LES TROQUEURS

EN UN ACTE

Le prix est de 24 s.

Représenté pour la première fois sur le théâtre de la Foire Saint-Martin le 30 juillet 1753.

M. DCC. LIV. Avec Approbation et Privilège du Roi.

PAR M. VADÉ.

À PARIS, Chez DUCHESNE, Libraire, rue S. Jacques, au-dessous de la Fontaine S. Benoît, au Temple du Goût.

De l'Imprimerie de BALLARD, Imprimeur du Roi.

Représenté pour la première fois sur le théâtre de la Foire Saint-Martin le 30 juillet 1753.


© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:35.


ACTEURS

LUBIN, amant de Margot.

LUCAS, amant de Fanchon.

MARGOT, fiancée avec Lubin.

FANCHON, fiancée avec Lucas.


LES TROQUEURS

SCÈNE PREMIÈRE.

LUBIN fiuU.

ÀIR. Tout cela m'est indifférent.

Quand sur fis vieux jours un garçon

Devient le mari d'un tendron,

Un galant rit de la folle ;

Le reste est bientôt projeté :

5   Mais qu'un bon vivant se marie

Les rieurs sont de son côté.

Ariette.

On ne peut trop tôt

Se mettre en ménage,

J'ai beaucoup d'ouvrage ;

10   Et le mariage

Est mon vrai ballot.

Un contrat m'engage,

J'épouse Margot,

Son humeur volage

15   Est presque le gage

D'un mauvais lot.

Mais contre l'orage

On met en usage

Les moyens qu'il faut.

20   Une femme est sage

Quand l'homme en un mot

N'est pas un sot.

SCÈNE II.
Lubin, Lucas.

ENSEMBLE.

LUBIN.

Nous voilà fiancés par un double contrat,

L'indolente Fanchon va devenir ta femme.

LUCAS.

25   L'égrillarde Margot va te mettre en état

De chanter chaque jour une amoureuse gamme.

Compère es-tu content de ton marché, dis moi ?

LUBIN.

Et toi, compère ?

LUCAS.

Et toi ?

LUBIN.

30   Parles-toi ;

Et-tu bien satisfait ?

LUBIN.

Compère es-tu bien aise ?

LUCAS, le montrant au doigt.

Pour Margot tout de feu.

LUBIN le montrant du doigtà son tour.

Pour Fanchon tout de braise,

35   Es-tu bien satisfait ?

LUCAS.

Compère es-tu bien aise ?

LUBIN.

Mais dis auparavant ?

LUCAS.

Tu le veux ? Tiens, ma foi

Je ne sais. Mais Fanchon est lente et paresseuse.

LUBIN.

Ariette.

40   Margot, morbleu,

Est par trop joyeuse,

Elle est jaseuse,

Gausseuse

Pour peu

45   Qu'on la mette en Jeu

Elle prend feu. Fin.

La voilà quinteuse,

Grogneuse,

Fâcheuse,

50   Dites-lui

Oui,

Elle répond

Non,

Oui.

55   Non.

Non,

Oui ;

Un démenti

Vous met en colère,

60   Prend-on le parti

De la faire taire,

Le bruit double encor,

Jamais d'accord.

On se désole,

65   Soufflets vont leur train,

On les rend soudain,

Et le bonnet vole.

Margot, etc.

LUCAS.

Le défaut de Fanchon me fait maigrir la trogne ;  [ 1 Trogne : Terme familier et de moquerie. Visage. [L]]

70   Son air froid, engourdi, m'a désolé vingt fois.

LUBIN.

Tiens, nous avons été par trop vite en besogne,

Margot te convient mieux.

LUCAS.

C'est bien dit, je le crois.

LUBIN.

Je m'accommoderais de Fanchon à merveille.

LUCAS.

Troquons.

LUBIN.

75   Va.

LUCAS.

Tope.

LUBIN.

Allons.

ENSEMBLE.

Le changement réveille.

LUBIN.

Troquons, troquons,

LUCAS.

80   Changeons compère.

Point de façons ;

Foin du Notaire.

Tiens déchirons

Ils déchirent leurs contrats.

Ce biau chiffon.

85   Troquons, troquons,

Changeons compère,

Bien n'est si bon.

LUBIN.

Mais de chacun de nous s'avance la future.

LUCAS.

Faisons les consentir.

LUBIN.

90   Va. Nous allons conclure.

SCÈNE III.
Lucas, Lubin, Margot, Fanchon.

LUCAS, prend Margot sous le bras.

Bonjour Margot.

LUBIN.

Fanchon bonjour.

FANCHON.

Tu te trompes !

LUBIN.

Non ma chère.

MARGOT, à Lucas qui lui baise la main.

Mais, finis donc.

FANCHON, à Lubin qui lui en fait autant.

95   Veux-tu te taire ?

MARGOT, FANCHON.

À ton ami peux-tu jouer ce tour ?

FANCHON.

Margot va m'en vouloir.

MARGOT.

Fanchon sera jalouse.

LUBIN, à Fanchon.

Écoute ; c'est moi qui t'épouse.

LUCAS, à Margot.

100   C'est moi qui serai ton mari.

MARGOT, lui montrant Lubin.

Ariette en quatuor.

Et non c'est lui.

LUCAS.

Et non c'est moi.

LUBIN, à Fanchon.

Nous nous unirons aujourd'hui.

FANCHON.

Pas avec toi ;

C'est avec lui.

LUBIN.

105   C'est moi qui serai ton mari.

FANCHON, montrant Lucas.

  C'est lui.

LUBIN.

Moi, moi.

MARGOT.

Lui, lui.

QUATUOR.

Eh non c'est lui,

Eh non c'est moi.

MARGOT.

Ariette.

110   D'un amant inconstant

L'amour se venge,

Même à l'instant.

Que son coeur change,

Il n'est pas content ;

115   C'est où ce Dieu l'attend.

Des feux d'un volage

On est peu flatté ;

Le plus doux langage

Est toujours rejette

120   Quand il est l'hommage

De la légèreté.

Sans alarmer Flore,

Le badin Zéphir

Vole avec plaisir

125   Sur les fleurs qu'elle tait éclore.

Un tendre soupir

Bientôt le rappelle,

Il revient près d'elle

Sur l'aile du Désir.

130   D'un amant, etc.

FANCHON, lentement.

AIR. Pourvu que Colin ah voyez vous.

On dit que l'hymen est bien doux,

Pour moi c'est un mystère :

Qu'importe l'un ou l'autre époux,

Pourvu que l'on soit femme, voyez-vous ?

135   Le choix ici n'est pas fort nécessaire,

Tous deux ne valent guère.

FANCHON.

Margot, si tu m'en crois nous les laisserons faire.

LUBIN et LUCAS.

Bon, bon, Fanchon entend déjà raison.

Pendant ce temps Fanchon et Margot se parlent à l'oreille.

MARGOT, à part.

Je l'en dégoûterai.

Haut.

Terminons donc l'affaire.

LUCAS.

140   Ah ! Quel bonheur ! Margot pense comme Fanchon.

LUBIN.

Ariette en quatuor.

Changeons, ma chère,

Troquons, troquons.

LUCAS.

Troquons, troquons,

Changeons, ma chère.

MARGOT.

145   Troquons, troquons.

FANCHON.

Changeons compère.

TOUS QUATRE.

Troquons, troquons ;

Changeons compère.

Lubin emmène Fancbon.

SCÈNE IV.
Margot, Lucas.

LUCAS.

Vive, vive Margot, j'aime son caractère.

MARGOT, à part finement.

150   Oui, tu vas l'éprouver.

LUCAS.

Que nous serons heureux !

LUCAS, ironiquement.

Tu me parais charmant.

LUCAS.

Que tu sais bien me plaire !

MARGOT, se moquant de lui.

Je brûle d'être à toi.

LUCAS.

155   Viens donc combler mes voeux.

MARGOT.

Ariette.

Ah ! Qu'il me tarde

De te voir mon époux ;

Surtout prends bien garde

D'être jaloux.

160   Quand un galant me flatte

Je ne fuis pas ingrate

Si tu raisonnais

Tu verrais

Ce que je ferais.

165   J'aime la dépense;

Ainsi je pense

Que tu sauras gagner

De quoi faire régner.

Chez moi l'abondance,

170   Les jeux et la danse ;

Car autrement

Je fais serment

Que le tapage,

L'outrage,

175   La rage

Feront ravage

Dans ton ménage ;

C'est mon dernier mot.

À ce prix nigaud,

180   Épouse Margot,

Jusqu'au revoir, magot,

Magot, magot.

Magot. Jusques dans les coulisses.

SCÈNE V.

LUCAS, seul.

Va, va, j'épouserais morbleu plutôt le diable,

Ah, Fanchon, qu'à présent tu me parais aimable !

Ariette.

185   Pauvre Lucas

Quelle est ta peine ?

Une femme hautaine

Ne te va pas,

Sans cesse la gêne,

190   L'aigreur, l'altercas,

Les cris, le tracas,

Les pleurs, le fracas,

Sept fois la semaine

Joueront une scène,

195   Où tout hors d'haleine

Tu chanteras

Hélas, hélas, hélas,

Sortons d'embarras.

Fanchon est ma reine,

200   Je cours de ce pas

Reprendre ma chaîne ;

Ah, qu'elle a d'appas !

Ils sort.

SCÈNE VI.

LUBIN, seul.

J'ai cru faire un beau coup en changeant de future,

Margot était mon fait : peste soit du marché !

205   Avec Fanchon, hélas ! Il faudra donc conclure ?

Qui moi ! Garder Fanchon ? J'en serais bien fâché.

Ariette.

Sa nonchalance

Ferait mon tourment,

Une heure elle balance

210   Pour dire froidement

Oui dà.... vraiment...

Plait-il... Comment ?...

Chaque mot est si lent

Que j'en perds patience.

215   Ou bien en silence

D'un pas chancelant

Elle s'avance,

Puis marche en dormant

Et rit en baillant.

220   Quelle différence

De ce tempérament

À la pétulance

De celle que j'attends ?

SCÈNE VII.
Margot, Lubin.

LUBIN.

Margot ?

MARGOT.

Eh bien ?

LUBIN.

Rends-toi, j'ai reconnu ma faute.

MARGOT.

225   Tout beau, tu comptes sans ton hôte.

LUBIN.

Ariette.

Sans rire, comment va le désir conjugal ?

MARGOT.

Mal.

LUBIN.

Va, dès ce soir, tu porteras mon nom.

MARGOT.

Non.

LUBIN.

Va, tu ne penses pas ainsi.

MARGOT.

Si.

LUBIN.

Méprises-tu mon tendre effort ?

MARGOT.

Fort.

LUBIN.

230   Tu veux donc causer mon ennui ?

MARGOT.

  Oui.

LUBIN.

Fais-moi plutôt un amoureux défi.

MARGOT.

Fi.

LUBIN.

Ta cruauté me désole.

MARGOT.

Va, cours, fuis, fors, vole

Sur les pas de Fanchon, je m'en tiens à Lucas.

LUBIN.

235   Reçois mon repentir.

SCÈNE VIII.
Lubin, Margot, Lucas, Fanchon.

LUCAS, à Fanchon.

Ariette en quatuor.

Ne me rebute pas.

FANCHON, montrant Margot.

Oh, laisse-moi, voilà la tienne.

LUBIN.

Non, c'est la mienne.

MARGOT, montrant Fanchon à Lubin.

Voilà la tienne.

LUCAS.

240   Non, c'est la mienne.

MARGOT, se saisissant de Lucas.

Je prends le mien.

FANCHON, sautant sur Lubin.

Chacun le sien.

LUBIN, à Fanchon qui le tient au collet.

Le diable t'emporte.

LUCAS, tenu par Margot.

Ah, quel embarras !

MARGOT et FANCHON.

245   Tu m'épouseras.

LUBIN.

Peut-on, hélas !

Me punir de la sorte;

FANCHON.

Tu m'épouseras.

LUCAS.

Le diable t'emporte.

MARGOT.

250   Tu m'épouseras.

LUBIN, s'échappant.

Ah ! Margot.

LUCAS, s'échappant.

Ah ! Fanchon.

MARGOT et FANCHON.

Quel accès te transporte ?

LUBIN, à Margot.

Reprends-moi.

LUBIN et LUCAS.

255   Que je sois ton époux.

MARGOT et FANCHON.

Vous avez fait la loi.

LUBIN et LUCAS.

Je t'en prie à genoux.

Ils se jettent à genoux,

MARGOT, riant.

Fanchon ? Ah, ah, ah, ah, ah.

FANCHON, riant.

Margot ? Ah, ah, ah, ah, ah.

LUCAS.

260   Cruelle.

LUBIN.

  Traîtresse,

Pardonne-nous.

LUCAS.

Pardonne-nous.

FANCHON.

Fileras-tu doux !

LUCAS.

Je filerai doux.

MARGOT, à Lubin.

265   Au logis je serai maîtresse.

LUBIN.

Maîtresse.

FANCHON, à Lucas.

Et tu m'obéiras sans cesse.

LUCAS.

Sans cesse.

MARGOT.

Fanchon, je me résous.

FANCHON.

270   Margot, je me résous.

LUCAS, se relevant.

Fanchon, quelle allégresse !

LUBIN, se relevant.

Margot, quelle allégresse !

FANCHON et MARGOT.

Remettez-vous ?

LUBIN et LUCAS, se remettent à genoux.

Quelle tristesse !

MARGOT.

275   Fanchon.

FANCHON.

Margot.

MARGOT.

Cédons.

FANCHON.

  Cédons.

LUBIN et LUCAS.

Quelle allégresse !

MARGOT.

Levez-vous.

FANCHON.

Nous en ferons ma foi de commodes époux.

TOUS QUATRE.

Quelle allégresse !

On danse.

 


J'ai lu par ordre de Monseigneur le chancelier, Les TROQUEURS en un acte : Et je crois que l'on peut en permettre l'impression. Ce 15juillet 1753. CREBILLON.


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Notes

[1] Trogne : Terme familier et de moquerie. Visage. [L]

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