor bien loin du fin discernement ;

Mon âge est ma première excuse ;

Et ce n'est point ma voix qui reçoit ou refuse

Ce qu'on vient présenter à notre jugement.

Vous m'apprendrez à m'y connaître,

110   Et les comédiens les plus accrédités ,

Ou d'eux-mêmes plus entêtés,

Ne trouvent point de meilleur maître.

Vos bontés cette année ont surpassé nos voeux,

Et depuis que la troupe est introduite en France,

115   On ne se souvient pas d'un succès plus heureux.

Le zèle s'accroîtra par la reconnaissance.

Si l'avenir le plus doux

M'offre de belles années,

Je ne les veux que pour vous ;

120   Vos suffrages, seul bien dont mon coeur est jaloux,

Rempliront mes destinées ;

Eh ! Quelle autre conquête aussi chère pour nous !

 



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Notes

[1] La relâche des spectacles durait du carême à Pâques. En 1750, la relâche dura du 17 mars au 7 avril.

[2] Batelage : Emploi métaphorique. Allées et venues incessantes.

[3] Agnès de Chaillot, comédie de Biancollelli (1723). C'est la parodie d'Inès de Castro d'Antoine Houdard de la Motte.

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