ASTRÉE

TRAGÉDIE LYRIQUE

1691

Jean de La Fontaine

Représenté pour la première fois le 28 novembre 1691 par l'Académie Royale de musique au Théâtre du Palais-Royal.


publié par Paul FIEVRE, décembre 2006, relu février 2012.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:14:20.


Personnages

ASTRÉE, bergère.

CÉLADON, amant d'Astrée.

SÉMIRE, amant d'Astrée.

PHILIS, confidente d'Astrée.

HYLAS, berger.

TIRCIS, berger.

GALATÉE, princesse du Forez.

LÉONIDE, confidente de Galatée.

ISMÈNE, fée.

TROUPE DE DRUIDES.

TROUPE DE BERGERS ET DE BERGÈRES.

ESPRITS AÉRIENS.

NYMPHES.

GÉNIES.

PEUPLES DU FOREZ.

TROUPE DE LA SUITE D'ISMÈNE.

LIZETTE.

GALIOFFO.

GAMBARINI.

La scène est dans le Forez.


PROLOGUE

LA NYMPHE.

Dieu du Parnasse et du sacré vallon

Quelle aventure en ces lieux vous attire ?

APOLLON.

Mars, de tout temps ennemi d'Apollon,

Me force à quitter mon empire.

LA NYMPHE.

5   Notre monarque vous promet

Un repos qu'on n'a plus sur le double sommet.

APOLLON.

Jupiter lui-même aurait peine

À calmer aujourd'hui tant de peuples divers :

Rien n'impose à présent silence à l'Univers

10   Et cependant je vois les Nymphes de la Seine

S'occuper à l'envi de musique et de vers.

LA NYMPHE.

Nous tenons ces faveurs d'un roi plein de sagesse :

La Terreur et l'Effroi respectent ces beaux lieux.

Des chants les plus délicieux

15   Nos bois retentissent sans cesse.

La Paix règne dans nos ombrages.

Le murmure des eaux, les plaintes des amants,

Les rossignols par leurs tendres ramages

Occupent seuls l'écho dans ces lieux si charmants.

APOLLON.

20   Joignons tous nos accords : approchez-vous, Acante.

Fille de l'Harmonie, ô Paix douce et charmante !

Comme j'unis les voix, reviens unir les coeurs.

Par son retour la saison la plus belle

Annonce en mille endroits la guerre et ses fureurs ;

25   Fais qu'en ces lieux l'amour se renouvelle.

APOLLON, LA NYMPHE, et ACANTE.

Ô Paix ! reviens unir les coeurs.

Par son retour la saison la plus belle

Annonce en mille endroits la guerre et ses fureurs :

Fais qu'en ces lieux l'amour se renouvelle.

LE CHOEUR.

30   Fais qu'en ces lieux l'amour se renouvelle.

APOLLON.

Et vous, compagnons du printemps

Zéphyrs, par qui les fleurs renaissent tous les ans

Embellissez ces bords de leurs grâces naïves ;

Ramenez ici les beaux jours

35   Doux Zéphire, invitez à danser sur ces rives

Flore et la mère des Amours.

LA NYMPHE.

Dans ces lieux les dons de Flore

Font accourir les Zéphyrs,

Et les larmes de l'Aurore

40   Se joignent à leurs soupirs.

Les fleurs n'en sont que plus belles

Jouissez de leurs attraits :

Flore à leurs grâces nouvelles

Donne ici de nouveaux traits.

45   Toutes saisons n'ont pas ces richesses légères

Dont l'émail peint nos champs de diverses couleurs :

Bergers, venez cueillir les fleurs,

N'y venez point sans vos bergères ;

Jouissez des dons du printemps :

50   Tout finit, profitez du temps.

LE CHOEUR.

Jouissons des dons du printemps.

Tout finit, profitons du temps.

LES CHOEURS.

Est-il quelques rivages

Qui ne connaissent point l'Amour ?

LA NYMPHE et ACANTE.

55   Si les bergers lui font leur cour,

Les rois lui rendent leurs hommages.

LES CHOEURS.

Est-il quelques rivages

Qui ne connaissent point l'Amour ?

LA NYMPHE et ACANTE.

Il n'est point de lieux si sauvages,

60   De coeurs si fiers, d'esprits si sages,

Que ce dieu ne dompte a leur tour.

LES CHOEURS.

Est-il quelques rivages

Qui ne connaissent point l'Amour ?

APOLLON.

Vos chants sont pour l'amour, ma lyre est pour la gloire

65   Du nom de deux héros je veux remplir les cieux,

De deux héros que la Victoire

Doit reconnaître pour ses dieux.

Muses, profitez d'un asile

Où tout est paisible et tranquille.

70   Représentez, dans ce séjour,

Un spectacle où règne l'Amour.

Ce dieu récompensa quelques moments de peine

Qu'eurent Astrée et Céladon ;

Faites voir aux bords de la Seine

75   Les aventures du Lignon.

LES CHOEURS.

Que nos chants expriment nos flammes ;

Répandons dans tout ce séjour

Le charme le plus doux des âmes

Les chansons, les vers, et l'amour.

ACTE I

Le théâtre représente le pays du Forez, arrosé de la rivière du Lignon, sur les bords de laquelle sont plusieurs hameaux et bocages.

SCÈNE I.

SÉMIRE.

80   Perfide que je suis ! infortuné Sémire !

Les bruits qu'en ces hameaux je répands tous les jours

Soulageront-ils mon martyre ?

Que me sert de troubler d'innocentes amours ?

J'aime Astrée et je tente un dessein téméraire :

85   Je détruis son amant, mais que fais-je pour moi ?

Ce qui le rend suspect de violer sa foi

Me rend-il capable de plaire ?

Au sein d'Astrée en vain j'ai versé cent poisons.

L'implacable dépit, les injustes soupçons,

90   L'aveugle et la sourde colère,

La jalousie, au repos si contraire,

Enfants de l'art dont je me sers,

M'ont en vain procuré le secours des Enfers.

Quel fruit aura ton crime, infortuné Sémire ?

95   Les mensonges divers à quoi tu donnes cours

Soulageront-ils ton martyre ?

Que te sert de troubler d'innocentes amours ?

Je me venge, il suffit ; je fais des misérables.

N'est-ce pas un bien assez doux ?

100   Achevons ; puis retirons-nous

En des déserts inhabitables.

Amants, heureux amants, dont je détruis la foi,

Puissiez-vous devenir plus malheureux que moi !

Je vois déjà cette bergère en larmes

105   Ce doit être l'effet des dernières alarmes

Par qui mon imposture a séduit sa raison ;

Laissons sur son esprit agir notre poison.,

SCÈNE II.
Astrée, Philis.

ASTRÉE, donnant à Philis une lettre ouverte.

Avais-je tort, Philis ? Tu vois ces témoignages

De sa main propre ils sont tracés ;

110   Considère de quels outrages

Mes feux y sont récompensés ;

Ne me parle jamais du traître

Céladon, Céladon, il est un dieu vengeur.

PHILIS.

Ne le soupçonnez pas, ma soeur.

ASTRÉE.

115   Voici pourtant ses traits, peux-tu les méconnaître ?

PHILIS.

Je connais encor mieux son coeur ;

Tout m'est suspect, tout vous doit l'être

Quelque ennemi secret vient d'imiter sa main.

ASTRÉE.

Dédiras-tu nos yeux, qui l'ont vu ce matin

120   Embrasser les genoux d'Aminte ?

PHILIS.

C'est un reste de feinte ;

Vous-même avez pu voir avec quelle contrainte

Il feignait des transports qu'il ne pouvait sentir.

Qu'un véritable amant a de peine à mentir !

ASTRÉE.

125   Eh ! qu'il ne mente plus.

PHILIS.

  Sait-il votre pensée ?

Il voit, depuis quelques jours

Que sa flamme est traversée,

Et qu'on trouble vos amours

il veut vous ménager, en exposant Aminte.

ASTRÉE.

130   Que ne me l'a-t-il dit ?

PHILIS.

  Sans doute il ne l'a pu.

ASTRÉE.

Mon coeur à Céladon n'était que trop connu

N'aurait-il pas prévu ma crainte

Si l'ingrat, d'autres soins occupé, prévenu...

PHILIS.

Ma soeur, bannissez ces alarmes

135   Quel objet vous peut-on préférer sous les cieux ?

ASTRÉE.

Aminte est engageante, et prévient par ses charmes ;

Ton amitié me rend trop parfaite à tes yeux.

Hélas ! qui feint d'aimer est toujours téméraire

De la feinte à l'effet on n'a qu'un pas à faire ;

140   C'est un écueil fatal pour la fidélité :

Une première ardeur n'est bientôt plus qu'un songe ;

La vérité devient mensonge,

Et le mensonge, vérité.

PHILIS.

Les coquettes les plus belles

145   Ne touchent que faiblement.

On peut, par amusement

Feindre de brûler pour elles ;

Et le plus crédule amant

Les regarde seulement

150   Comme on fait les fleurs nouvelles,

Avec quelque plaisir, mais sans attachement.

ASTRÉE.

Quand il plaît à l'Amour, tout objet est à craindre.

Ce dieu met bien souvent sa gloire à nous atteindre

Du trait le plus commun et le moins redouté ;

155   Une première ardeur n'est bientôt plus qu'un songe

La vérité devient mensonge,

Et le mensonge, vérité.

Il le prévoyait bien, le traître, l'infidèle

J'eus peine à l'obliger à feindre ces amours ;

160   Il résista longtemps, je persistai toujours

Trouvait-il Aminte si belle ?

Je lisais dans ses yeux une secrète peur

L'ingrat avait raison de craindre pour son coeur.

PHILIS.

C'était à vous d'avoir de la prudence,

165   En l'éloignant du danger

De changer.

ASTRÉE.

C'était à lui d'avoir de la constance,

En résistant au danger

De changer.

PHILIS.

170   À vos soupçons je ne saurais me rendre ;

Mais voici mon dessein, ma soeur :

D'Hylas depuis deux jours je ménage le coeur ;

Je veux que pour Aminte il feigne de l'ardeur,

C'est le moyen de tout apprendre

175   Elle lui dira son secret.

Je l'attends ; vous savez combien il est discret.

Le voici.

SCÈNE III.
Philis, Hylas, Astrée.

PHILIS.

J'ai besoin, Hylas, de votre adresse.

Puis-je compter sur vos serments ?

180   Vous me rendez des soins ; mais ces empressements

Sont-ils des effets de tendresse ?

Ou ne sont-ce qu'amusements ?

Sans cesse vous allez de bergère en bergère,

Jurant de sincères amours :

185   Zéphire n'eut jamais d'ardeur si passagère ;

Eh ! comment s'assurer qu'une âme si légère

Puisse ne l'être pas toujours ?

HYLAS.

Quoi ! Vous doutez si je vous aime ?

Eh ! Qui pourrait, Philis, vous voir sans vous aimer ?

190   Vous avez plus d'appas que n'en a l'Amour même,

Des traits à tout ravir, des yeux à tout charmer,

Et vous doutez si je vous aime !

PHILIS.

Déclarer si bien son ardeur,

Ce n'est pas ce qui nous engage

195   Les vrais interprètes du coeur

Ne sont pas les traits du langage.

ASTRÉE.

Ma soeur, j'ose aujourd'hui te garantir sa foi ;

L'Amour ne réservait ce miracle qu'à toi.

HYLAS.

Si je n'aime Philis, que ce dieu me haïsse !

200   Qu'il me livre à des coeurs ennemis de ses traits !

Qu'à la fin mon bonheur dépende du caprice

D'une bergère sans attraits !

PHILIS.

J'en croirai vos serments, si votre amour s'applique

À m'instruire des feux d'Aminte et d'un berger.

HYLAS.

205   N'est-ce pas Céladon ? La chose est si publique

Qu'à de trop grands efforts ce n'est pas m'engager.

PHILIS.

Il vient, partez.

HYLAS.

Je vole où votre ordre m'appelle.

ASTRÉE et PHILIS.

Voyons comment le traître, l'infidèle,

Soutiendra son manque de foi.

PHILIS.

210   Adieu ; vous pourrez mieux vous éclaircir sans moi.

SCÈNE IV.
Céladon, Astrée.

CÉLADON.

Hé quoi ! seule en ces lieux, sans songer à la fête

Dont vous serez tout l'ornement !

C'est un triomphe qui s'apprête

Pour les dieux et pour vous, aux yeux de votre amant.

215   On n'entend en tous lieux que des chants d'allégresse ;

Bergères, bergers, tout s'empresse

De célébrer ce jour charmant.

Cependant vous rêvez : d'où vient cette tristesse ?

ASTRÉE.

Berger, vous paraissez aujourd'hui bien paré

220   De cet ajustement quels yeux vous sauront gré ?

CÉLADON.

Les vôtres, ma déesse.

Il n'est rien en ces lieux

Qui ne s'efforce de vous plaire ;

Et c'est pour attirer vos regards précieux,

225   Que ces prés, que ces bois, et cette onde si claire,

Étalent ce qu'ils ont de plus délicieux

L'astre même qui nous éclaire

Ne se montre si beau que pour plaire à vos yeux.

ASTRÉE.

Céladon, bannissez ces discours d'entre nous ;

230   Je sais qu'en votre coeur une autre est préférée,

Et vos voeux ne sont pas pour l'innocente Astrée.

CÉLADON.

Ciel ! Mes voeux ne sont pas pour vous !

Dieux puissants qu'ici l'on révère,

Dieux vengeurs des forfaits, je vous atteste tous

235   Si quelque autre qu'Astrée à mes désirs est chère,

Faites tomber sur moi vos plus terribles coups

ASTRÉE.

Sois traître seulement, et ne sois pas impie.

CÉLADON.

Juste Ciel ! vous doutez encore de ma foi !

Mais quel est cet objet dont mon âme est ravie ?

ASTRÉE.

240   Va, perfide, va, garde-toi

D'oser jamais paraître devant moi.

CÉLADON.

Ah ! du moins...

ASTRÉE.

Non.

CÉLADON.

Quoi ! sans l'entendre,

Condamner un amant si fidèle et si tendre !

ASTRÉE.

Non, perfide, non, garde-toi

245   D'oser jamais paraître devant moi.

CÉLADON.

Mon sort est dans vos mains, il faut vous satisfaire ;

Et, puisque votre arrêt me livre au désespoir,

J'y cours ; et respectant votre injuste colère,

Je me fais du trépas un funeste devoir.

250   Vous me regretterez, j'en suis sûr, et votre âme,

Au vain ressouvenir d'une constante flamme

Se laissant trop tard émouvoir,

Me donnera des pleurs que je ne pourrai voir.

SCÈNE V.

ASTRÉE.

Serait-il innocent ? me serais-je trompée ?

255   Soupçons dont j'ai l'âme occupée,

Dois-je donc vous bannir ?

L'ai-je à tort condamné ?

En quel trouble me met cette fuite soudaine !

Qu'as-tu fait, bergère inhumaine ?

260   Où s'en va cet infortuné ?

Ne le pas écouter ! se rendre inexorable !

Ses pas précipités, ses regards pleins d'effroi,

Me font craindre pour lui ; que ne dis-tu pour toi,

Bergère misérable !

265   Tu ne l'as pu haïr, quand tu l'as cru coupable ;

Que sera-ce, s'il meurt en te prouvant sa foi ?

Cours, malheureuse, cours, va retarder sa fuite.

Céladon ! Céladon ! Hélas ! il précipite

Ses pas et son cruel dessein :

270   Il est sourd à mes cris et je l'appelle en vain ;

Je n'en puis plus, la force et la voix, tout me quitte.

SCÈNE VI.
Troupes de druides, de pâtres, sylvains, faunes, bergers et bergères.

Un druide conduisant la cérémonie de la fête du gui de l'an neuf, à la place d'Adamas.

UN DRUIDE.

Maîtres de l'Univers, dieux puissants, nos hameaux

Vous présentent le don que viennent de nous faire

Ces antiques palais qu'habitent les oiseaux :

275   Conservez dans nos bois leur ombre tutélaire.

Nous ne vous demandons, en faveur de ce don,

Ni des grandeurs, ni du renom

Ni des richesses excessives ;

Que les sources de l'or soient pour d'autres que nous

280   Nos destins seront assez doux

Si les bergères de ces rives

Ne font régner que de chastes désirs,

Et d'innocents plaisirs.

LE DRUIDE ET LE CHOEUR.

Conservez nos troupeaux, arrosez nos prairies ;

285   Faites régner la paix sur ces rives fleuries :

Que Mars n'y trouble point les jeux et les chansons ;

Gardez nos fruits et nos moissons.

UN BERGER ET LE CHOEUR.

Accourez, bergers fidèles,

Célébrez tous, en ce jour,

290   Vos bergères et l'amour ;

Chantez vos feux et vos belles.

LE CHOEUR.

Venez, Amours, volez de cent climats divers

En ce séjour tranquille.

Ces feuillages épais, ces gazons toujours verts,

295   Vous offrent un charmant asile.

Venez, Amours, volez de cent climats divers,

Pour enflammer nos coeurs, seuls dignes de vos fers,

Laissez dans un repos languissant, inutile,

Tout le reste de l'Univers.

SCÈNE VII.

UN BERGER.

300   Pour pleurer Céladon cessez vos doux accords ;

Du Lignon l'onde impitoyable

Vient de l'ensevelir.

LE CHOEUR.

Ô perte irréparable !

LE BERGER.

Nous n'avons pu le trouver sur ces bords.

LE DRUIDE.

305   Portons ce sacré don sur un autel du temple,

Et que chacun, à mon exemple,

À chercher ce berger fasse tous ses efforts.

SCÈNE VIII.
Philis, Astrée.

PHILIS.

Céladon dans les flots a terminé sa vie ;

Comment le dirai-je à ma soeur ?

ASTRÉE.

310   Je le sais, Philis ; ce malheur

Est l'effet de ma jalousie.

Déteste-moi ; c'est peu de me haïr

Céladon ne périt que pour mieux m'obéir.

Il s'est perdu ! je me perdrai moi-même

315   Que me sert la clarté du jour ?

Je ne verrai plus ce que j'aime !

Cher amant, as-tu pu me quitter sans retour ?

Notre bonheur était suprême ;

Les dieux nous enviaient du haut de leur séjour.

320   Tu t'es perdu ! je me perdrai moi-même

Que me sert la clarté du jour ?

ACTE II

Le théâtre représente les jardins de Galatée, et, dans l'éloignement, le palais d'Isoure.

SCÈNE I.

GALATÉE.

Je ne me connais plus ; quelle nouvelle ardeur

Se rend maîtresse de mon coeur ?

Un berger cause ces alarmes.

325   Doux et tranquilles voeux, qu'êtes-vous devenus ?

Le sort offre à mes yeux un berger plein de charmes,

Et depuis ce moment je ne me connais plus.

SCÈNE II.
Léonide et Galatée.

LÉONIDE.

Princesse, cherchez-vous ici la solitude ?

GALATÉE.

Je me laisse conduire à mon inquiétude.

330   Mais que fait Céladon ? Dis-moi, qu'en penses-tu ?

Je vois qu'en secret tu me blâmes

D'avoir pu concevoir de si honteuses flammes ;

Mais, hélas ! qui n'aurait vainement combattu

Contre les traits dont il a su m'atteindre ?

335   Il allait expirer ; l'onde venait d'éteindre

Le vif éclat de ses attraits :

La pitié lui prêta ses traits.

L'oracle, les destins, tout lui fut favorable.

Rien ne vint s'opposer à ma naissante ardeur.

LÉONIDE.

340   Que de raisons ont fait entrer dans votre coeur

Un ennemi si redoutable !

GALATÉE.

Mes yeux me trompent-ils ? C'est à toi d'en juger.

LÉONIDE.

Princesse, il est charmant ; mais ce n'est qu'un berger.

GALATÉE.

Par les noeuds de l'hymen le sceptre et la houlette

345   Se sont unis plus d'une fois.

L'amour n'est plus amour, dès qu'il cherche en ce choix

Une égalité si parfaite.

Mon coeur est excusable, et Galatée enfin

Serait-elle, sans toi, dans cette peine extrême ?

350   Léonide, ce fut toi-même

Qui me fis, malgré moi, consulter ce devin.

" Princesse, me dit-il, voici votre destin

Une étoile ennemie autant que favorable,

Peut vous rendre en hymen heureuse ou misérable.

355   Dans ce miroir regardez bien ces lieux :

Vers le déclin du jour il faudra vous y rendre ;

Celui qui s'offrira le premier à vos yeux

Est l'époux que le Ciel vous ordonne de prendre. "

J'aperçus ce berger : résisterai-je aux dieux ?

LÉONIDE.

360   Princesse, son Astrée a pour lui trop de charmes.

GALATÉE.

Eh ! n'ai-je pas les mêmes armes ?

N'est-ce rien que mon rang auprès de Céladon ?

LÉONIDE.

Vous ne connaissez pas les bergers du Lignon.

Leurs amours sont leurs dieux : l'offense la plus noire

365   Pour eux est l'infidélité.

Aimer fait leur félicité ;

Aimer constamment fait leur gloire.

GALATÉE.

Toutes les conquêtes d'éclat

Flattent la vanité des hommes.

370   Quelque constants qu'ils soient dans les lieux où nous sommes,

La beauté dans mon rang ne fit jamais d'ingrat.

Je tremble : je le vois. Quoi ! même en ma présence

Il soupire, il se plaint aux échos d'alentour !

LÉONIDE.

Il n'est plein que de son amour

375   Par ses chagrins, jugez de sa constance.

SCÈNE III.
Galatée, Céladon, Léonide.

GALATÉE.

Céladon, contemplez nos jardins et nos bois

Qui ne croirait que Flore y tienne son empire ?

De ces oiseaux qu'Amour inspire

Écoutez les charmantes voix.

380   À charmer vos ennuis en ces lieux tout conspire

Cependant c'est en vain que tout vous fait la cour.

Nos soins, nos voeux, ce beau séjour,

N'ont point d'agrément qui vous flatte.

Galatée a sujet de se plaindre de vous :

385   Faut-il que sans effet sa présence combatte

Cette tristesse ingrate

Que vous osez conserver parmi nous ?

CÉLADON.

Princesse, ma douleur n'est pas en ma puissance

Je sors, vous le savez, du plus affreux danger ;

390   Puis-je m'empêcher d'y songer ?

GALATÉE.

Songez plutôt à ma présence ;

C'est la seule reconnaissance

À quoi je veux vous engager.

Vous soupirez, vous vous plaignez sans cesse

395   Si c'est d'une ingrate maîtresse,

Changez : vous pouvez faire un choix rempli d'appas.

À souffrir tant de maux quel coeur peut vous contraindre ?

Hélas ! le mien ne comprend pas

Que vous deviez jamais vous plaindre.

400   Mais quelle est cette Astrée ? Et depuis quand ses coups

Tiennent-ils votre âme asservie ?

Votre esclavage était-il doux ?

CÉLADON.

Belle princesse, comme à vous,

Hélas ! je suis bien loin de lui devoir la vie !

GALATÉE.

405   Du Lignon en fureur dans ce fatal moment

Contez-moi l'accident funeste.

CÉLADON.

J'y tombai, vous savez le reste ;

Je ne veux vous parler que de vous seulement.

GALATÉE.

Vous pâlissez ; vous changez de visage.

CÉLADON.

410   Nymphe, c'est malgré moi que sous un doux ombrage

L'aspect de ce fatal rivage

A rappelé les maux que je viens d'endurer.

GALATÉE.

De vos chagrins, de cette triste image

Puisse le Ciel vous délivrer !

415   Divertis ses soins, Léonide ;

Fais-lui voir de ces lieux toutes les raretés ;

Parle-lui de cet antre, où des flots enchantés

Faisaient connaître un coeur ou constant ou perfide.

SCÈNE IV.
Céladon, Léonide.

LÉONIDE.

Dans le fond de ce bois est un antre sacré.

420   Là, jadis chacun à son gré

Pouvait, en regardant dans une onde fidèle

Qui coule en ce lieu révéré,

Connaître si l'objet en son coeur adoré

Ne brûlait point de quelque ardeur nouvelle.

425   Cette fontaine a nom la Vérité d'amour :

On n'en approche plus ; deux monstres à l'entour

Interdisent l'abord d'une source si belle.

CÉLADON.

Léonide, je sais que cet enchantement

Nuit ou sert à plus d'un amant.

430   Voyez combien il m'est contraire

Sans ces monstres pleins de fureur,

Astrée aurait pu lire en cette onde sincère

Mon innocence et son erreur ;

Elle m'aurait trouvé fidèle.

LÉONIDE.

435   Vous aimez trop une beauté cruelle :

Oubliez-la : cédez à des transports plus doux,

Et songez qu'en ces lieux il est une princesse

Dont les appas et la tendresse

Sont dignes d'un amant aussi parfait que vous.

440   Laissez la constance

Aux heureux amants.

Vous souffrez mille tourments ;

Vous aimez sans espérance.

Laissez la constance.

445   Des plaisirs les plus charmants

Amour ici récompense

De si justes changements.

Laissez la constance

Aux heureux amants.

CÉLADON.

450   Vous voulez m'engager sous un nouvel empire ;

Et dans mes premiers feux je veux persévérer.

Ce n'est point par conseil que notre coeur soupire,

Ou qu'il cesse de soupirer.

CÉLADON ET LÉONIDE, ensemble.

Ce n'est point par conseil que notre coeur soupire,

455   Ou qu'il cesse de soupirer.

CÉLADON.

Votre princesse est jeune et belle

Elle mériterait le coeur d'un souverain ;

Mais celui d'un berger ! quelle gloire pour elle !

Nymphe, vous combattez en vain

460   La foi que j'ai jurée.

Combattez-la quand vous verrez Astrée.

LÉONIDE.

Sa beauté ne saurait excuser sa rigueur.

Céladon, il est vrai, votre bergère est belle ;

Mais elle est fière, elle est cruelle,

465   Elle abuse de votre coeur.

CÉLADON.

Ah ! si j'étais dans nos bocages !

Si leurs frais et sacrés ombrages

Pouvaient servir de temple à l'objet de mes feux !

Si mon coeur y pouvait sacrifier sans cesse

470   Au souvenir de sa déesse,

Que je me trouverais heureux !

SCÈNE V.
Ismène, Fée, Léonide, Céladon.

ISMÈNE.

Le Ciel exaucera vos voeux ;

Il me l'a fait savoir. Je suis la fée Ismène.

Ma puissance et mon art vont vous tirer de peine.

LÉONIDE.

475   Qui vous rend à ces lieux, Ismène, dites-moi ?

ISMÈNE.

L'ordre secret des dieux ; j'exécute leur loi.

LÉONIDE.

Quels biens votre pouvoir ne va-t-il pas répandre

Dans cet heureux séjour !

ISMÈNE.

Mon oracle doit vous l'apprendre

480   Avant la fin du jour.

Céladon, mettez fin à vos tristes alarmes.

Votre bergère par ses larmes

Veut elle-même vous venger.

Elle croit que de son berger

485   L'âme encor dans les airs, faute de sépulture,

Autour de ces hameaux errante à l'aventure,

Attend qu'un vain tombeau la vienne soulager.

CÉLADON.

Confidente des dieux, un amant trop fidèle

Attend tout de votre savoir ;

490   Faites, par son divin pouvoir,

Que, libre et dans nos bois, j'adore ma cruelle.

ISMÈNE.

Je ferai plus encore et pour vous et pour elle

Dans ce moment mon art vous fera voir

Ses regrets et son désespoir.

ISMÈNE, aux ministres de sa puissance.

495   Princes de l'air, Nymphes, Héros, Génies,

Calmez de ce berger les peines infinies.

Faites-lui voir Astrée, [et] cachez-le à ses yeux.

Rendez à cet objet l'honneur qu'on rend aux dieux.

Et le temple, et l'autel, et les cérémonies,

500   Vous ont été déjà par mon ordre prescrits.

Faites votre devoir, purs et légers esprits,

Princes de l'air, Nymphes, Héros, Génies.

Les esprits aériens descendent sur un tourbillon de nuages, et construisent un temple dédié à Astrée : le jardin se change entièrement en forêt.

SCÈNE VI.
Philis, Astrée.

PHILIS.

Nous parcourons en vain tous les bords du Lignon.

Reposons-nous, ma soeur ; entrons dans ce bocage.

ASTRÉE.

505   Ô dieux ! j'y vois un temple.

PHILIS.

  Il porte votre nom.

Je viens de voir, au fond de cet ombrage,

Ces mots écrits par Céladon

"C'est dans cette demeure

Qu'un amant exilé cherche en vain quelque paix.

510   Que, pour le prix des pleurs qu'il y verse à toute heure,

Puisse Astrée être heureuse, et n'en verser jamais !"

ASTRÉE.

Quoi ! de son ennemie il en fait sa déesse !

Au moment que je viens de causer son trépas,

Il me consacre un temple, et demeure ici-bas

515   Afin de m'adorer sans cesse !

Dans ce sombre réduit retirons-nous, ma soeur.

Pourrais-je, après de tels outrages,

Sans honte et sans remords jouir d'un tel honneur ?

Un tombeau m'est mieux dû qu'un temple et des hommages.

SCÈNE VII.
Astrée, Philis, Hylas, Tircis, choeur de demi-dieux, de nymphes, et des ministres d'Ismène.

UN GÉNIE.

520   N'approchez point, profanes coeurs !

C'est ici le temple d'Astrée :

Qu'aucun mortel en ce lieu n'ait entrée,

S'il ne sent de pures ardeurs.

LE CHOEUR.

C'est ici le temple d'Astrée

525   N'approchez point, profanes coeurs !

LE GÉNIE.

Soyez sensible, Astrée, au sort de votre amant.

Pour lui nos voix à tout moment

Font résonner ici mille plaintes nouvelles.

Il ne pense qu'à vous : il n'a pour tous désirs

530   Que de se consoler, en ses peines cruelles,

Par de vains et tristes plaisirs.

HYLAS.

Voilà l'effet que produit la constance !

Vantez, bergers, votre persévérance !

TIRCIS.

C'est un devoir de persister toujours

535   Dans les mêmes amours.

HYLAS.

C'est une erreur de persister toujours

Dans les mêmes amours.

TIRCIS ET HYLAS, ensemble.

C'est un devoir de persister toujours

C'est une erreur de persister toujours

540   Dans les mêmes amours.

TIRCIS.

Hylas, y songes-tu ? Profaner un tel temple !

LE GÉNIE.

N'imitez pas son exemple.

Régnez, divin objet, et triomphez des coeurs ;

Daignez recevoir les honneurs

545   Que le Ciel fait rendre à vos charmes ;

Ne les profanez point, ne versez plus de larmes.

Régnez, divin objet, et triomphez des coeurs.

LE CHOEUR.

Régnez, divin objet, et triomphez des coeurs, etc.

Que sous les pas d'Astrée ici tout s'embellisse !

550   Que de son nom tout retentisse !

Faisons-le répéter aux échos d'alentour

Tous les coeurs lui rendent les armes ;

Et célébrer ses charmes,

C'est célébrer le pouvoir de l'Amour.

SCÈNE VIII.
Philis, Astrée.

PHILIS.

555   Retirons-nous aussi, quittons cette demeure ;

La peur m'y saisit à toute heure.

Il est tard, et chacun s'en retourne aux hameaux ;

L'ombre croît en tombant de nos prochains coteaux ;

Rejoignons ces bergers : déjà la nuit s'avance,

560   Dans ces lieux règne le silence.

Bergers, attendez-nous... Ils ne m'écoutent pas...

ASTRÉE.

C'est de moi seulement qu'ils détournent leurs pas

Eût-on dit qu'un jour cette Astrée

Serait l'horreur de la contrée ?

565   Tout le monde me fuit ! on a raison, Philis ;

Qui ne détesterait mes fureurs excessives ?

Ô lieux que mon berger a longtemps embellis,

Redemandez-moi tous l'ornement de vos rives.

ACTE III

Le théâtre représente la fontaine de la Vérité d'amour dans une forêt agréable.

SCÈNE I.

ASTRÉE.

Enfin me voilà seule, et j'ai trompé Philis.

570   Venez, monstres cruels : ce n'est pas que j'espère

Que ma beauté faible et légère

Donne atteinte à des sorts par l'Enfer établis.

Je ne veux que mourir.

Céladon, tu m'appelles.

575   Si parmi les choses mortelles

Quelqu'une peut encor t'attacher ici-bas,

Plains la bergère qui t'adore ;

Ce n'est plus pour moi que l'Aurore

Reparaîtra dans nos climats.

580   Chère ombre, je te suis. Adieu, rives cruelles ;

Adieu, Soleil, adieu, mes compagnes fidèles :

N'aimez point, ou tâchez de bannir de l'amour

Les soupçons, les dépits, les injustes querelles

Celui que je regrette en a perdu le jour.

585   Je ne vous fuis que pour le suivre ;

À ce devoir il me faut recourir

Si je vous ai promis de vivre,

Aux mânes d'un amant j'ai promis de mourir.

C'est trop tarder, ombre chérie

590   Viens voir mon crime s'expier

Aide mon coeur à défier

Ces animaux pleins de furie.

Mais d'où vient que je perds l'usage de mes sens ?

La mort sur mes yeux languissants

595   Étend un voile plein de charmes.

Avec quelle douceur je termine mes jours !

Quel plaisir de céder à de telles alarmes,

Pour se rejoindre à ses amours !

SCÈNE II.

CÉLADON.

Sous ces ombrages verts je viens de voir Astrée

600   Bois, dont elle parcourt les détours ténébreux,

Ne me la cachez pas sous votre ombre sacrée.

Ô dieux ! Je l'aperçois aux pieds d'un monstre affreux !

Des puissances d'Enfer ministre malheureux,

Par quel droit nous l'as-tu ravie ?

605   Inhumain, devais-tu seulement l'approcher ?

Ce dard punira ta furie !

Tous mes efforts sont vains, et je frappe un rocher.

Meurs, Céladon : qui me retient la main ?

Fiers animaux, je vous réclame en vain ;

610   Tout est marbre pour moi, tout est sourd à ma peine.

Léonide, est-ce là cette faveur d'Ismène ?

Je meurs enfin ; et plût aux dieux

Que j'eusse pour témoins de ma mort ces beaux yeux !

SCÈNE III.
Tircis, Hylas.

TIRCIS.

C'est ici que se doit accomplir le miracle

615   Que la Fée a prédit aux rives du Lignon.

HYLAS.

Raconte-moi donc son oracle.

Que vois-je, juste Ciel ! Astrée et Céladon

De ces monstres cruels ont éprouvé la rage !

TIRCIS.

Le sort est accompli, ne nous alarmons pas ;

620   Le Ciel en ces amants achève son ouvrage.

Pour finir tes frayeurs, entends l'oracle, Hylas

« Le plus constant et la plus belle,

Pour rendre à l'Univers cette glace fidèle,

Détruiront un enchantement :

625   On les verra mourir, mais d'une mort nouvelle ;

Ils revivront en un moment. »

HYLAS.

De ces monstres horribles

L'aspect n'est plus à redouter.

TIRCIS.

Ne troublons point du sort les mystères terribles ;

630   Sortons : à nos hameaux allons tout raconter.

SCÈNE IV.
Astrée, Céladon.

ASTRÉE.

Qui me ramène au jour ? et d'où vient que je vois

L'ombre de Céladon se présenter à moi ?

Mes yeux me trompent-ils ? Son ombre ! C'est lui-même.

Quoi ! je reverrais ce que j'aime !

635   Hélas ! il est sans mouvement.

Vains et trompeurs démons, rendez-moi mon amant.

Il ouvre enfin les yeux ! il reprend tous ses charmes !

L'ai-je ranimé par mes larmes ?

CÉLADON.

Où suis-je ? Le soleil éclaire-t-il les morts ?

640   Quoi ! je revois les mêmes bords

Où ma divinité m'interdit sa présence ?

C'est elle-même que je vois.

ASTRÉE.

Ah ! ne rappelez point une injuste défense

Mes pleurs ont lavé cette offense ;

645   Deviez-vous suivre cette loi ?

CÉLADON.

Quoi ! vous m'avez pleuré ! Ces larmes précieuses

Auraient arrosé mon tombeau !

Divinités, de mon sort envieuses,

Avez-vous un destin si beau ?

650   Les yeux de la divine Astrée

M'ont vengé de votre courroux ;

Vous ignorez les plaisirs les plus doux

Descendez en une contrée

Où de semblables yeux puissent pleurer pour vous.

ASTRÉE.

655   N'irritez point les dieux, et craignez leur puissance

Vos transports les pourraient contre nous animer.

J'ai de vos feux assez de connaissance

Vous m'aimez trop...

CÉLADON.

Peut-on vous trop aimer ?

ASTRÉE.

Que je vous ai causé d'alarmes !

660   Ai-je trop pu les payer par mes larmes ?

Ah ! que nous bénirons nos fers,

Si l'Amour mesure ses charmes

Sur les tourments qu'on a soufferts.

ASTRÉE ET CÉLADON.

Ô doux souvenir de nos peines !

665   Ô noeuds par qui l'Amour recommence à former

L'espoir le plus cher de nos chaînes,

Redoublez les plaisirs qui viennent nous charmer !

Ô doux souvenir de nos peines !

SCÈNE V.
Ismène, Galatée, Céladon, Astrée.

CÉLADON, à Astrée.

La Nymphe vient à nous.

À Galatée.

Princesse, notre sort

670   Vous doit faire excuser ces marques de transport.

GALATÉE.

J'ai déjà tout appris d'Ismène ;

Tendres amants, vos voeux sont exaucés

Venez voir en cette eau la fin de votre peine.

ASTRÉE ET CÉLADON.

Nous la voyons dans nos coeurs, c'est assez.

ISMÈNE.

675   Rien ne peut plus troubler une si douce chaîne ;

Achevons de remplir les ordres du Destin.

Tout obéit à mon pouvoir divin ;

Rien ne peut plus troubler une si douce chaîne ;

Unissons ces tendres amants :

680   Ils n'ont que trop souffert ; finissons leurs tourments.

GALATÉE, ISMÈNE, ASTRÉE, CÉLADON.

Unissons ces (Unissez de) tendres amants.

Ils n'ont que trop souffert, finissons (finissez)leurs tourments.

ISMÈNE.

Du haut de leur gloire éternelle

Les dieux ont daigné voir ces amants en ce jour,

685   Et veulent rendre leur amour

Heureux autant qu'il fut fidèle.

GALATÉE, ISMÈNE, ASTRÉE, CÉLADON.

Unissons ces (Unissez de) tendres amants,

Ils n'ont que trop souffert, finissons (finissez)leurs tourments.

GALATÉE.

Le printemps, avec toutes ses grâces,

690   Ne nous paraîtrait pas entouré de plaisirs,

Si l'hiver, environné de glaces,

N'avait interrompu le règne des Zéphyrs.

ISMÈNE.

Plus on a de tourments soufferts,

Plus douce est la fin du martyre ;

695   Plus Borée a troublé les airs,

Et plus le retour de Zéphire

Cause de joie à l'Univers.

SCÈNE VI.
Galatée, Ismène, Hylas ; Choeur de bergers et de bergères.

GALATÉE.

Que tout ce que ma Cour a de magnificence

Accompagne aujourd'hui l'hymen de ces amants ;

700   Inventez tous des divertissements

Dignes de ma présence.

ISMÈNE ET GALATÉE.

Amants, votre persévérance

Du sort surmonte les rigueurs ;

Que l'Hymen et l'Amour, toujours d'intelligence,

705   Vous comblent à jamais de toutes leurs douceurs.

LE CHOEUR.

Que l'Hymen et l'Amour, toujours d'intelligence,

Vous comblent à jamais de toutes leurs douceurs.

HYLAS, aux amants qui veulent aller à la Fontaine de la Vérité d'amour.

Ces indiscrètes eaux vont vous accuser tous ;

Vous feriez beaucoup mieux de croire que vos belles

710   Sont fidèles.

À quoi sert d'être jaloux ?

C'est le moyen de déplaire,

Et de faire

Qu'à l'objet de vos voeux d'autres plaisent que vous.

ISMÈNE.

715   Esprits soumis à ma puissance,

Venez, et, sous divers déguisements,

Faites connaître à ces heureux amants

Les surprenants effets de votre obéissance.

SCÈNE VII.
Troupe de la suite d'Ismène, Lizette, Galioffo, Gambarini.

LIZETTE.

Chi pet mogl' mi vuol pigliar ?

720   Son Lizetta,

Fanciulletta,

Vezzozetta,

Leggiadretta,

Son d'amore la saetta

725   Fatta pet tutto infiammar.

Chi per mogl' mi vuol pigliar ?

Ogni fior, se non è colto,

Cade, e da gli venti è tolto.

Ahi, che tem' ch' al primo fiato

730   Certo fior troppo guardato

Meco piu non possa star !

Chi pet mogl' mi vuol pigliar ?

GALIOFFO, amante de Lizetta.

Di voi sono inamorato.

Il fantolin dio bendato

735   Con un stral avelenato

M' ha per voi ferito il cor.

Rispondete a tanto ardor,

E fate entrar, en sto di fortunato,

Il mio vascel' tormentato

740   Nel dolce porto d'amor.

GAMBARINI, rivale di Galioffo.

Tu sci matt' d'amar sta bella.

Speri tu qualche merce ?

Quest' amor convien'a te,

Com' all' asino la sella.

745   Lizetta è fatta pet me,

Com' io son fatto per ella.

Son gioven', le è giovanella ;

Son fedel, le è pien' di fe.

Com' io son fatto pet ella,

750   Lizetta è fatta per me.

LIZETTE.

Ô quanti becchi,

Balordi e vecchi !

Qual bruttalacciol

Qual nazonaccio !

755   Non voglio tal servitù,

Ne mi maritaro più.

GALIOFFO.

Voi mi sprezatte !

GAMBARINI.

Voi mi beffate !

LIZETTE, GALIOFFO, GAMBARINI.

Non voglio tal servitù,

760   Ne mi maritaro più.

 



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